La "Boussole électorale" n'a pas dit son dernier mot

Tribune libre

L’exercice de la Boussole électorale proposé par l’organisme public Radio-Canada et développé dans le cadre de l’élection fédérale de 2011 a permis à nombre de Canadiens de questionner leurs intérêts et préférences afin de faciliter ou confirmer leurs choix et affinités en vue de la journée fatidique du 2 Mai 2011. Évidemment, l’exercice ne fut pas à l’abri des nombreuses critiques voulant que les résultats fussent parfois biaisés lors de la compilation finale. La technique ayant parfois une imperfection, reste que le moyen était à la disposition et qu’il a reçu de nombreuses visites. Maintenant que les résultats électoraux sont connus et que nous nous dirigeons vers quatre années où les Conservateurs de Stephen Harper seront majoritaires à la Chambre des Communes, la Boussole électorale de Radio-Canada n’a pas dit son dernier mot…
Les résultats diffusés par Radio-Canada concernant les 30 questions posées aux Canadiens parlent d’eux-mêmes et méritent l’attention d’en soulever les principaux points. En ce sens, cette analyse visera à soulever les différences et similarités entre le Québec et le Rest of Canada (ROC) en ce qui concerne les enjeux canadiens. Pour ce faire, 21 questions seront traitées. Il importe de mentionner qu’évidemment, 9 questions ont étés écartées, non par manque de pertinence mais par souci d’efficacité. Aussi, cette analyse n’est pas à l’abri des généralités compte tenu du manque d’information, par exemple, le nombre de répondants de chaque province sur chaque question. De ce fait, vous êtes invités à utiliser votre sens critique et être compréhensif.
D’abord, nous pouvons dire qu’il existe un consensus entre les Canadiens sur certaines questions. La question 5 en est un exemple (1 296 528 répondants). Lorsque l’on pose la question suivante : Le déficit du budget fédéral devrait être réduit même si cela entraîne une diminution des services publics, nous constatons rapidement que les Canadiens, d’un océan à l’autre, sont davantage en accord. Plus encore, le Sud des Prairies, les Maritimes et les territoires plus au Sud de l’Ontario et du Québec semblent un peu plus d’accord sur la question. Sachant que ces territoires bordant la frontière américaine sont souvent les plus peuplés, nous pouvons dire sans se tromper que les Canadiens sont plutôt solidaires sur la question. Ce consensus démontre assez clairement que les Canadiens souhaitent réduire la taille de l’État fédéral, probablement au profit d’un ensemble politique plus près d’eux.
Ensuite, la question 14 démontre aussi qu’il y a consensus (1 256 779 répondants). Lorsque l’on pose la question suivante : Combien d’immigrants le Canada devrait-il admettre, nous constatons que les Canadiens semblent être plutôt en faveur d’une réduction du taux d’immigrants. Toutefois, nous ne pouvons passer outre le fait que la Nouvelle-Écosse et le centre de la Saskatchewan en préfèreraient peut-être davantage. Il est aussi à noter que l’Alberta, l’Ontario et le Sud du Québec semblent être de ceux qui sont le plus en faveur d’une réduction.
La question 16 peut également être matière à consensus entre les Canadiens (1 297 686 répondants). À la question suivante : Les jeunes délinquants qui commettent des crimes violents devraient être jugés comme des adultes, le consensus favorable ne fait pas l’ombre d’un doute dans le ROC. Toutefois, il est clair que le Québec semble être plus prudent sur la question. La Côte-Nord, le Nord-Du-Québec, l’Outaouais, la Gaspésie-Îles-De-La-Madeleine, Chaudière-Appalaches et le Bas-St-Laurent sont de ceux qui sont le moins d’accord avec le fait que de jeunes délinquants puissent êtres jugés comme des adultes en ce qui concerne les crimes violents. Ainsi, même si le Québec semble être plus en faveur, il n’existe pas de consensus clair sur la question au Québec.
Lorsque l’affirmation suivante se pose : La possession de marijuana devrait être considérée comme un acte criminel, plusieurs observations peuvent êtres faites. La question 18, à laquelle 1 302 633 Canadiens ont répondu, peut être intéressante à étudier si vous êtes dans le Bloc Pot puisqu’elle indique bien les endroits où la marijuana semble le plus accepté. Par exemple, la Colombie-Britannique apparaît comme la défenseure de la possession de la marijuana, ainsi que le Sud-Est de l’Ontario et l’Est de la Nouvelle-Écosse, tandis que les Prairies semblent être celles qui sont le plus en faveur de la criminalisation. Or, la tendance indique qu’il y a plutôt consensus en faveur de rendre criminelle la possession de marijuana au Canada.
