Anne Pélouas -
MONTRÉAL (Québec) CORRESPONDANCE - Il y a Yasir, l'entrepreneur en bâtiment qui squatte la salle paroissiale anglicane pour en faire une discrète mosquée, et Amaar, un jeune avocat torontois qui débarque à Mercy (Saskatchewan), petite ville des Prairies canadiennes, pour remplacer l'imam paranoïaque de la communauté islamique; il y a quelques personnages non musulmans bien campés, dont un fermier terrorisé par la découverte de la mosquée, un pasteur protestant qui fait preuve d'ouverture aux autres religions et un animateur de radio déchiré entre ses opinions d'extrême droite et son amour secret pour une immigrante algérienne.
« La petite mosquée dans la prairie », nouvelle sitcom canadienne anglophone, a peu à voir, sinon par son titre et son lieu de tournage, avec la série-culte américaine « La petite maison dans la prairie ». Reste qu'elle a déjà suscité beaucoup de curiosité à l'étranger et fait un tabac dans les foyers du Canada de langue anglaise. Dès le premier épisode, présenté mardi 9 janvier, elle attirait 2,1 millions de téléspectateurs ! Du jamais-vu... Même si la chaîne de télévision publique CBC avait mis le paquet pour en faire la promotion : des dromadaires dans le centre-ville de Toronto, un gigantesque buffet de chiches-kebabs en plein air...
Du jamais-vu, surtout, à cause du sujet et de son traitement : un feuilleton comique dressant le portrait d'une minorité musulmane sur fond de province agricole... Il met en scène des personnages colorés, plonge dans leur vie au quotidien, décrit leurs relations avec le reste de la population locale (partagée entre conservateurs et progressistes) et au sein de la communauté elle-même. On y aborde avec légèreté, aussi, des thèmes plus politiques, comme la peur du terrorisme, le « profilage » racial, le fondamentalisme religieux, les discriminations envers les femmes...
Dans le premier épisode, Amaar téléphone à sa mère d'une file d'attente de l'aéroport, avant de partir pour Mercy comme imam. « Si papa pense que je commets un suicide, ainsi soit-il, dit-il. C'est ce qu'Allah veut pour moi ! » Sa voisine s'affole, croit qu'il va commettre un attentat-suicide et appelle la police. Le voilà interrogé, soupçonné de terrorisme, notamment à cause d'un visa de coopérant en Afghanistan, puis relâché faute de preuves. Plus tard, on verra un journaliste de Mercy insister sur ses rapports avec Al-Qaida et un animateur de radio lui demander sans ambages s'il est un terroriste.
« QUI LE DIT À JÉSUS ? »
« La sitcom n'est nullement une satire politique », se défend la cinéaste Zarqa Nawaz, instigatrice et coscénariste de « Little Mosque on the Prairie ». Pour elle, « la série ne traite pas de politique mais porte avant tout sur les relations humaines ». « Si elle peut aider à lutter contre les préjugés et les stéréotypes, notamment dans le monde post-11 septembre 2001, tant mieux !, souligne-t-elle. J'ai voulu montrer que les musulmans avaient le sens de l'humour pour rire d'eux-mêmes, qu'il y a certes des incompréhensions entre eux et les autres, chaque communauté ayant ses traditions, mais qu'au fond tout le monde a peu ou prou la même vie, les mêmes ambitions, problèmes amoureux ou familiaux... Nous ne sommes pas si différents. »
Yasir, l'entrepreneur musulman, est l'un des personnages les plus en vue de la série. Il est marié à Sarah, Canadienne « de souche » convertie à l'islam. Lorsque le pasteur accepte d'accueillir la mosquée dans sa salle paroissiale, Yasir lui demande : « Qui le dit à Jésus, vous ou moi ? » Plus tard, il aura maille à partir avec sa fille Rayyan, qui, d'après lui, s'habille de façon trop sexy. « Tu as l'air d'une protestante », lui dit-il. « Tu veux dire prostituée », réplique l'adolescente ? Mais lui répète : « Non, protestante »... Comme la religion dominante du village où ils habitent.
A travers cet original portrait de groupe, Zarqa Nawaz se fait-elle le chantre de l'intégration des musulmans à la mode du multiculturalisme canadien ? Elle-même en est en tout cas l'un des purs produits. Sa famille, d'origine pakistanaise, a vécu à Liverpool, en Grande-Bretagne, avant d'immigrer au Canada. Direction Toronto, à l'âge de 5 ans.
En 1996, l'ancienne journaliste radio s'intéresse au cinéma. Elle tourne quatre courts métrages comiques à saveur musulmane, dont BBQ Muslims (l'histoire de deux frères soupçonnés de terrorisme après l'explosion de leur barbecue), et crée sa maison de production (FUNdamentalist Films).
Zarqa Nawaz vit aujourd'hui à Regina, capitale de la province de Saskatchewan, où son mari travaille comme psychiatre depuis dix ans. En 2005, elle réalise un documentaire - Me and the Mosque (« Moi et la mosquée ») - après avoir bataillé contre la séparation des hommes et des femmes pour la prière à sa propre mosquée, une décision censée éviter aux hommes toute « distraction ». « J'ai bien fouillé la question, note-t-elle. Du temps du Prophète, les femmes n'étaient pas obligées de prier derrière des barrières. » Elle reviendra sur ce thème dans l'un des huit premiers épisodes de la série...
« EXPÉRIENCES UNIVERSELLES »
A 39 ans, mère de quatre enfants, Zarqa Nawaz a trouvé son inspiration dans la réalité de sa vie à Regina : « L'une des meilleures règles en comédie, c'est d'écrire sur ce qu'on connaît. Plus le sujet est sérieux, plus j'ai de plaisir à en rire. » Un brin provocatrice, la jeune femme ne craint pas de questionner par exemple le fait de porter le foulard islamique devant un homme gay ! « Maintenant, dit-elle, j'ai toute une série télé pour m'exprimer... avec du bon matériel récolté à Regina pour faire une comédie dont les personnages principaux sont musulmans. Si elle a du succès à cause d'eux, tant mieux, mais je crois qu'elle en aura surtout parce qu'elle parle d'expériences universelles, de rapports hommes-femmes ou parents-enfants, de relations humaines au sens large. »
Zarqa Nawaz ne craint pas de choquer, à l'occasion, une partie des musulmans canadiens. « On ne peut faire de comédie sans conflit », affirme-t-elle, se vantant toutefois d'avoir eu l'appui de plusieurs organisations musulmanes, qui ont incité leurs membres à regarder la série. « Les réactions sont plutôt bonnes, et je crois que ceux qui sont nés au Canada vont particulièrement apprécier ce portrait nuancé » de leur communauté.
Elle qui porte depuis longtemps le hidjab croit que, dans la vie comme dans la comédie, il y a place pour tous au Canada, des musulmans ultra-pratiquants à ceux qui ne mettent jamais les pieds à la mosquée. De fait, le président du Congrès islamique canadien, Mohamed Elmasry, s'est dit ravi de l'idée du feuilleton, affirmant qu'il était « grand temps pour les musulmans de rire d'eux-mêmes ». D'autres, comme Tarek Fatah, fondateur du Congrès musulman canadien, sont plus circonspects, craignant qu'on ne les caricature une fois de plus en les dépeignant comme des gens qui ne font que « prier et prêcher ».
L'islam a sa sitcom au Canada
La télévision publique diffuse depuis une semaine « La petite mosquée dans la prairie », série qui décrit avec humour le quotidien d'une communauté musulmane dans le Saskatchewan
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé