À Zurich, sur le coup de 14 h mercredi, le président de la plus grande cimenterie du monde, Lafarge-Holcim, a tenté une fois de plus de mettre derrière lui des accusations de financement d’activités terroristes en Syrie jusqu’en 2014 à l’occasion de son assemblée générale.
« Ce chapitre est clos, a dit Beat Hess, le président du groupe. Le fardeau du passé est maintenant écarté. » Mais de fortes tensions demeurent autour du géant de la construction.
Au moment même où le président se voulait rassurant, des informations publiées par le quotidien en ligne Médiapart indiquaient que c’est le directeur de la sécurité de la cimenterie lui-même qui échangeait quotidiennement avec l’usine en Syrie.
Cet homme, Jean-Claude Veillard, fut candidat pour le Front national aux dernières élections municipales et est un « fervent soutien » de Marine Le Pen, laquelle promet paradoxalement de lutter contre le terrorisme.
Selon Médiapart, qui cite plusieurs documents à charge, la collaboration de Lafarge-Holcim avec le groupe État islamique avait conduit à divers appuis financiers en faveur du groupe terroriste : « achat de pétrole, dont la production était contrôlée par l’EI, fourniture de camions de ciment et paiement d’une taxe pour assurer le passage et la sécurité des employés de l’entreprise en Syrie ».
Parmi les groupes qui ont bénéficié de l’argent du géant en Syrie pour assurer le maintien de ses activités, on compte l’organisation État islamique, la branche syrienne d’al-Qaïda et le Front al-Nosra.
Presque bicentenaire, la compagnie franco-suisse Lafarge-Holcim, le plus important cimentier de la planète, a reconnu en partie avoir versé des commissions en Syrie à différents groupes terroristes afin d’y maintenir ses affaires à la cimenterie de Jalabiya, située à 150 km au nord d’Alep.
Absolution
L’augmentation des dividendes de 33 % cette année ne semble pas à la veille de faire taire la grogne qui monte contre l’entreprise.
Au moment où l’entreprise tenait à Zurich son assemblée générale mercredi, une organisation humanitaire suisse, Bread for All, a dénoncé pour sa part le travail allégué d’enfants dans une carrière de Lafarge en Ouganda.
Cette exploitation d’enfants, à raison de deux euros par jour, avait déjà été dénoncée par le passé. Le géant de la construction affirmait en mars au quotidien Le Monde qu’il s’approvisionnait en Ouganda auprès d’entreprises qui ont « des permis d’exploitation minière valides et respectant le droit du travail ougandais ». Plus de 30 % des enfants de moins de 14 ans sont envoyés au travail dans ce pays.
Le fonds suisse Ethos a décidé de recommander aux actionnaires qu’il représente de ne pas absoudre les membres actuels du conseil d’administration de Lafarge-Holcim. Pour le président d’Ethos, Vincent Kaufmann, cité par le journal français Challenges, « il est vraiment étonnant de voir tous les anciens administrateurs de Lafarge à l’époque des faits siéger encore aujourd’hui au conseil d’administration du groupe ».
Il regrette notamment que le Canadien Paul Desmarais fils, de Power Corporation, siège toujours au conseil d’administration.
« Le mandat de Bruno Lafont ne sera pas renouvelé cette année, mais les représentants du Groupe belge Bruxelles Lambert, deuxième actionnaire de Lafarge-Holcim, Gérard Lamarche et Paul Desmarais fils, ou le troisième actionnaire, l’Égyptien Nassef Sawiris, sont toujours là », a-t-il regretté.
Selon le fonds Ethos, les actifs de Lafarge-Holcim ont été « dégradés à “négatif”, selon notre “rating” de responsabilité sociale et environnementale des entreprises ».
L’entreprise Lafarge-Holcim est contrôlée par quatre grands actionnaires, dont le Groupe Bruxelles Lambert (9,43 %), composé du capital du Belge Albert Frère et de Power Corporation, de la famille canadienne Desmarais. Paul Desmarais fils compte ainsi parmi les plus influents des quatorze membres du conseil d’administration de l’entreprise.
Les autres grands actionnaires du cimentier sont l’héritier suisse Thomas Schmidheiny (11,4 %) et Nassef Sawiris (5 %), un Égyptien considéré comme l’un des hommes les plus riches de l’Afrique par le magazine Forbes.
Jointe par Le Devoir, l’assistante de Paul Desmarais fils, Lucie Thibault, a affirmé « ne pas avoir d’information à donner ». Par ailleurs, le chef du contentieux de Power Corporation, Stéphane Lemay, estime qu’il s’agit seulement d’« une participation minoritaire et indirecte de Power ».
Pour calmer le jeu, Lafarge-Holcim avait annoncé fin avril que son patron, Éric Olsen, allait quitter ses fonctions le 15 juillet prochain. Mais l’entreprise a alors précisé qu’il n’était « ni responsable ni pouvant être considéré comme informé » des « actes répréhensibles » du groupe en Syrie.
Le géant du ciment avait ainsi tenté de cristalliser la grogne autour de son patron, dont le salaire pour 2016 avait été hissé à 12,38 millions de dollars.
Politique béton
Au début de 2017, à l’occasion de l’élection de Donald Trump, Lafarge-Holcim avait affirmé « ne pas faire de politique ». Mais interrogée par l’AFP quant à sa possible implication dans la construction d’un mur anti-immigrants à la frontière mexicaine, l’entreprise avait manifesté son intérêt pour cette construction. Lafarge-Holcim se disait alors « prête à fournir [ses] matériaux de construction pour tous types de projets d’infrastructures aux États-Unis ».
Cette déclaration lui a valu une mise en garde sévère du ministre des Affaires étrangères français, puis du président de la France lui-même. Ce dernier a enjoint au cimentier de prendre ses distances d’un projet pareil.
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