L'homme-Amérique

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L'homme-Amérique






Il faut bien s’y faire. Donald Trump est devenu le 45e président de la jeune histoire états-unienne. La plupart des experts étaient pourtant formels. Rien n’y ferait. Donald Trump, homme d’excès, fils de Dieu (n’a-t-il pas répété la semaine dernière qu’il serait le plus grand créateur d’emploi que Dieu n’ait jamais crée), était condamné à disparaître. Trump serait victime de son hubris, de sa démesure, de ses passions incontrôlées. Et avec lui allait disparaître dans une nemesis collective et amplement méritée un parti républicain condamné à des années d’errance pour ne plus être en phase avec une société américaine en pleine transformation sociale et ethnique.


 

Dans les jours qui ont suivi les élections, certains ont tenté de se racheter en faisant valoir qu’ils ne s’étaient pas véritablement égarés dans leurs prédictions et que l’on pouvait continuer à leur faire confiance. Trump avait gagné l’élection sur le fil du rasoir nous a-t-on répété. Quelques votes de moins dans le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie et Hillary Clinton aurait assurément gagné une élection dont on sait qu’elle a remporté haut la main le vote populaire avec un peu plus de 48% des voix.


 

Ce qui m’a le plus frappé, dans la couverture médiatique abondante de ces derniers mois n’est pas tant l’assurance avec laquelle ce que Trump représentait a été balayé du revers de la main, ni ce qui ressemble à un parti pris évident de la plupart des experts et des journalistes pour Hillary Clinton, préférée au sympathique mais « populiste » et socialiste Bernie Sanders, ni le peu de recul critique par rapport au bilan d’Obama, mais le registre analytique qui a été choisi en général. Celui de la sidération. Trump était un phénomène incroyable. Impensable. Irrationnel. Anormal. Jamais vu. Imprévisible. L’Amérique poussée à son paroxysme. Sidération, au sens médical, selon Le Petit Robert, « Anéantissement soudain des fonctions vitales, avec état de mort apparente, sous l'effet d'un choc émotionnel intense ».


 

Experts et journalistes (pas tous, bien sûr) n’ont pas été à ce point sidérés, certes, mais je me demande si certains ne se sont pas contentés, parfois, du registre « du choc émotionnel intense », de la stupéfaction, provoquée et alimentée par les mots et les attaques de Trump, pour faire état de la situation politique aux États-Unis. La stupéfaction a été telle, selon moi, c’est une hypothèse qu’il faudrait vérifier, que le candidat Trump n’a pas été situé de manière toujours rigoureuse dans la longue durée de l’histoire américaine et notamment dans l’histoire des transformations du parti républicain à partir du milieu des années 60 et en particulier, en ce qui nous concerne aujourd’hui, du début des années 1980.


 

L’Amérique de Reagan


 

L’année 1980 marque l’élection triomphale de Ronald Reagan face au président sortant Carter. L’ancien acteur de série B et ancien gouverneur de Californie est porté au pouvoir par une large coalition – qui n’est pas sans rappeler la coalition improbable qui a mené Trump au pouvoir et bientôt à l’investiture. Les cols bleus américains, les électeurs traditionnels du parti démocrate depuis le New Deal, votent en nombre pour Reagan, pour la loi et l’ordre, pour des baisses d’impôts et pour une Amérique forte et conquérante fondée sur un gouvernement fédéral de taille réduite. Ces électeurs ferment les yeux sur ce que l’historien français Pierre Gervais nomme les « déclarations à l’emporte-pièce et [le] mépris total de Reagan pour les faits » pendant la campagne électorale.


 

Reagan, comme Trump, joue sur deux tableaux, le déclin et l’Amérique providentielle, pour convaincre et unifier ses électeurs. Comme Trump, Reagan joue, à sa manière, la carte de l’Amérique blanche suprématiste, notamment lors d’un discours prononcé en août 1980 dans le comté de Neshoba, dans le Mississippi. Il stigmatise les pauvres, les drogués, les syndicats, sans oublier toutes ces femmes profitant soi-disant de leurs allocations familiales pour mener la grande vie, femmes que Reagan a bien sûr totalement inventées. L’Amérique de Reagan est transformée en profondeur; les inégalités se creusent et les riches, comme un certain Donald Trump, s’enrichissent, souvent avec la complicité des Démocrates conservateurs au Congrès.


 

Après l’intermède du « conservatisme de la compassion » au début du premier mandat de George Bush fils, le parti républicain s’éloigne encore plus du centre au début des années 2000 et se rapproche des extrêmes, notamment de l’extrême droite religieuse. Tortures et mensonges, violences et racisme systémique dans les polices de certaines grandes villes américaines, écarts de richesse de plus en plus scandaleux, indifférence choquante de l’administration républicaine lors du passage de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans, la période Bush est marquée par une radicalisation à droite qui accouche au début de l’ère Obama du mouvement Tea Party. Trump n’est pas, dans cette brève mise en perspective, une anomalie complète, un homme imprévisible ou un simple bouffon – bien qu’il en soit un pour une partie de l’Amérique qui rit des frasques du personnage. Il s’inscrit dans un courant conservateur qui ne date pas d’hier. L’historien français, Romain Huret, le rappelait le 6 mars 2016 dans une tribune publiée dans le journal Libération, « Donald Trump est le résultat de décennies de mobilisations d’hommes et de femmes conservatrices dans les banlieues états-uniennes. […] Les propos sont souvent virulents, et les militantes ne sont pas les plus timorées. En cela, Trump leur ressemble pleinement, et leur choix n’a rien d’une folie ou d’une manipulation ».


 

Andrew Jackson


 

Trump était tellement outrancier et sidérant qu’un de ses célèbres prédécesseurs, le 7e président, Andrew Jackson, que l’on a comparé à Trump, a été présenté comme un personnage presque sans histoire. Jackson est un homme de l’ouest – il est né dans l’arrière pays de la Caroline du Sud de parents irlando-écossais. Apprenti sellier, il gravit tous les échelons pour devenir spéculateur terrien, esclavagiste, général, représentant du Tennessee au Congrès puis président en 1828. Jackson est l’incarnation du self-made man. Tout le contraire de Trump.


 

Les détracteurs de Jackson le décrivent, en 1828, comme un ivrogne, un criminel et un dévoyé et décrivent sa mère comme une prostituée. Insultes politiques à part, qui nous rappellent à quel point le langage politique avant Trump n’était pas moins outrancier et coloré, joue un rôle clé dans la déportation de dizaines de milliers d’autochtones de l’est à l’ouest du Mississippi, épisode célèbre de l’histoire des États-Unis qui se solde par la mort de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants.
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