À titre de directeur du Centre universitaire de Val-d’Or, j’ai eu la chance de travailler avec de nombreux professeurs de cégep et d’université, dont le professeur Charles Bergeron, à un projet d’intégration pédagogique cégep/université entre 1992 et 1995, juste avant de devenir directeur de l’École du Barreau du Québec.
Le professeur Bergeron fut un des fondateurs de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue dans les années 70, alors qu’elle fut successivement une succursale du réseau de l'UQ, de Trois-Rivières et de Hull, bien avant qu'elle reçoive officiellement ses lettres patentes des mains de René Lévesque en 1984.
Charles Bergeron m’expliqua de long en large quel était notre rôle en région. Pourquoi nous avions une mission si importante pour l’avenir de notre collectivité et de nos enfants.
«Louis, ici, nous permettons à des jeunes et des plus vieux de faire des études universitaires qu’ils n’auraient jamais pu imaginer entreprendre tant les grandes universités sont loin et leurs moyens personnels restreints. Nous faisons œuvre de pionniers.
Le réseau des Cégeps et de l’Université du Québec ont été bâtis pour permettre cette accessibilité aux moins nantis qui avaient le talent et la volonté de faire des études collégiales et universitaires dans des techniques et des disciplines universitaires comme les sciences infirmières, l’éducation, l’administration, la comptabilité, le travail social et la psychoéducation.
À l’image d’une forêt qui se métamorphose au fil des années, nous avons planté de petits sapins là où il n’y avait que du tremble, espérant qu’un jour pousserait sous le sapinage de grands pins majestueux.»
Charles Bergeron me répétait sans cesse qu’un premier diplôme universitaire dans une famille de fermiers ou d’ouvriers, surtout celui d’une mère qui avait décidé de demeurer quelques années à la maison après ses études pour élever ses enfants, allait changer cette bonne vieille habitude de croire que l’université c’était pour les autres, pour les plus riches.
Ces mères et ces pères encourageraient un jour leurs enfants à poursuivre leurs études afin de briser ce discours défaitiste que j’ai tant entendu, ayant vu plusieurs de mes brillants collègues de classe lâcher l’école parce qu’il n’avait pas les moyens d’aller poursuivre à Montréal, Québec ou Sherbrooke.
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Charles Bergeron m’a également fait découvrir les vertus des statistiques.
Là où il y a des cégeps, le taux de succès des étudiants au secondaire est plus élevé en raison du phénomène d’expectative de faire des études plus poussées au cégep ou à l’université.
Les chiffres le prouvent, la présence d’un collège a une incidence directe sur la réussite scolaire et le taux de passage à l’ordre supérieur pour la population habitant dans un rayon de 25 km du lieu de l’établissement collégial ou universitaire.
En multipliant les antennes collégiales et universitaires, le gouvernement du Québec a réussi, depuis 1968, à augmenter les taux de passage et de réussite de nombreuses premières générations d’enfants qui autrement n’auraient jamais été à l’université.
L'autre facteur qui influence les taux de passage et la réussite est de bas droits de scolarité. Voilà pourquoi ils ont historiquement été maintenus aussi bas au cours de toutes ces années.
Cela correspondait aux vœux et aux vues des hauts fonctionnaires du ministère de l’Éducation. J’ai connu plusieurs de ces sous-ministres, recteurs et directeurs de collège dont la grande rigueur invitait à la prudence sur cette question, sachant d’où nous venions collectivement comme société et se rappelant surtout des recommandations du rapport Parent à ce sujet.
