ÉLECTIONS BRITANNIQUES (1/3)

L’Écosse revient au centre du jeu politique

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De l'importance de voter en Bloc ici comme en Écosse

«Si le SNP l’emporte jeudi, cela veut dire que l’idée de l’indépendance a fait de grands progrès. » David Nummey a parcouru l’Asie et l’Amérique avant de se fixer à Londres, en 1992, où vivent comme lui un quart de million d’Écossais. Responsable de la section londonienne du Scottish National Party (SNP), il s’attend à voir bientôt débarquer à Londres près d’une cinquantaine de députés indépendantistes. « Jamais je n’aurais cru cela possible après la défaite du Oui au référendum de l’an dernier », dit-il.

Si ce scénario rappelle aux Québécois les victoires du Bloc québécois à Ottawa après le référendum de 1995, la surprise de David Nummey est aujourd’hui celle du Royaume-Uni tout entier.

Donnés pour morts, après la défaite du Oui au référendum de septembre dernier (45 % à 55 %), les indépendantistes écossais sont miraculeusement de retour, au point de détenir entre leurs mains le sort de l’élection nationale. À trois jours du scrutin qui doit décider de la réélection du conservateur David Cameron, le SNP devrait décrocher entre 40 et 50 des 59 circonscriptions écossaises, alors qu’il n’en détient que 6 actuellement. Un sondage réalisé pour la télévision écossaise prédit même un balayage complet de l’Écosse. Quel que soit le résultat exact, le parti travailliste traditionnellement majoritaire en terre écossaise se prépare, avec quelques-uns de ses principaux leaders nationaux, à subir une raclée historique.

Du coup, dans ce scrutin parmi les plus imprévisibles de l’histoire britannique, le SNP pourrait s’imposer comme le seul parti en mesure de permettre aux travaillistes dirigés par Ed Miliband de former de justesse une coalition de gauche capable de gouverner le pays. Un peu comme si le Bloc à Ottawa avait un jour tenu entre ses mains le sort d’une coalition formée des libéraux et du NPD. Si David Cameron échoue à rassembler une coalition à droite, tel est le scénario qui se profile à gauche après le scrutin du 7 mai.

Une nouvelle dévolution

Accusé de livrer le pays à ceux qui veulent le détruire, Ed Miliband jure que non seulement il n’est pas question de s’allier avec le diable, mais que jamais au grand jamais il ne négociera avec le SNP. Ce à quoi la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, devenue la vedette de cette campagne, rétorque que si Miliband est ainsi prêt à livrer le pays aux conservateurs, c’est bien la preuve qu’on ne peut pas lui faire confiance à gauche et qu’il faut voter SNP. Les derniers jours de la campagne ont été le théâtre d’un véritable bras de fer entre ces frères siamois qui devront pourtant se résoudre à se parler dans l’éventualité où une coalition entre les travaillistes et les libéraux démocrates pourrait gouverner le pays avec le soutien implicite du SNP.

« C’est le signe que nous avons perdu une bataille, mais pas la guerre », dit David Nummey, même s’il ne croit pas à un nouveau référendum dans l’immédiat. En attendant, le soutien du SNP à une coalition de gauche pourra au moins servir à arracher à Londres un plus grand nombre de compétences, dit-il.

Contrairement à ce qui s’est passé après le référendum québécois de 1995, après la victoire du Non, les partis se sont entendus à Westminster pour offrir de nouvelles compétences à l’Écosse. En février, la commission Smith a proposé de décentraliser l’impôt foncier et une partie des recettes de la TVA. Composée de représentants des principaux partis, la commission suggère aussi de remettre à Édimbourg une grande partie des Affaires sociales.

Face à cette nouvelle dévolution, le premier ministre David Cameron a d’ailleurs proposé d’accorder un droit de veto aux députés anglais sur les sujets qui les concernent en propre afin que « les Anglais votent les lois anglaises » (English votes for English laws), a-t-il dit.

Baroud d’honneur ?

Dans le sud de la Grande-Bretagne, on s’inquiète en effet de voir les indépendantistes écossais voter des lois qui ne seront jamais appliquées en Écosse. Une coalition dirigée par Ed Miliband avec le soutien du SNP risque de soulever une telle colère en Angleterre qu’il faudra bien lâcher du lest, estime le président du conseil du think tank indépendant Demos, David Goodhart. « Pour faire accepter une telle coalition, il faudrait que le SNP accepte de s’abstenir en chambre sur les sujets qui ne concernent que l’Angleterre, dit-il. Ce pourrait être la base d’un accord permettant d’éviter un backlash dans le reste du pays. »

David Goodhart ne croit pas que le SNP tiendra jamais un second référendum. « Surtout s’il est présent en force à Westminster, le SNP se contentera du home rule. La dévolution à venir viendra calmer le nationalisme en Écosse. »

Plusieurs analystes estiment qu’il y a d’ailleurs des limites au chantage que le SNP pourra exercer sur les travaillistes. Si jamais le SNP devait faire tomber un gouvernement travailliste, jamais son électorat ne le lui pardonnerait. Or, les prochaines élections écossaises sont en 2016.

Le chroniqueur du Sunday Times Niall Ferguson voit dans ce vote en faveur du SNP une sorte de dernier baroud d’honneur des indépendantistes. Si les électeurs écossais s’apprêtent à envoyer autant de députés indépendantistes à Westminster, écrit-il, c’est simplement pour se consoler des « regrets » et des « remords » qu’ils ont éprouvés après avoir dit non à l’indépendance.

Alex Salmond à Westminster

Pourtant, une majorité de Britanniques est toujours convaincue que l’Écosse sera indépendante d’ici 20 ans. Ces jours-ci, David Nummey organise le transport pour permettre aux 600 membres du SNP à Londres d’aller prêter main-forte aux militants écossais. Parmi eux, nombre se réjouissent de voir arriver à Londres l’ancien leader du SNP Alex Salmond, qualifié depuis des années par la presse britannique de « meilleur politicien du Royaume-Uni ».

Salmond à Westminster, c’est un peu comme si, en 1995, au lieu de quitter le Parti québécois, Jacques Parizeau avait choisi de diriger le Bloc. L’arrivée de Salmon va braquer les projecteurs sur le SNP, croit Simon Griffiths. Le politologue de l’Université de Londres attribue ce fort vote en faveur du SNP à la façon dont David Cameron a accueilli le Non écossais. « Au lieu d’unir le pays, il a proposé une réforme constitutionnelle afin de protéger l’Angleterre de l’influence écossaise à Westminster ». Selon lui, les députés indépendantistes à Londres auront l’occasion de « démontrer leur compétence face au reste du pays ». Si Nicola Sturgeon n’a pas encore révélé si elle était en faveur d’un second référendum, Griffiths est convaincu qu’Alex Salmond, lui, rêve toujours d’être le premier premier ministre de l’Écosse indépendante. « Rien ne le fera dévier de ce chemin. » Sans compter que Salmon risque de ne pas se contenter des quelques compétences supplémentaires proposées par la commission Smith.

Curieux parallèle historique. L’an prochain, on fêtera les 100 ans de la Révolte de Pâques qui mena à l’indépendance irlandaise. Or cette révolte avait été précédée par l’envoi d’un fort contingent nationaliste à Westminster obligeant le gouvernement libéral de H. H. Asquith à gouverner avec leur soutien. Nul doute qu’Ed Miliband, qui a étudié à Oxford, connaît sur le bout des doigts cette période cruciale de l’histoire de son pays.


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