L’école doit être conservatrice

Tribune libre 2008


[Mathieu Bock-Côté (Le Devoir, 24 avril 2008)->13054] a raison lorsqu’il affirme
que le cours d’Éthique et culture religieuse a comme objectif sous-entendu
de permettre «la reprogrammation de la jeunesse contre la culture que la
société pourrait leur transmettre». En fait, ce nouveau cours n’est qu’une
partie d’un puzzle visant à déraciner culturellement la jeune génération
québécoise et celles à venir.
Cette reprogrammation de l’école québécoise a commencé il y a une décennie
avec les États généraux sur l’éducation. On en vint alors à la conclusion
qu’il fallait abolir les commissions scolaires confessionnelles. Ces
dernières étaient portant un lègue du pacte entre les deux peuples
fondateurs du Canada : les Britanniques, de confession protestante, et les
Français, de confession catholique. Personne n’avait vu venir cette
proposition et personne ne l’avait demandée. Pourtant, quelques illuminés
dans leur tour d’ivoire avaient modelée cette idée, estimant sans doute que
le fait d’avoir des écoles publiques confessionnelles – exclusivement
chrétiennes en plus! – était nécessairement une preuve de fermeture face
aux minorités religieuses et aux athées. Ainsi, on rejeta du revers de la
main les raisons historiques expliquant ce prétendu privilège, né pourtant
d’une volonté de justice mutuelle entre deux nations.
Une fois la déconfessionnalisation des écoles accomplies, on passa à
l’étape suivante : la fin de l’Enseignement moral et religieux catholique
ou protestant. Cela s’expliquait par cette même volonté de laïcisation
visant à étouffer l’expression des croyances de la majorité afin de ne pas
froisser les non-chrétiens. Pourtant, la grande majorité des parents
catholiques ou protestants choisissait librement d’envoyer leurs enfants
suivre les cours d’enseignement religieux. Quant aux autres, ils pouvaient
s’y soustraire grâce au cours de Morale. Où était le problème? En fait,
le problème ne se trouvait que dans la tête de quelques intellectuels pour
qui l’enseignement religieux constituait un embâcle contre la laïcité. Or,
pour ces intellectuels, déconfessionnaliser le nom des commissions
scolaires n’était pas suffisant. Il fallait aller «jusqu’au bout», même si
dans plusieurs pays tels que la France (départements de l'Alsace-Moselle)
et la Turquie l’enseignement religieux est compatible avec la laïcité
clairement affirmée de l’État. C’est ainsi qu’est né le cours d’Éthique et
culture religieuse, qui déplaît tant aux plus croyants des catholiques
qu’aux athées convaincus.
Un programme abstrait
Le principal problème du cours d’ÉCR, c’est qu’il est bâti
fondamentalement sur l’abstraction. En fait, l’ensemble du programme de la
Réforme scolaire est fondamentalement abstrait. Contemporain de la
Révolution française, le politicien et penseur Edmund Burke (Réflexions sur
la Révolution de France, 1790) avait bien mis en garde les Français contre
la tentation de soumettre la politique à des idées abstraites fondées sur
la raison, mais incompatibles avec la réalité humaine et celle des
sociétés. Ainsi, il avait pu prédire l’apparition du régime autoritaire de
la Terreur, ainsi que le coup d’État de Napoléon Bonaparte. Rappelons
qu’au XIXe siècle, la France a dû traverser de nombreux régimes, parfois
impériaux, parfois monarchiques. Ce n’est qu’en 1870 par l’établissement
de la Troisième République que l’Hexagone a pu trouver une certaine
stabilité grâce à un COMPROMIS (nous soulignons) entre les monarchistes et
les républicains. Entre temps, il s’était écoulé 81 ans depuis la prise de
la Bastille.
Les réactions provenant tant du Mouvement laïc québécois (MLQ) que des
associations de parents catholiques ne laissent rien présager de bon pour
l’avenir du cours d’Éthique et culture religieuse. Sans croire le
moindrement à des débordements, nous estimons que les manifestations
présentement organisées par la Coalition pour la Liberté en Éducation (CLE)
pourraient bien ne constituer qu’un prélude à quelque chose de plus grand.
L’éducation en crise
Nous nous opposons à la mise en œuvre du cours d’Éthique et culture
religieuse qui est prévue pour la prochaine rentrée scolaire. De façon
plus globale, nous sommes critiques face au visage abstrait du programme
scolaire de la Réforme, qui ne cadre pas du tout avec ce que la société
québécoise a envi de léguer à ses enfants par le billet de ses écoles
publiques. Nous estimons que l’école québécoise vit présentement une crise
qui est due à l’édulcoration culturelle imposée de force à deux des trois
piliers identitaires du peuple québécois, à savoir la foi catholique et
l’histoire nationale, les cours de français n’ayant pas été affectés par la
Réforme scolaire.
La crise actuelle de l’éducation peut être réglée si des hommes politiques
parviennent à faire preuve de courage en arrêtant cette transformation
radicale des biens éducatifs communs du Québec. Bref, nous estimons que
l’école québécoise doit être conservatrice et c’est pour cette raison que
nous reprenons à notre compte les mots d’Hannah Arendt (La Crise de la
culture, 1968) : «C'est justement pour préserver ce qui est neuf et
révolutionnaire dans chaque enfant que l'éducation doit être conservatrice
; elle doit protéger cette nouveauté et l'introduire comme un ferment
nouveau dans un monde déjà vieux qui, si révolutionnaires que puissent être
ses actes, est, du point de vue de la génération suivante, suranné et
proche de la ruine.»
Maxime Schinck
Ancien étudiant au Baccalauréat en enseignement au secondaire, l’auteur
fréquente présentement l’École de politique appliquée de l’Université de
Sherbrooke.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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