Enfin, un dernier enjeu semble faire consensus entre les Canadiens (1 266 995 répondants), la question 23 : Les partis politiques ne devraient plus recevoir de financement public. Encore ici, les Québécois paraissent plus modérés mais s’entendent pour dire que les partis politiques ne devraient plus recevoir de financement public.
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La deuxième partie de cette analyse traite des divergences entre les perceptions des Québécois et celles du ROC sur les enjeux en question. Il est clair que les divergences sont plus nombreuses que les consensus. Outre ce fait, il est possible de regrouper quelques questions de manière à créer 5 thématiques plus larges, des divergences majeures : le pacifisme, l’écologisme, la valorisation de la sphère privée et du libre-choix, l’égalitarisme et le Québec comme entité distincte.
Nous pouvons dire que les 5 divergences majeures entre le Québec et le ROC sont de nature plus profonde au niveau des valeurs intrinsèques que les 5 consensus qui ressortent de l’exercice précédent.
Le Pacifisme, qui regroupe les questions 1,2 et 3 c'est-à-dire respectivement : Toutes les troupes militaires canadiennes devraient être retirées de l’Afghanistan immédiatement? Le Canada devrait augmenter sa présence militaire dans l’Arctique? Combien le gouvernement devrait-il dépenser pour l’armée? À toutes les occasions, le contraste est évident. Nous pouvons même aller jusqu’à croire que les résultats ont étés trafiqués tellement la différence est marquée et complète! Ce n’est pas compliqué, dans les trois cas, le Québec est isolé. C’est donc dire que le Québec est sans contredit le territoire le plus pacifiste du Canada et peut-être de toute l’Amérique!
L’écologisme, se forme des questions 7,8 et 9 qui sont respectivement celles-ci : Le Canada doit se doter d’une taxe sur le carbone? On exagère les dommages environnementaux causés par l’industrie des sables bitumineux d’Alberta? Les normes environnementales devraient être plus sévères, même si elles entraînent une augmentation des prix pour les consommateurs? La première question montre des résultats convaincant l’analyste de croire que le Québec est le seul territoire à croire en la taxe sur le carbone. La seconde question démontre sans le moindre doute que le Québec est l’adversaire le plus féroce des sables bitumineux avec l’aide timide d’une partie de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. La Colombie-Britannique peut également se vanter de soutenir la position défendue par le Québec. Évidemment, en Alberta, on croit que la chose est exagérée, la Saskatchewan suit le pas et le Manitoba traîne derrière eux… En ce qui à trait à la troisième question, les Prairies entre autre, mais les Maritimes et l’Ontario également, ne croient pas que les normes environnementales devraient être plus sévères au dépend du pouvoir d’achat des consommateurs. Toutefois, s’il est possible de noter le radicalisme des Prairies sur cette question, il l’est également de constater que le Québec est plutôt prudent sur la question même s’il tend à favoriser des normes environnementales plus sévères. La Colombie-Britannique apparaît encore ici comme le plus proche allié des Québécois en matière d’environnement et du coût relié à sa gestion durable.
Le thème de la valorisation de la sphère privée et le libre-choix regroupe la question 19 : Le gouvernement devrait rendre plus facile l’accès à l’avortement?, la question 20 : Le mariage ne devrait être permis qu’entre un homme et une femme?, et la question 21 : S’ils le désirent, les patients en phase terminale devraient avoir le droit de mettre fin à leur vie avec l’aide d’un médecin? Ces questions étant clairement de nature personnel et touchant particulièrement les valeurs profondes des individus, les constations que l’on peut y faire en observant les résultats sont très évocateurs. Tout d’abord sur la question de l’avortement, le Sud-Est de l’Ontario, les Territoires du Nord, le Sud-Ouest de la Colombie-Britannique et surtout le Québec se démarque clairement des Prairies. Il serait possible de croire que ces territoires ont des populations plutôt progressistes et peut-être moins religieuse ? Quoi qu’on en dise, la question suivante sur le mariage gai s’oriente dans les mêmes proportions. Le Québec et le Sud-Ouest de la Colombie-Britannique sont sans contredit les seuls à êtres plus ouverts sur le sujet. Dans le même ordre d’idée, la question portant sur les gens en phase terminale qui désireraient mettre fin à leurs jours confirme bien le fait que le Québec est le champion du libre-choix dans le domaine des valeurs individuelles profondes comme la vie, la mort ou l’amour. En ce sens, il est possible de croire que les Québécois ne souhaitent pas que l’État ou l’espace public se mêle de questions personnelles de ce type. La valorisation de la sphère privée et le libre-choix est donc une caractéristique clairement observable dans cet exercice. Il serait intéressant de savoir si la pratique de la religion en est pour quelque chose.
