La Commission des droits de la personne veut ouvrir un débat sur la conciliation de la laïcité et des droits religieux
La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) somme l'École de technologie supérieure de refaire ses devoirs afin de mieux accommoder les étudiants musulmans qui souhaitent y faire leurs prières.
«Le caractère laïque [invoqué par] l'ETS ne la dispense pas de son obligation d'accommodement raisonnable à l'égard des étudiants de religion musulmane qui la fréquentent. [...] La liberté de religion protégée par la charte inclut le droit de manifester ses croyances religieuses par leur mise en pratique et par le culte», a déclaré hier le président par intérim de la CDPDJ, Marc-André Dowd, en dévoilant la décision de la Commission. La CDPDJ donne 60 jours à l'établissement universitaire pour s'entendre sur un accommodement raisonnable avec les étudiants musulmans.
La plainte date de 2003. À l'époque, les 113 étudiants musulmans en étaient rendus à prier dans la cage d'escalier, faute de locaux disponibles. Ces derniers revendiquaient alors un local attitré pour y faire leurs prières.
Sur cet aspect, la Commission ne leur a cependant pas donné raison. «L'obligation d'accommodement raisonnable n'est pas absolue, elle a des limites», a précisé M. Dowd en ajoutant que la Commission n'exige pas qu'un local soit réservé exclusivement aux musulmans. La notion d'accommodement raisonnable se limite ainsi à permettre aux musulmans de prier régulièrement «selon des conditions qui respectent leur droit à la sauvegarde de leur dignité».
Au-delà de cette décision, la Commission ressent le besoin de réfléchir de façon plus globale sur la place de la religion dans l'espace public. «La réponse au cas par cas nous apparaît insatisfaisante», fait valoir M. Dowd en citant notamment les dossiers du kirpan au secondaire et du voile dans les écoles privées. La CDPDJ entend donc lancer dans les prochains mois un débat public sur la façon de «concilier un idéal de laïcité avec le respect des droits religieux».
Si elle a accueilli la plainte sur les lieux de prière, la CDPDJ a cependant rejeté trois autres récriminations des étudiants musulmans. L'ETS est donc dans son droit, selon la décision de la Commission, de ne pas accorder un statut officiel à l'association des étudiants musulmans étant donné sa mission laïque. On a aussi écarté une plainte contre un des cadres de l'établissement pour propos discriminatoire, faute de preuve. La Commission rejette aussi la plainte portant sur une affiche posée dans les toilettes y interdisant le lavage des pieds.
L'École de technologie supérieure était avare de commentaires hier. «On va réviser l'ensemble du jugement de la Commission avec nos procureurs et on va rendre publique notre position lundi prochain», a précisé le directeur des communications, Jean Morin. Il précise toutefois que les étudiants musulmans ont déjà accès à des locaux de classes libres et que l'ensemble des classes sont disponibles le matin et pendant l'heure du dîner.
Le Centre de recherche-action sur les relations raciales, qui a déposé la plainte au nom des étudiants musulmans de l'ETS, fera quant à lui connaître ses réactions plus tard.
Du côté de la communauté musulmane, on se réjouissait hier de la ligne tracée par la Commission. Pour Sarah Elgazzar, porte-parole québécoise de CAIR-Can, l'aménagement d'une salle multiconfessionnelle pour la prière et la méditation serait le dénouement logique à ce litige. Elle se réjouit de voir apparaître des balises un peu plus claires sur la notion d'accommodement raisonnable à l'égard de la pratique religieuse. «C'est intéressant de voir que la Cour suprême, avec la décision sur le kirpan, et la Commission aujourd'hui assument un leadership pour trouver un équilibre entre une société séculière et le droit à la religion», a affirmé Mme Elgazzar.
Au Mouvement laïque québécois, on trouve la décision «assez modérée», compte tenu de la jurisprudence. Le MLQ juge cependant qu'il y a une dérive de la jurisprudence en exigeant que des établissements fournissent aux croyants les instruments de leur pratique religieuse. «Dans le cas de la liberté d'opinion, on n'exige pas de fournir les outils nécessaires à l'exercice de cette liberté d'opinion», affirme le président du MLQ, Henri Laberge.
Cette décision de la Commission pourrait avoir des répercussions au-delà des murs de l'École de technologie supérieure. Des étudiants musulmans de l'université McGill ont en effet déposé une plainte similaire en décembre dernier, après avoir perdu leur local de prière en octobre. «Cela a pris tellement de temps à l'ETS, on espère que cela va aller plus vite à McGill et que l'administration va discuter», a fait valoir le président de l'association des étudiants musulmans de McGill, Nafay Choudury, soulignant que les musulmans prient actuellement dans des corridors de l'université.
La direction de McGill a quant à elle pris bonne note de la décision. «Nous étudions la décision et évaluons les répercussions qu'elle pourrait entraîner pour l'université», a indiqué Anthony C. Masi, vice-principal exécutif de McGill.
L'administration souligne cependant qu'il est possible de prier dans des lieux tranquilles, tels que la bibliothèque ou des classes vides, mais qu'elle ne se sent pas obligée de fournir aux groupes religieux un espace permanent réservé à la prière.
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