Il ne faut pas vivre dans le passé, disent les modernes, convaincus que demain sera toujours mieux qu’hier. C’est un préjugé progressiste hautement discutable. À certains égards, le passé, sans même l’idéaliser, peut nous enchanter par certains de ses aspects, et certains épisodes peuvent nous inspirer. Inversement, l’avenir peut sembler sombre. L’histoire ne s’écrit pas en ligne droite: d’une époque à l’autre, des civilisations naissent, se déploient, grandissent, et se décomposent jusqu’à la décadence. Il en sera ainsi jusqu’à la fin des temps.
Le passé, comme l’ont dit bien des philosophes, est riche d’idéaux inaccomplis, abandonnés ou oubliés, qu’on est en droit de vouloir faire renaître, en retrouvant leur part vivante, au-delà de leur forme spécifique qui est souvent datée. Comme l’a déjà noté Chesterton, et comme l’a souvent écrit Régis Debray, les grands révolutionnaires sont généralement de grands nostalgiques, habités par la grandeur des temps révolus, et décidés à redonner à l’homme de leur temps l’occasion de se dépasser. Un patriote sincère est toujours habité par l’histoire de son peuple.
Qu’on prenne l’idée d’indépendance, qui a connu de meilleurs jours, et qui semble appelée, pour un bon moment encore, à des années maigres. L’indépendantiste de bonne foi, sans pour autant s’enfermer dans un culte commémoratif, est en droit de se tourner vers le monde d’hier pour redécouvrir le peuple québécois au moment où il s’imaginait un autre destin que sa tranquille dissolution dans le Canada multiculturel et l’Amérique mondialisée. À tout le moins, le commun des mortels se demandera peut-être ce qui suscitait chez ses prédécesseurs une telle exaltation.
La plus belle période de notre histoire, c’est la Révolution tranquille. C’est certainement la plus inspirante et ceux qui la réduisent à une rêverie de boomers décatis peinent à comprendre le formidable élan d’affirmation nationale qui l’a caractérisé. On apprend quelque chose à méditer sur le parcours de René Lévesque ou de Jacques Parizeau. Qui décide de relire la biographie des grands leaders indépendantistes ou se replonge dans les différents documentaires qui racontent l’aventure québécoise de cette époque aperçoit le peuple québécois autrement, en lutte pour sa pleine existence nationale. Et il est possible de trouver cette époque plus inspirante que la nôtre.
Sauf pour les petits barbares qui jouissent à l’idée de vivre dans un monde où ils auraient fait table rase, on peut trouver dans le combat des générations précédentes l’inspiration pour le reprendre aujourd’hui. Il y a quelque chose de beau à voir un peuple puiser dans sa propre identité pour créer sa propre culture, alors qu’aujourd’hui, on cherche moins cette profondeur qu’on ne cherche à se fondre dans le rythme mondialisé du moment. Mais encore une fois, nous payons ici le prix culturel et identitaire de la défaite politique.
Pour tenir, dans les années à venir, les indépendantistes auront besoin d’une profonde et riche mémoire. Ils devront trouver le moyen de raconter l’histoire du Québec non pas à la manière d’un parcours échoué mais à la manière d’une grande aventure qui éclaire le présent et révèle son sens. Et plus largement, l’ensemble des nationalistes devront en faire de même. Dans nos moments de désespoir, c’est vers cette épopée abandonnée qu’il faut nous tourner. Une partie importante de notre avenir se trouve dans notre passé, pour peu que nous redécouvrions son sens et les promesses qu’il portait.