Les prédécesseurs d'André Boisclair auraient tous voulu appâter un candidat-vedette avec le château fort péquiste de Marie-Victorin, mais aucun n'avait réussi à l'arracher à Cécile Vermette.
Tenue pour une enquiquineuse qui semait la bisbille partout, Mme Vermette avait défendu son comté bec et ongles pendant un quart de siècle. Cette semaine, elle avait enfin accepté de lâcher prise. Mieux encore, elle avait donné son appui à un candidat qui ne ferait pas sourire quand le chef du PQ parle de son «équipe de rêve». C'était trop beau pour qu'il n'y ait pas un pépin.
Même parmi ses nouveaux collègues péquistes, j'en soupçonne quelques-uns de ne pas avoir été mécontents de voir Bernard Drainville goûter à la médecine que les médias leur servent depuis des années.
Les journalistes ont toujours l'impression d'une trahison quand un des leurs passe dans l'«autre camp». C'est encore plus vrai quand il s'agit d'un membre de la tribune de la presse, qui forme une sorte de famille, même si l'arrivée de Drainville était récente et qu'il était vu comme un outsider.
Il était prévisible que la conférence de presse serait mouvementée. En fin de journée, l'ex-collègue confiait avoir trouvé la journée éprouvante, mais il a dû être le dernier surpris. Il devait aussi être le premier à se rendre compte que son histoire était cousue de fil blanc. Lui-même ne l'aurait jamais crue.
Le journaliste qu'il était se montrait extrêmement pointilleux sur l'éthique des politiciens. Encore en décembre dernier, il avait été implacable pour le ministre de la Santé, Philippe Couillard, dont une ancienne attachée politique avait commis des infractions de nature technique à la loi électorale, que le directeur général des élections a jugées trop bénignes pour imposer des sanctions. On peut comprendre que M. Couillard se soit empressé de critiquer à son tour le comportement de son accusateur de la veille.
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À moins d'être naïf, il ressort clairement de ses propres explications que Drainville a continué à exercer son métier de journaliste alors qu'il demeurait ouvert à la possibilité d'une candidature péquiste, pour peu qu'on lui fasse une meilleure offre. Peu importe que son entrevue avec André Boisclair ait été menée sans complaisance, il n'aurait pas dû la faire.
Même s'il quitte la profession sur un couac, cela ne remet pas en question l'intégrité avec laquelle il a accompli son travail pendant 18 ans. Dans quelques jours, on ne parlera plus de cette affaire. Son entrée en politique a peut-être été cahoteuse, mais personne ne met en doute la sincérité de ses motivations.
Il est simplement le dernier membre du «club des ex» dont le passage à la politique crée un malaise. Les anciens du Devoir se souviennent encore de la période pendant laquelle Claude Ryan réfléchissait à sa candidature à la direction du PLQ tout en continuant à diriger le journal. À l'issue du congrès libéral de novembre 1977, où il était le principal orateur invité, il avait eu cette phrase qui s'appliquerait bien au cas Drainville: «La porte est fermée, mais elle n'est pas verrouillée.»
Il fut un temps où on se posait beaucoup moins de questions. Les tribulations de Pierre Laporte à l'époque où il était le correspondant parlementaire du Devoir font paraître bien véniel le péché dont on accuse Drainville.
À la demande de Laporte, le gouvernement Duplessis avait fait adopter un projet de loi privé pour annuler un testament familial et lui permettre de toucher un héritage. Loin de lui en être reconnaissant, Laporte s'était présenté comme candidat indépendant aux élections de 1956 en faisant financer sa campagne par la caisse libérale. Battu, il avait aussitôt repris ses fonctions à la tribune de la presse. Deux ans plus tard, il faisait la manchette du Devoir avec le «scandale du gaz naturel» qui ébranlait le régime Duplessis. En 1961, il était élu sous la bannière libérale dans une élection partielle.
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Drainville a expliqué qu'il rêvait depuis son enfance de faire de la politique et que, dans son village natal, le député était un personnage important. Selon ses anciens collègues de Radio-Canada, il a des ambitions beaucoup plus élevées que d'être simple député de Marie-Victorin. Cela est parfaitement légitime.
À moins d'une énorme surprise, il n'aura aucun mal à succéder à Cécile Vermette, peu importe que le PQ reprenne le pouvoir ou reste dans l'opposition. Pour la suite des choses, tout dépendra de ses capacités et des circonstances.
Malgré la controverse, Drainville est une excellente recrue pour le PQ. Les électeurs n'auront aucun mal à s'identifier à ce père de famille dans la jeune quarantaine, déjà connu du public, qui a d'indéniables talents de communicateur. Jeudi, il a également démontré qu'il a du coffre.
Certains lui ont reproché son style un peu carré à l'écran. Il est vrai qu'il ne faisait pas toujours très radio-canadien, en bras de chemise, mais son populisme le servira très bien. On lui expliquera sans doute qu'il est préférable de parler de souveraineté plutôt que d'indépendance, mais son franc-parler contrastera agréablement avec la langue de bois ambiante. Jusqu'au jour où on commencera à lui reprocher de trop parler!
Évidemment, rien n'est parfait. Encore une fois, l'arrivée d'une vedette vient couper l'herbe sous le pied d'un candidat provenant d'une minorité visible. Après avoir été écartée dans Gouin, l'ancienne vice-présidente du PQ d'origine haïtienne Dominique Ollivier avait dû céder sa place à Marie Malavoy dans Taillon. Un jeune analyste en informatique, également d'origine haïtienne, Patrick LeBlanc, visait Marie-Victorin. Le PQ est un parti inclusif, mais il y a tout de même des limites!
mdavid@ledevoir.com
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