Plus que huit jours avant le référendum de l’indépendance de l’Écosse, et tous les sondages pointent vers un résultat très serré, à l’image de celui du Québec en 1995, alors que personne il y a encore trois mois ne donnait de grosses chances au camp du OUI tant l’écart entre les deux options semblait presque insurmontable en faveur du NON.
La possibilité d’une victoire du OUI semble si réelle qu’un vent de panique s’est mis à souffler sur Londres, et que tous les bénéficiaires de « l’Union » (le pacte politique entre l’Angleterre, le Pays de Galles, l’Irlande du Nord et l’Écosse auquel le Royaume-Uni doit son nom) sont mobilisés pour un dernier blitz qui ressemble à s’y méprendre à celui des forces fédéralistes au Canada en 1995 pour barrer la route aux indépendantistes québécois.
Vous remarquerez comment je prends la peine de décrire la situation de 1995, en opposant les forces fédéralistes du Canada aux indépendantistes québécois, pour mieux souligner combien nous étions naïfs de penser que le référendum serait une affaire exclusivement québécoise qui se réglerait entre fédéralistes et indépendantistes québécois, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Nous étions captifs de la logique de la « Loi sur les consultations populaires », et nous nous imaginions stupidement, soyons clairs, que le gouvernement fédéral et le reste du pays nous laisseraient décider seuls de l’avenir politique du Canada sans intervenir pour tenter d’infléchir l’issue du référendum dans le sens de leurs intérêts. Ce sont des démocrates disions-nous, et ils s’inclineront devant le résultat. Ridicule ! Ils ont d’abord et avant tout des intérêts, et ce ne sont pas les nôtres.
Les Écossais nous ont regardé aller à l’époque, et ils ont tiré des leçons de notre inexpérience. Tout d’abord, avant de se lancer dans l’aventure, ils ont pris la peine d’obtenir du gouvernement britannique des assurances importantes que nous n’avions pas du tout en 1995.
En premier lieu, en échange d’une question claire sur le libellé de laquelle les deux partis s’entendraient, celui-ci s’est engagé en premier lieu à respecter le résultat du référendum, et en second lieu, il a accepté que la question puisse se trancher à la majorité simple des suffrages exprimés, soit 50 % + 1.
Au Québec, en 1995, on s’interrogeait encore sur la question de savoir si la constitution canadienne permettait la sécession d’une province. Il a fallu attendre la décision de la Cour Suprême dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec en 1998, donc trois ans après le référendum, pour que les Québécois obtiennent la confirmation qu’ils avaient bel et bien ce droit.
Il n’y aucun doute que l’incertitude qui entourait l’existence ou non de ce droit en 1995 a pesé sur les stratégies tant des fédéralistes canadiens que des indépendantistes québécois.
Ainsi, les fédéralistes en ont largement profité pour exploiter la peur des Québécois de commettre un acte illégal, et surtout d’avoir à en subir les conséquences, sur le plan politique ou sur le plan économique. La perspective du chaos a toujours un effet très rebutant.
Les indépendantistes se partageaient en deux camps : ceux qui étaient fermement convaincus du droit du Québec de faire sécession, et ceux qui souhaitaient ardemment qu’il l’ait, mais qui n’étaient pas convaincus qu’on le lui reconnaîtrait et qui estimaient nécessaire de faire preuve de prudence, au cas où...
Devant la perspective d’un éclatement de la coalition qui avait mené le PQ au pouvoir en septembre 1994, et la perspective d’un échec « dont le Québec ne se remettrait pas », comme ils furent nombreux à le dire à l’époque, la décision fut prise de privilégier une stratégie plus « douce » comportant deux référendums au lieu d’un seul.
C’était la stratégie de Lucien Bouchard qui, en se faisant en plus confier le mandat de négocier avec le fédéral, et avec la popularité dont il jouissait à l’époque, était confiant de pouvoir conserver l’initiative du processus et de l’orienter dans le sens qu’il privilégiait, qui n’était certainement pas l’indépendance du Québec à laquelle rêvait Jacques Parizeau.
De l’autre côté, Jacques Parizeau était convaincu que sa fonction de chef de gouvernement à la tête de l’État québécois l’assurait de conserver le plein contrôle du processus et qu’il serait en mesure de jouer la partie de la façon dont il l’entendait.
À travers les déclarations faites par l’un et l’autre ces derniers jours à l’occasion de la sortie de l’entrevue accordée par Lucien Bouchard au journaliste Yves Boisvert et diffusée par Télé-Québec, et de la parution des « Confessions post-référendaires » recueillies par Chantal Hébert et Jean Lapierre, on devine bien quelles tensions auraient surgi aussitôt entre les deux hommes en cas de victoire du OUI, et comment la position du Québec en aurait été affaiblie.
