L'éteignoir et le miroir aux alouettes

Jusqu'à la fin, néanmoins, il sera resté prisonnier d'un cadre d'analyse qui lui a systématiquement fait confondre les causes et les effets.

Chronique de Robert Laplante

Lucien Bouchard n'était pas l'homme de la situation. Il a eu la lucidité de le reconnaître, le courage d'en tirer les conclusions. Il faut lui en savoir gré.
Jusqu'à la fin, néanmoins, il sera resté prisonnier d'un cadre d'analyse qui lui a systématiquement fait confondre les causes et les effets. L'homme qui pense avoir échoué à raviver la flamme souverainiste n'a jamais compris que c'est sa politique qui a eu l'effet d'un éteignoir. Lucien Bouchard s'est enfermé dans la gestion de la province de Québec. Or la politique provinciale est contraire à nos intérêts nationaux. Elle a sur leur lecture et leur défense un effet soporifique défavorable non seulement à la promotion
de la souveraineté mais contraire à l'expression de nos intérêts collectifs. La province de Québec est un lieu d'enfermement.
Lucien Bouchard, en succombant au syndrome du «bon gouvernement» a pensé que la saine gestion, la rigueur comptable et les statistiques économiques produiraient,
par elles-mêmes, un effet rassembleur.
Sur le plan politique, il n'y a pas de continuité entre la logique provinciale et celle de l'émancipation qui doit être au coeur de l'action d'un gouvernement souverainiste. La politique provinciale est celle du compromis, de la soumission
minoritaire à un ordre étranger refusant obstinément de reconnaître notre différence. Le négociateur Bouchard n'a pas compris que la négociation ne peut pas se faire dans un cadre où les deux protagonistes ne partagent ni les mêmes paramètres d'évaluation ni les mêmes fins. La politique
provinciale consiste précisément à agir sans tenir compte de cette vérité élémentaire.
Il était condamné à l'impuissance et aux lamentations parce qu'il n'a pas réalisé que le champ d'action du Québec ne peut s'ouvrir qu'en faisant éclater celui de la province de Québec. À cet égard, la décision qui symbolise et résume le mieux l'erreur stratégique fondamentale du gouvernement Bouchard est bien celle de la fermeture des délégations
du Québec à l'étranger. Il fallait en ouvrir davantage, pas en réduire le nombre. Une lecture adéquate des intérêts de la nation aurait imposé l'évidence d'accorder priorité à l'élargissement de notre présence et de nos moyens d'action
dans le monde. La politique provinciale l'a ramené aux incantations sur la mondialisation. Et aux camouflets à répétition, à chaque fois qu'un ministre québécois cherche à sortir de la bourgade : il est sans moyen et totalement à la merci des ambassades canadiennes.
Lucien Bouchard n'aura pas compris que la logique provinciale amène inéluctablement à poser l'évaluation des politiques dans la logique de la minimisation des pertes. Le Québec se fait rogner ses compétences en éducation
? Les Bourses du millénaire donnent néanmoins lieu à un compromis, les chèques sont émis! Bof ! Ce n'est pas si grave...Le régime d'assurance-emploi est contraire aux façons de voir sur lesquelles nous faisons consensus: il y aura bien moyen de faire quelques pirouettes administratives.
Les fonds manquent en santé? Une alliance avec Harris permet d'en obtenir, mais pas suffisamment. La province va continuer de réclamer et du même coup le premier
ministre grimace un sourire en présentant la chose comme une demi-victoire qui fera du bien.
C'est ainsi que les Québécois lui sont apparus impassibles
devant les menées outaouaises. N'ayant pas de projets
tangibles mis en oeuvre pour confronter Ottawa, le gouvernement provincial devient l'artisan de l'ambivalence
qu'il cherche à combattre. Telle est la fatalité de la minorisation à laquelle nous condamne le carcan canadian : chaque compromis porte sa dose de compromission. Jusqu'à que nous finissions par vivre dans des cadres indifférents
sinon hostiles à que nous sommes. La politique provinciale nous tient comme des grenouilles dans un chaudron lentement porté à ébullition...
C'est pour s'être enlisé dans cette logique provincialiste que le gouvernement Bouchard s'est fait placer sur la défensive
avec les matériaux mêmes de ses innovations. Il fallait rassembler autour de gestes qui consacraient la rupture en posant des solutions incarnant des choix de société conformes
à nos besoins. C'est ainsi qu'au lieu de forcer le jeu en lançant contre Ottawa un régime de congés parentaux conformes aux besoins du Québec, Lucien Bouchard s'est fait « voler » l'idée et encarcané dans un programme fédéral qui reste insatisfaisant mais qui a le mérite d'exister.
Ne lui restaient plus que les lamentations, les indignations. Les sparages Ottawa joue au paquet-voleur avec le Québec. Et il a l'intelligence de ne pas tout prendre, histoire de laisser de la matière pour la politique provinciale.
La souveraineté n'est pas d'abord une affaire de ferveur. C'est un projet, pas une fièvre. Sa promotion passe par des gestes qui incarnent à la fois le refus de l'ordre canadian et l'affirmation d'une façon de voir et d'agir conformes à nos intérêts. Un gouvernement souverainiste au pouvoir à Québec n'est pas là pour gérer la province de Québec mais bien pour servir au mieux nos intérêts nationaux. C'est pourquoi il est condamné à forcer le jeu, à inscrire la gouvernance
dans une logique d'arrachement aux contraintes provinciales qui masquent la lecture et la poursuite de nos intérêts. C'est par une politique et non par une rhétorique qu'il faut faire la pédagogie de la souveraineté. Il ne suffit pas d'en parler pour en faire la promotion : il faut l'illustrer et en faire comprendre la nécessité dans des projets rassembleurs qui cristallisent les intérêts et mobilisent les potentiels.
Les débats qui s'imposent dans la course à la succession de Lucien Bouchard seront, de toute évidence, marqués par cette même tentation d'en rajouter sur la rhétorique sans toucher au modèle provincialiste sous-jacent à la gouverne actuelle du gouvernement. Il y a même fort à parier que des voix s'élèvent pour tenter de finasser avec l'objectif plutôt que de revoir ce paradigme si confortable pour les
ministres en poste et pour une machine bien rodée à gérer la province.
Quelques couacs ont déjà surgi pour dire qu'un statut de province catalane ferait peut-être l'affaire. C'est désolant d'avoir à le répéter, toute formulation de réaménagement des voies politiques qui passe par l'approbation
préalable d'Ottawa ne sera qu'un faux-fuyant. La question québécoise est réglée au Canada : rien de plus que la loi sur les langues officielles et un statut de province comme les autres, c'est tout ce qu'il y a, et c'est à prendre ou à laisser.
Il faut revoir le cadre stratégique, c'est évident. Mais il faut le faire en l'expurgeant des réflexes et des catégories provinciales. Chercher à tergiverser avec l'objectif participe justement de cette logique tordue du compromis de minorisation avec laquelle il faut rompre. C'est le refus de comprendre que le « bon gouvernement » souverainiste n'est en rien un bon gouvernement provincial qui pousse les velléitaires à se laisser fasciner par le miroir aux alouettes qui fait paraître la démission pour le renouveau.
Robert Laplante

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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