« C’est qui, le monsieur sur la croix ? » À Paris, devant les grands tableaux de la Renaissance italienne, les questions de ce genre ne sont pas le fait que des petits musulmans. Les professeurs qui arpentent le Musée du Louvre avec leurs élèves en savent quelque chose. Ces questions viennent aussi de petits Français d’autres confessions qui n’ont jamais mis les pieds dans une église. Elles pourraient aussi venir des enfants du Québec, où la rupture avec la religion est à la fois plus récente et pour cela plus vive encore.
Il est donc normal que partout en Occident on se soit demandé comment combler ce vide qui, en quelques décennies, nous a largement coupés des racines de notre culture. En France, ce questionnement a commencé dans les années 1980 avec le rapport Joutard qui affirmait que la connaissance des cultures religieuses était « nécessaire à l’intelligence de nos sociétés, de leur passé et de leur présent, de leur patrimoine littéraire et artistique, de leur système juridique et politique ». En 2002, le rapport Debray, L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque, proposera de renforcer l’enseignement de la culture religieuse dans les cours d’histoire, de français et d’histoire de l’art. Des propositions largement mises en pratique depuis.
Au Québec, ce questionnement s’est développé au tournant des années 2000 avec le rapport Proulx pour donner naissance en 2008 au cours Éthique et culture religieuse. À la différence de la plupart des pays, le Québec a choisi de faire de l’enseignement des religions une matière indépendante de la maternelle à la fin du secondaire, et qui devenait du coup presque aussi importante que le français, les mathématiques, l’histoire et l’anglais. On constate aujourd’hui que ce fut une erreur, car chaque nouveau problème ne nécessite pas la création d’un nouveau cours. Ce n’est pas sans raison qu’en dix ans, le cours ECR a réussi le tour de force de susciter l’insatisfaction aussi bien chez les athées que chez les croyants.
On nous dit qu’il était impérieux de réintégrer dans l’enseignement une certaine idée de la « spiritualité ». C’était oublier que, dans un pays laïque, les religions n’ont pas le monopole de cette quête de sens, qu’elles doivent partager avec les philosophies, mais aussi avec les savoirs et l’art en général. Tout comme, dans un État laïque, la liberté religieuse n’est qu’un élément de la liberté de conscience. Instaurer dans l’enseignement de base un cours distinct consacré aux seules religions, c’était les isoler sans raison et nier cette pluralité constitutive des États modernes. Il faudrait de plus nous expliquer comment on peut sérieusement parler de l’islam ou de l’animisme à un enfant de six ans sans sombrer dans la morale à deux balles et la folklorisation des religions.
Mais surtout, le cours ECR n’a jamais été conçu comme une façon de combler le vide culturel créé par l’accélération de l’histoire. Il a plutôt été programmé comme un nouvel apostolat destiné à « ouvrir à l’Autre » un peuple considéré comme tricoté trop serré et dont le professeur Michel Seymour n’hésite pas à dire qu’il vit… « dans l’inexistence de l’Autre » ! Il s’agissait donc de remplacer les vieux cours de religion et de morale par la nouvelle idéologie de l’heure, celle du multiculturalisme et des accommodements religieux. Dans cette nouvelle doxa, « l’Autre » se substituait au peuple élu et l’oecuménisme (prêchant le rapprochement des religions) devenait le nouveau catéchisme officiel. Le jupon idéologique du cours ECR a toujours dépassé, d’où les nombreux exemples montrant que derrière le « respect des religions » (toujours confondu avec celui dû aux croyants) se cachait en réalité l’interdiction de les critiquer.
Un certain nombre de personnes ont sincèrement défendu ce cours, y voyant une façon de ramener des connaissances dans une école noyée sous les « compétences ». Sa disparition ne devrait surtout pas être l’occasion d’en finir avec le savoir religieux. Au contraire, elle devrait nous permettre de débarrasser celui-ci des idéologies et du commentaire d’actualité auquel il se résume trop souvent afin de renouer avec l’enseignement des humanités. « Traditions religieuses et avenir des Humanités sont embarqués sur le même bateau, écrit Régis Debray. On ne renforcera pas l’étude du religieux sans renforcer l’étude tout court. »
En supprimant ce cours, le Québec a une occasion unique de consolider l’étude des sources religieuses de notre civilisation en confiant ces connaissances, non plus à des missionnaires de l’« ouverture », mais à de véritables professeurs d’histoire, de français ou d’histoire de l’art. Cela est d’autant plus important dans un pays qui, malgré un anticléricalisme parfois virulent, demeure fortement imprégné de catholicisme souvent sans le savoir. On oublie que la Bible est aussi une oeuvre littéraire et que les Lettres persanes de Montesquieu nous en apprennent plus sur l’islam que bien des textes contemporains. En histoire, la contre-réforme catholique devrait occuper une place centrale tant elle a influencé le Québec jusqu’à nos jours. Sans parler de notre patrimoine littéraire et artistique dont les sources religieuses sont évidentes.
La disparition du cours ECR est une chance. Il ne faudrait pas la rater.