Harper : 'A decision for the Scots'
On voit donc comment la décision de la Cour suprême de 1998 et l’entente d’Édimbourg de 2013 se sont trouvées à éliminer le risque du psychodrame que nous avons connu en 1995. Si l’on rajoute à cela la déclaration extraordinaire de Stephen Harper à l’occasion de la période de questions qui suivait sa conférence récente devant un parterre de gens d’affaires à Londres, sur l’importance de « respecter la décision des Écossais, quelle qu’elle soit et quoi qu’on puisse en penser » [Ma traduction], on constate que, quelle que soit l’issue du référendum en Écosse, les conditions de la tenue d'un référendum ont bien changé, et que le Québec en serait largement bénéficiaire s’il devait se lancer dans cet exercice une autre fois.
On voit mal en effet comment le Canada pourrait maintenant refuser au Québec la tenue d’un référendum sur les bases de l’Entente d’Édimbourg et ensuite ne pas se sentir lié par le résultat.
Ça, c'est déjà acquis. Le reste, c'est la cerise sur le gâteau, si elle se matérialise.
L’expérience de l’Écosse et de la Catalogne qui franchira cet automne un pas important vers son indépendance se trouve en outre à mettre en relief le contexte dans lequel se déroulent ces consultations et la pertinence de l'option indépendantiste.
Pour les observateurs très chevronnés que sont l’ancien premier ministre et chancelier de l’échiquier britannique Gordon Brown, et Alistair Heath, le chroniqueur réputé du Telegraph de Londres, il existe une corrélation directe entre l’insécurité engendrée par la mondialisation, les mauvaises conditions économiques qui perdurent à l’échelle mondiale depuis 2008, et l’apparition des mouvements indépendantistes aux portes du pouvoir.
Tout en s'opposant tous les deux à la sécession de l'Écosse, ils comprennent parfaitement dans quelle dynamique elle s'inscrirait, et l'effet de contagion rapide qu'elle aurait.
Gordon Brown :It has taken the Scottish National Party only a half-century to move from irrelevance — securing 0.5% of the Scottish vote in 1955 — to center stage as the majority government in the devolved Scottish Parliament.
What changed in the interim was not Scotland’s sense of “Scottishness” — the country’s distinctive identity has been a constant feature of its cultural and civic life throughout the Union With England, which dates from 1707. Scotland never became “North Britain,” but equally, for three centuries, Scottish patriotism did not demand expression in a separate state.
What is new is the impact of global change. Scotland has been transformed from one of the workshops of the world to a service economy. At one point, Scotland’s shipyards produced a fifth of the world’s ships, and its manufacturing and mining sector employed more than 40% of Scottish workers. It now employs just 8%.
Scotland had to embark on a 50-year search for new skills, new jobs and a new prosperity — its real quarrel should be with globalization, rather than England. But just as, during the Industrial Revolution, nationalist movements sprang up as people tried to protect and shelter their communities against uneven and inequitable patterns of growth, Europeans are once again mobilizing around traditional identities, this time amid the insecurities of globalization.
And so Scots ask what post-imperial Britain can do for them and, in particular, question whether the current Conservative-led Britain is capable of uniting Britain around a common project and shared purpose for the global era.
Alistair Heath :Investors, be warned: Scottish independence would be highly contagious
The Catalans and Basques will be watching carefully; and further afield, separatists in Flanders, northern Italy and elsewhere will be jumping up and down with joy if Scotland votes for independence
Everything is connected to everything else, as Lenin was fond of remarking. If Scotland votes for independence on September 18, a horrendous possibility which now looks more likely by the day, it would trigger a series of highly unpredictable events with immense knock-on effects on economies, financial markets and countries around the world. It would be an event of a magnitude that too few in industry and in finance have fully grasped.
Europe and Britain would soon find out that independence can be highly contagious. Once one country decides to smash itself up, others will follow; the momentum will change dramatically. The English in particular remain remarkably relaxed about the fate of the UK – but the rest of the world is watching in amazement as one of the most successful and prosperous countries in the world looks increasingly set to be broken up.
The end of the UK would be a massive global story; it would act as an extraordinary catalyst for secessionist movements.
Ces deux témoignages se trouvent à confirmer mes propres analyses que je partage avec les lecteurs de Vigile depuis maintenant quatre ans.
Comme je le répète souvent dans un dessein pédagogique, le Canada et le Québec ne sont pas isolés de ce contexte mondial, et les mêmes forces et les mêmes pressions qui amènent les nations du monde entier à vouloir reprendre le contrôle de leurs affaires pour avoir la pleine maîtrise de leur développement vont pousser le Québec à revendiquer et obtenir lui aussi son indépendance, bousculant les murets ridicules que s’efforcent de mettre en place nos fédéralistes indécrottables, vendus à des intérêts autres que ceux du Québec et des Québécois.
Rien ne résistera à l'avalanche de l'histoire lorsqu'elle se mettra à déferler.
Qui aurait pu croire ?
L’Écosse à la rescousse du mouvement indépendantiste québécois
Rien ne résistera à l'avalanche de l'histoire lorsqu'elle se mettra à déferler
Petit message aux fédéralistes indécrottables, vendus à des intérêts autres que ceux du Québec et des Québécois
Richard Le Hir673 articles
Avocat et conseiller en gestion, ministre délégué à la Restructuration dans le cabinet Parizeau (1994-95)
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