André Vincent 16.12.2003 - Depuis une quinzaine d'années, quelque part vers le 10 décembre, je transforme mon atelier en boutique du Père Noël. D'abord, ça coûte moins cher de cadeaux et puis... en les fabriquant moi-même, y' a deux avantages majeurs:
1 - Pas besoin d'aller magasiner.
2 - Y' en n'a pas deux pareils!
Le premier est de loin le plus important; juste de savoir que je n'aurai pas à me joindre à la horde avertie me soulage d'un poids immense; l'idée de devoir entrer chez Wall Mart me donne des boutons; le tourniquet de Réno-Dépôt me fait appréhender le syndrome de Latourette et chez Bureau en Gros... mettons que j'aime autant ne pas y penser. Mais il y a pire: Chez Jean Coutu, je me gratte comme un singe en rut, le parfum sans doute...
Le deuxième avantage est non négligeable: Le porte-lettres, les petites tablettes murales, les coffrets, le train de bois, le petit banc de toilette (conçu afin que les garçons puissent enligner leur zizi plus haut que le siège, et les filles y asseoir « l'endroit où le dos ressemble à la lune... », tous ces objets sont non seulement utiles, mais uniques au monde.
Dans un atelier d'ébénisterie, les retailles s'accumulent au fil des ans et lorsque je fabrique des coffrets, je trie soigneusement celles que je veux utiliser; puis, je les refends en planches de 3/8 d'épaisseur. Ce qui est bien avec les coffrets est qu'une fois les devants découpés, les restes sont souvent assez longs pour servir de côtés et il n'y a presque pas de perte. Aussi, je mélange les essences; par exemple, un boîtier en merisier avec un couvercle en acajou, ou l'inverse.
J'utilise surtout du bois d'oeuvre d'ici, et certains bois exotiques tels l'épinette d'Arabie et l'iroko d'Afrique. Afin que Madouce puisse enjoliver les coffrets à sa guise, j'arrondis tous les angles pour que ses élans créateurs ne soient pas stoppés par une arête; puis, j'applique quelques couches d'huile avec la paume de la main, doucement-longtemps, comme une caresse...
Ce matin, elle a commencé à illustrer les coffrets de marguerites, d'amaryllis, de gaillardes... À partir du bas, sur l'un des coins arrondis du boîtier, elle dessinait les tiges, quelques feuilles, puis les fleurs, en bouquets, qui débordaient généreusement sur le couvercle. Sur le dernier coffret, elle s'est inspirée des pensées imprimées sur ma taie d'oreiller. Si c'est pas ça l'amour...
Vers les midi, j'ai dû refendre 40 bâtons protestataires pour la Garderie St-Louis. Les parents sont en colère, les éducatrices sont en colère, et mes petits-fils sont bien contents d'aller manifester contre le méchant monsieur Charest. « Si le Premier Ministre avait déjà fabriqué des coffrets ou des p'tits trains en bois dans sa cave, il ne raconterait pas de gros mensonges... » glissais-je à l'oreille de Jérémie.
— Quel mensonge?
— Eh bien... Il avait promis qu'il n'augmenterait pas le prix des garderies. Tu sais, quand tu vas à la garderie, ta maman elle paie cinq dollars par jour et l'an prochain, elle va devoir en payer sept. Si la tendance se maintient...
— C'est quoi Papou, un Premier Ministre... ?
— Un Premier Ministre, c'est un peu comme... un président de coop mettons. Papou est président et quand on fait un meeting... Tu te souviens la dernière fois, chez toi...? Eh bien, un premier ministre ou un président écoute attentivement ce que tous les membres ont à dire et après, le président prend la parole: « Merci beaucoup très chers membres d'avoir exprimé vos opinions, voici maintenant ce que nous allons faire... » Et pour montrer qu'il est très-très intelligent, il rajoute toujours: « Au moment où on s'parle... » Ça fait comme plus sérieux...
— Toi Papou, t'en raconte-tu des fois — des mensonges?
—Jamais au grand jamais! Enfin... juste le lundi après-midi, quand j'écris des chroniques...
— On est quelle journée aujourd'hui...?
— ....
Quelques jours plus tard, sous une pluie froide, les petits ont participé à leur première manif et le surlendemain, le Journal de Montréal a titré en rouge: LE PUBLIC PRIS EN OTAGE. Et moi, qui suis un homme pacifique, à qui on ne peut reprocher d'excès de langage, je voulais arracher la tête à Pédaleau! Le message de la convergence a convergé aussi vers les lignes ouvertes et « ma p'tite madame Carbonneau » n'a même pas profité de cet impair, félicitée par Gesca et Le Devoir pour sa grandeur d'âme. Et moi, qui en demandais plus, j'aurais voulu... sais pas, me reconnaître, voir dans les titres de journaux ou dans les bulletins télévisés ne serait-ce qu'un brin d'indignation, un signe de solidarité — la vraie — celle qui s'exprime spontanément dans ces moments où chacun, peu importe son milieu social, sent que c'est toute la société qui recule.