La réussite, l’accessibilité et la gratuité sont des facteurs concomitants du succès scolaire. L’absence d’un seul de ces facteurs peut causer l’échec des deux autres. Lorsqu’on nous propose d’augmenter considérablement les droits de scolarité à l’ordre universitaire, on met donc inévitablement en péril l’accessibilité et la réussite d’une importante proportion de la population. Quand succès scolaire et gratuité universitaire vont de pair
Bien sûr, il y aura toujours des dirigeants pour oublier ou méconnaître leur histoire des cégeps et des universités du Québec, comme l’ancien recteur Robert Lacroix de l’Université de Montréal et l'actuelle rectrice de l’Université de Sherbrooke dont le discours est totalement déconnecté de la réalité et des circonstances de la fondation de ces deux réseaux. Me Luce Samoisette ne représente pas simplement un client, son université, elle est responsable du succès scolaire de nos enfants, ceux qu’on lui a confiés.
Le discours creux de l’ancien chef de cabinet de François Legault et actuel directeur de la CREPUQ, Daniel Zizian, n’est guère plus inspiré tant il semble limité à une logique purement comptable.
Comment ne pas s’interroger sur cette perte de repères de la nouvelle génération de dirigeants à qui nous avons confié la gestion de nos universités ?
Les universités nous avaient habitués à plus de nuances. Leur actuel discours jusqu’au-boutiste étonne et sonne faux dans un univers qu’on croyait plus critique. Il tranche avec le passé. Leurs gros sabots tonnent et détonnent tant, qu’on se croirait dans un mauvais film d’Elvis Gratton.
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Compte tenu de la philosophie qui est à la base de la création du réseau des cégeps et des universités du Québec, je n’ai aucun doute que plusieurs recteurs et directeurs d'universités et de collèges situés en région ou visant des clientèles plus défavorisées, comme ceux de Rimouski, Rouyn-Noranda, Saguenay et de Gatineau sont inquiets.
La suggestion du recteur Ringuet de Rimouski d’ouvrir une médiation entre les étudiants et le gouvernement reflète bien ce sentiment que plusieurs partagent en secret, gardant le silence de peur de voir le gouvernement briser le pacte de financement qu'il a convenu avec les universités.
Pas de hausse de subvention pour les universités s’il n’y a pas de hausse des droits de scolarité qui l'accompagne!
Ayant déjà brièvement travaillé sous la direction du recteur Claude Corbo dans les années 1990, avant d’aller diriger le Centre universitaire de Vald’or, je n’ai aucun doute qu’il connaît très bien les risques que comporte cette hausse dramatique pour la clientèle la plus fragile du réseau de l’UQ. Celle qui vient de la basse classe moyenne dont les revenus et ressources financières sont limités.
Les emplois sont plus rares en région, surtout durant l’année scolaire. Comment feront ces étudiants issus de la basse classe moyenne pour augmenter leurs revenus s’ils n’ont ni droit à des bourses, ni à des prêts? Comment feront leurs familles?
Il y a forcément un haut risque de baisse de fréquentation universitaire pour cette clientèle qui vise le premier baccalauréat de la famille, ce que Charles Bergeron appelait si affectueusement le sapinage.
Si Claude Corbo, recteur à l'UQAM, exerçait encore son droit de parole comme il le faisait jadis si éloquemment, il nous parlerait certainement de ses craintes pour le réseau de l’UQ qui est encore un réseau relativement fragile en raison des conditions dans lesquelles il s’est développé, là où l’idée même d’aller à l’université était impossible à concevoir, alors que c’était un privilège limité à la seule portée des plus riches.
Ce silence des gouverneurs et des présidents de conseil d’administration du réseau de l’Université du Québec est inquiétant et n’est certainement pas étranger au fait que le gouvernement libéral de Jean Charest ait nommé tous les membres des conseils d’administration de ces universités depuis son élection en avril 2003.
Cette belle unanimité des universités du Québec ne s’appuie donc sur aucune logique pédagogique, elle est purement politique, sinon comment expliquer l’incompréhensible silence des recteurs du réseau de l’Université du Québec ? Ceux qui ont la responsabilité de transmettre cet héritage aux générations à venir !
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Sur le même sujet :
Quand succès scolaire et gratuité universitaire vont de pair
Le Québec au temps des clubs privés
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Ajout du 25 mars 2012
À la suite de la publication de la présente chronique, Vigile a reçu un commentaire non identifié provenant probablement du service des communications de l’UQ. Le modérateur a jugé bon de ne pas le publier.
