Depuis quelque temps, à la suite des affaires Weinstein, Matzneff, Rozon et tutti quanti, on s’en prend à quelques symboles de mai 68. Je parle, entre autres, du fameux slogan « Il est interdit d’interdire ». Il est trop facile, selon moi, d’expliquer des comportements erratiques, criminels et dégueulasses par l’époque dans laquelle on vit.
Je me souviens que lors de mon exil parisien, dans les années soixante-dix, j’avais été frappé par le nombre d’interdits qu’on voyait un peu partout, sur les murs de la ville, dans les transports publics, etc. Interdit de cracher, interdit de mendier, interdit de crier, interdit d’uriner sur la voie publique, etc.
Mai 68, c’était un mouvement de revendications de toutes sortes. Il y avait un ras-le-bol général contre une société sclérosée et encarcanée dans ses traditions et ses interdits innombrables. On a littéralement mis l’imagination au pouvoir, en libérant la parole de multiples façons, aussi bien dans les usines comme chez Renault que dans les universités, et surtout dans la rue où les murs ont pris la parole. C’est ainsi qu’on a vu fleurir ces fleurs de macadam, ces « Il est interdit d’interdire », « Soyons réalistes, exigeons l’impossible » (qu’on attribue au Che Guevara), « Tout est politique », « Je suis marxiste tendance Groucho », « Sous les pavés, la plage », « Prenez vos désirs pour la réalité », etc.
Je n’ai jamais pensé que le slogan soixante-huitard « interdit d’interdire » pouvait avoir une connotation sexuelle, comme on l’entend sur les réseaux dits sociaux, en marge de l’Affaire Matzneff. « On aura beau ergoter ad nauseam sur mai 68, le fait est que la pédophilie est un crime et que les prédateurs d’enfants n’ont ni « époque », ni frontière, ni classe sociale », affirme avec raison Josée Legault dans une récente chronique.
La Révolution tranquille, au Québec, et le Mai 68 en France sont venus secouer nos mœurs dominés, jusque-là, par la religion très catholique. Ici au Québec, au plan social, les barrières qui retenaient nos passions, nos élans, nos désirs d’émancipation ont littéralement volé en éclats, tout comme la famille traditionnelle. Finies les menaces de brûler éternellement en enfer, finis les péchés d’adultère, finies les pénitences et les excommunications, fini d’être né pour un petit pain.
Au plan sexuel, cela a signifié qu’on pouvait désormais vivre en union libre sans être unis par le lien du mariage, on pouvait se divorcer, on pouvait afficher son homosexualité sans être discriminé. Désormais, « les femmes font l’amour librement » (grâce, entre autres, à la contraception et l’avortement), comme le clame la chanson
C’est le début d’un temps nouveau, écrite par Stéphane Venne et magnifiquement interprétée par Renée Claude. Jean-Pierre Ferland, de son côté, chante : « Ho, quelle vie d’orgie, quel monde de sexe, y’a plus rien a l’index/Les hommes aux hommes, les femmes aux femmes/Les hommes au deux, les femmes au trois/Quand j’dirais go, mélangez-vous et puis swingnez votre compagnie. » Et des hommes (surtout) sortent du placard et affichent leur homosexualité, dont des artistes connus et des politiciens.
Doit-on voir dans ces chansons, dans ces slogans soixante-huitards une incitation au viol et à la pédophilie? Des salauds, des violeurs, des abuseurs d’enfants, il y en a eu à toutes époques, dans toutes les sociétés. Aussi bien dans la Grèce antique et dans la Rome antique que dans notre société post-soixante-huit. Cela n’a rien à voir avec la Révolution tranquille. Pourquoi ne pas accuser Marx et Freud d’incitation à la pédophilie, tant qu’à y être? N’ont-ils pas tous deux prôné une libéralisation des mœurs? Le poète Charles Baudelaire n’a-t-il pas été condamné pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs » lors de la publication de son recueil Les fleurs du mal, en 1857, soit plus de cent ans avant Mai 1968? Avec la publication de son Madame Bovary, à la même époque, Gustave Flaubert sera poursuivi pour les mêmes motifs mais il sera, lui, acquitté.
Ou je suis extrêmement naïf ou je crois qu’on tente de réécrire l’histoire après coup. Je pense, quant à moi, qu’il est encore et toujours nécessaire de s’opposer aux censeurs et aux gourous de la pensée formatée. Le triste anniversaire de la tuerie de Charlie Hebdo nous le rappelle aujourd’hui. Et plus que jamais, « faites l’amour et pas la guerre ».