En refermant son Journal de Montréal, le toton dit: C'est la faute aux syndicats...
En refermant son Journal de Montréal, le Patronat dit: Notre message a passé...
En savourant son Journal de Montréal, Pédaleau lance un appel conférence: Desmarais, Radio-Canada, le Conseil du Patronat...
Et le PM de conclure: We are wonderful people...
J'ai continué à fabriquer des coffrets, mais j'avais comme des images de guillotine dans ma tête, et ce vieil air français... Ah ça ira, ça ira / les fédérastes à la lanterne! Pas facile d'être pacifiste tout l'temps, il faut beaucoup de discipline, surtout quand on a un banc de scie dans sa cave... Bon! Où en étais-je...? Ah oui, Bibliorom Larousse, lanterne - 3: Mettre à la lanterne: Pendre à un réverbère, pendant la révolution. Sont fous, ces Français! mais pratiques quand même. Des réverbères, y'en a partout...
Afin de m'aider à retrouver mon sang-froid, j' m'ai dit : tiens, je vais amener mes petits-fils choisir le sapin. À la Garderie St-Louis, ils en vendent afin de financer certaines activités et ça va me remettre dans l'esprit des Fêtes. On l'a décoré ensemble et chaque fois que je voulais accrocher une boule rouge, Mimi s'objectait:
— Pas celle-là!
— Pourquoi ?
— Parce que.
— Parce que quoi?
— ...
Je supposai qu'il avait ses raisons à lui et pensai que dans la présente conjoncture...c'était tout à fait pertinent. Mais Fafa ne semblait pas d'accord; il me tendait des boules de la couleur interdite juste pour faire enrager son grand frère et la chicane a pogné. Bing bang! Après la bataille, p'us de boules rouges! que des éclats sur le plancher... J'ai appelé au secours et Dada a réconcilié deux petits frères comme seule une fée (ou une grand-maman) peut le faire. Une fois le calme revenu, j'ai sorti la crêche de sa boîte: Marie, Joseph, l'âne, le boeuf... et merde! Où est passé le p'tit Jésus? Cherche le p'tit Jésus...
— Fafa...! Où c'est que t'as mis le p'tit Jésus...?
P'tit pirate! Il l'avait mis dans sa poche...
Dessin exclusif à Vigile:
Danielle Dada Béchard"
C'était bon, comme dans un conte de Noël. Le lendemain, Mimi m'a demandé s'il pouvait avoir un coffret en cadeau. J'étais étonné...
T'aimes pas mieux un train en bois...?
— J'aime mieux un coffret...
— T'es sûr?
— Sûr. Au printemps, si j'ai une nouvelle petite soeur, je vais lui donner en cadeau quand elle va arriver. Tu sais comment sont les filles...
— Pis si c'est un autre p'tit frère? (Il a hésité un moment... )
— Est-ce que je pourrais avoir aussi un train en bois???
On riait, dans le merveilleux. Dans les contes, il est toujours là — le Merveilleux; c'est à cause de lui que les enfants ne demandent jamais si les histoires sont vraies... que Mimi ne voulait pas que j'accroche de boules rouges dans le sapin...
Et que Fafa a mis le p'tit Jésus dans sa poche!
André Vincent
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Dessin exclusif à Vigile: Danielle Dada Béchard
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2 commentaires
Marie-Hélène Morot-Sir Répondre
22 décembre 2009Tous les enfants de la terre aimeraient avoir un tel Papou qui arrive dans son atelier du Père Noël à leur créer tous ces coffrets, ces petits trains de bois, ces jolies tablettes et même des bâtons " protestataires "
Je n'ai jamais vu pour ma part un tel bâton ! je ne crois pas que cela se fasse en Provence, cher Papou, il faudra nous apprendre!
Que dire aussi de leur merveilleuse Dada qui agrémente le tout de jolies fleurs et nous dessine sur Vigile de si jolies images de Noël !
Merci de ce récit, merci vraiment de nous emmener avec vous dans l'atelier de Papou, quelle belle histoire qui garde encore toute la magie de Noël. Belle et Joyeuse fête de Noël à vous, cher André, ainsi qu'à toute votre petite famille.
Archives de Vigile Répondre
21 décembre 2009...comme de la musique à nos oreilles...
Merci pour cette belle histoire et
Bravo pour votre créativité.
Suzanne Groulx