Après lecture du rapport qui y est cité par l’expéditeur anonyme, force m'est de constater que l’information contenue dans le rapport du Comité sur l’accessibilité financière aux études de l’UQ est d’intérêt public étant riche en statistiques sur les effets probables de la hausse des droits de scolarité sur l'accessibilité aux études universitaires.
Il confirme entre autres mon hypothèse au sujet de l'inquiétude des dirigeants de l’Université du Québec et recommande au gouvernement et au MELS une série de mesures visant à bonifier les programmes de bourses et de prêts pour la classe moyenne en augmentant les montants versés, en élevant les plafonds de revenus et en élargissant les catégories d’étudiants visés.
À cet égard, contrairement au gouvernement, ce rapport reconnaît la légitimité de plusieurs demandes de la FEUQ, d'où son intérêt pour les lecteurs.
On peut être choqué par l'étrange et inquiétant silence des recteurs et gouverneurs de l'UQ et critiquer leur timidité face à la hausse des droits de scolarité décrétée par le gouvernement, mais le rapport du comité est suffisamment étoffé pour qu’on puisse conclure différemment sur les mesures proposées au gouvernement, en particulier au sujet des effets positifs qu’aurait la gratuité scolaire sur la fréquentation universitaire des étudiants provenant des classes pauvres et moyennes comme le propose la CLASSE.
L.L.
Voici donc ce commentaire et ce lien:
Commentaire
Le réseau de l’Université du Québec est plutôt proactif !
La participation aux études universitaires dans un contexte de hausse des droits de scolarité
http://www.uquebec.ca/communications/documents/Rapport_CAFE.pdf
Adopté par l’Assemblée des gouverneurs de l’Université du Québec en décembre 2011, le Rapport du Comité sur l’accessibilité financière aux études dresse un état de situation de la hausse des droits de scolarité dans les établissements du réseau. Il contient également un examen des effets possibles de la hausse des droits de scolarité sur l’accessibilité financière aux études ainsi qu’une réflexion sur les bonifications pouvant être apportées par les établissements pour améliorer le soutien financier accordé à leurs étudiants.
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3 commentaires
Archives de Vigile Répondre
27 mars 2012Chaque recteur attend son financement, à la fois du gouvernement et des entreprises amies du gouvernement. La même clique, quoi! De plus, les recteurs font souvent partie de la clique. Nous avons assisté depuis quelques années à la politisation de la gouvernance des universités. Elles sont devenues un maillon important du système de graissage de pattes et de favoritisme.
Comme tout cela est triste!
Le néolibéralisme a répandu son air infect partout.
Archives de Vigile Répondre
24 mars 2012Monsieur Lapointe,
La réponse, je suis certain que vous la devinez.
C'est que la guerre de classes s'est accentuée partout dans le monde depuis les vingt dernières années, en particulier depuis les nébuleux attentats du 11 septembre 2001 que la classe riche dominante a pu utiliser pour asseoir son pouvoir et ses privilèges en établissant une société sous contrôle et surveillance et un État davantage policier pour protéger le statu quo socio-économique qui leur assure pouvoir, contrôle, richesse et statut social valorisant et avantageux.
Archives de Vigile Répondre
23 mars 2012La participation aux études universitaires dans un contexte de hausse des droits de scolarité
http://www.uquebec.ca/communications/documents/Rapport_CAFE.pdf
Adopté par l'Assemblée des gouverneurs de l'Université du Québec en décembre 2011, le Rapport du Comité sur l’accessibilité financière aux études dresse un état de situation de la hausse des droits de scolarité dans les établissements du réseau. Il contient également un examen des effets possibles de la hausse des droits de scolarité sur l’accessibilité financière aux études ainsi qu’une réflexion sur les bonifications pouvant être apportées par les établissements pour améliorer le soutien financier accordé à leurs étudiants.