L’égalitarisme est également une valeur profonde qui participe à la différence des Québécois par rapport au ROC. Aux questions 29 et 30 : Combien les personnes les plus riches devraient-elles payer d’impôt? Combien les grandes entreprises devraient-elles payer d’impôt?, il ne fait aucun doute que le territoire le plus radical est celui occupé par les Québécois et ceux habitant les Maritimes. Il est encore étonnant de constater la différence marquée d’avec les Prairies, souvent positionnées à l’inverse du Québec et aussi tranchées. L’Ontario (sauf le Sud) et la Colombie-Britannique sont quant à eux plus modérés sur la question mais penchent en faveur d’une plus grande justice sociale.
Enfin, le dernier grand point de divergence concerne le Québec et le respect de sa différence. Ce thème regroupe les questions 25 à 27 : Le gouvernement fédéral devrait avoir son mot à dire dans les décisions concernant la culture au Québec? Le Québec devrait être formellement reconnu en tant que nation dans la Constitution? Le Québec devrait devenir un État indépendant? Ces questions offrent essentiellement un contraste amer de l’ouverture du ROC sur ces questions où le noir et le bleu se coupent dès le Québec dépassé. Aux trois questions, le degré d’ouverture est absent, sauf que l’Alberta est la province qui est la moins en désaccord avec le fait que le Québec devienne indépendant. Probablement dû au fait que la Province de l’Alberta possède elle-même une frange indépendantiste et plus modérée qui n’attende que le Québec parte pour justifier le divorce. Non seulement la Nation ne mérite aucune reconnaissance de la part du ROC, mais en plus, l’idéologie dominante au Canada anglais est que le fédéral aille son mot à dire dans la culture au Québec! Lorsque l’on sait que le Canada entier s’entend sur le principe de réduire la taille du gouvernement fédéral et ses dépenses, peut-on appeler ça de la mauvaise foi de la part du ROC! Quoiqu’il en est, la différence du Québec semble déranger.
Il y a également 4 autres divergences entre le Québec et le ROC à propos des enjeux canadiens. Les questions portant sur les accommodements religieux, sur la place du privé en santé, sur le registre des armes à feu et sur le renforcement des liens économiques avec les États-Unis démontrent également une divergence d’opinion dans le Canada. La Commission Bouchard-Taylor nous a appris que nous avions un problème avec les accommodements religieux (sic). Ce n’est donc pas une surprise de constater que le Québec est le territoire sur lequel la population est la moins désireuse de faire des efforts vers certains accommodements raisonnables. L’Alberta et l’Ontario se positionne également vers cette ligne de pensée. Le radicalisme du Québec sur la question n’est toutefois pas du même ordre. Sur la question du privé en santé, il est possible de croire que si le Québec est le territoire qui semble le plus vouloir y faire de place, c’est parce qu’il y en a pas assez. Les endroits les moins ouverts sur la question sont probablement aussi là où le ratio est suffisant, comme en Ontario par exemple. En fait, ce qui est intéressant ici c’est de constater que le Québec est prêt pour faire plus de place au domaine privé. Es-ce que cela traduirait le fait que les Québécois ont perdu espoir envers leur système public de santé au Québec ? Sur la question du registre des armes à feu, le Québec fait cavalier seul en voulant le maintenir. Il sera aboli. L’État doit-il savoir que l’on possède une arme à feu ? Par prévention peut-être. Peut-importe, le ROC pense plutôt qu’il s’agit d’ingérence et de bureaucratie inutile. Finalement, le Québec semble également le plus désireux de renforcer les liens économiques avec les États-Unis … Surprenant! L’emploi y est certainement à la source.
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En conclusion, l’exercice de Radio-Canada, la Boussole Électorale, n’est certainement pas l’outil du siècle en ce qui à trait à la précision et la fiabilité. Toutefois, il offre de belles occasions de mesurer le pouls politique des Canadiens sur différents enjeux nationaux. Par exemple, nous pouvons dire sans trop se tromper que le Québec est distincts sur 5 grands thèmes de question : l’écologisme, le pacifisme, l’égalitarisme, la valorisation de la sphère privée et du libre-choix et enfin sur sa culture propre et sa différence au sein du Canada. Est-ce suffisant pour clamer la fin de notre participation à la défense des valeurs canadiennes ?


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