L'héritage politique de Camille Laurin

La langue - un état des lieux


[->archives/auteurs/l/laurinc.html] Au moment où des études démo-linguistiques viennent confirmer [la minorisation du français dans la région montréalaise->archives/pol/assimilation/index.html], il convient de se repencher sur la « loi 101 », censée enrayer cette minorisation ? Il faut s’interroger sur le sens profond que cette « charte » pouvait revêtir aux yeux de son principal promoteur, [le Dr Camille Laurin->archives/auteurs/l/laurinc.html], à qui l’on a fait récemment des obsèques officielles ? La formule consacrée, qui fait à bon droit du Dr Laurin le « père de la loi 101 », ne tend-elle pas aussi à enfermer dans une étroite dimension linguistique l’action proprement politique du célèbre député de Bourget ?
Vingt ans de « loi 101 »
Il ne fait aucun doute que la « loi 101 », promulguée en 1977, a ralenti l’anglicisation systématique et généralisée des allophones. Mais l’étude démo-linguistique d’ensemble de [Marc Termote (Le Devoir, 30 mars 1999)->archives/pol/assimilation/chartiertermote1.html] démontre que leur assimilation linguistique à la minorité anglophone se perpétue à un taux qui tient de la pathologie sociale. La baisse démographique des francophones (passés de 60 % à 55,1 % de la population de la C.U.M. entre 1981 et 1996) et le quasi-maintien des anglophones (passés de 26,9 % à 25,3 %) ne s’expliquent pas par les taux de natalité, sensiblement les mêmes dans les deux populations. L’explication réside dans les transferts linguistiques vers l’anglais. Considérant les 28 villes de la C.U.M., les allophones passent à l’anglais dans près de 60 % des cas. Cela, conclut le démographe, « fait partie de l’incroyable réalité de la langue à Montréal, une réalité unique au monde ». Cette réalité, Camille Laurin l’appelait le « scandale » : scandale de l’assimilation des immigrants à la minorité, scandale de la transformation à terme de l’immigrant en assimilateur. À ce scandale voulait mettre fin la Charte de la langue française. Vingt-deux ans plus tard, le scandale continue. Le « père de la loi 101 » aurait-il échoué ?
Il faut dire que, sous les assauts du Canada et en particulier de Canadiens anglais de Montréal farouchement opposés à l’idée d’un Québec français, on s’est mis à lui trouver bien des « irritants » à la pauvre Charte de la langue française. Si bien que la Cour suprême du Canada, se moquant de la vaste majorité de la population québécoise, a réussi à en invalider des pans entiers.
Camille Laurin mort, The Gazette ironise. Le quotidien anglo-montréalais salue ce « grand Canadien » qui aurait fait la preuve, dans la pratique, que la protection du français est possible dans le cadre du fédéralisme canadien. Pour un journal qui, au cours de toutes ces années, n’a pas raté une occasion de fustiger Laurin et sa loi « fasciste », la récupération est méprisante et hypocrite. Les vingt dernières années, vécues sous le régime de la « loi 101 » ou de ce qui en restait, font au contraire la preuve que le cadre canadien a desservi la cause du français au Québec. Ce cadre a été la condition même du charcutage de la « loi 101 » : point d’appui de ses contempteurs, aussi bien que bâillon de ses défenseurs. C’est d’ailleurs invariablement dans le camp « fédéraliste » que cette loi, pourtant avalisée par la population québécoise, a trouvé et trouve toujours ses détracteurs les plus acharnés (y compris bien sûr ceux que The Gazette publie à pleines pages).
Clarification des oppositions politiques
Dès l’origine, la « loi 101 » contenait l’idée à la fois de sa nécessité et de son insuffisance. Le Dr Laurin voyait dans la Charte de la langue française une « thérapie collective » nécessaire, non seulement pour contrer le phénomène susdit d’assimilation contre-nature, mais aussi pour éveiller les Québécois à la réalité de leur propre cause, pour les élever à la hauteur de leur destin national. La « loi 101 » était l’instrument d’une prise de conscience et d’une émancipation politiques. Le ministre Laurin savait qu’une intervention législative majeure s’imposait en matière linguistique, mais il savait aussi qu’une telle intervention resterait insuffisante si elle n’était pas à terme conjuguée avec la pleine indépendance politique du Québec.
Le Dr Laurin savait aussi que la Charte allait susciter non tellement l’hostilité des adversaires du Parti québécois, des « amis d’en face » comme on les appelle à l’Assemblée nationale, mais celle plus profonde et décisive des adversaires de la cause québécoise elle-même. La Charte allait peut-être réveiller nos démons, mais elle allait surtout lever le voile sur nos véritables adversaires. Laurin entrevoyait que la Constitution de l’ « autre nation » serait mise à contribution pour combattre sa loi. Il savait que cette question supposément sectorielle commandait en réalité le positionnement de l’ensemble des forces politiques ; sans parler du fait que, dans l’immédiat, la paix sociale à Montréal dépendait de la solution de cette question « linguistique ».
La « loi 101 » a porté le combat politique du peuple québécois aux limites de ce qui est possible dans le cadre « provincial » et elle a mis ipso facto en évidence l’étroitesse et le caractère inadéquat de ce cadre. Elle a permis de rallier la presque totalité des Québécois derrière une cause commune, leur cause à eux, comme peuple. Pour la première fois, les Québécois (nous ne disons pas les Canadiens français) de toutes origines se sont levés à la défense d’une cause afférente à leur identité politique, à un élément constitutif de leur nationalité. Acte d’une nation accompli par « son » gouvernement, la « loi 101 » ne pouvait pas ne pas enseigner justement que, par-delà des clivages partisans dépassés, parlementaires ou électoraux, les Québécois constituaient une cause commune. Là réside toute la portée historique de la « loi 101 », en même temps que sa limitation : instrument d’une cause qu’elle ne pouvait accomplir seule et à laquelle elle ne saurait se substituer.
Politiquement, donc, la Charte de la langue française a eu l’effet d’un révélateur. Elle força les opposants à manoeuvrer à découvert (Parti Égalité ; Alliance Québec). Elle éroda l’alliance entre « Anglais » et « Canadiens français », sur laquelle a toujours compté le Parti libéral du Québec. En prise directe avec la volonté d’existence d’un peuple, elle força les négateurs de ce peuple à se montrer et braqua le projecteur sur les oppositions réelles.
On sait aujourd’hui avec précision, grâce aux études scientifiques des professeurs Termote et autres, ce que l’expérience directe de la vie à Montréal laissait deviner : la « loi 101 » n’a pas su assurer le « Québec français », ni mettre fin à l’anglicisation des immigrants, ni tenir tête aux contestations judiciaires canadiennes. Mais on doit savoir aussi qu’elle a été l’occasion et l’instrument d’une formidable clarification politique, dont nous sommes redevables au Parti québécois et en particulier au jugement et à l’opiniâtreté de Camille Laurin. Cette mise au clair des antagonismes réels était indispensable à la nation québécoise en voie d’émancipation politique. On sait maintenant que pour que Montréal parle français à l’unisson du Québec, il faudra qu’elle cesse d’être une tête de pont du Canada anglais. Pour cela, il faudra faire du Québec un État souverain. Devant l’évolution de la situation démo-linguistique montréalaise, proposer la restauration intégrale de la « loi 101 » n’aurait guère de sens et serait impraticable, sauf à sortir enfin de l’ « erreur fédérale ».
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Richard Gervais
Membre des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO)

Ce texte n’engage pas l’opinion des autres membres


avril 1999




- [source->archives/996/gervais101.html]


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