«L’art de la fausse générosité»: donner pour mieux prendre

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Un fondation qui s'en met plein les poches sous couvert de philanthropie


Bill Gates, géant de l’informatique, a vu son image ternie lors d’un retentissant procès, ayant débuté en 1998, qui a mis au jour les méthodes commerciales déloyales de son entreprise, Microsoft. Très affecté, il créa sa Fondation en 2000. Il incarna dès lors « une icône de la générosité ». Vérité ou illusion ?



La Fondation Bill et Melinda Gates aspire à lutter contre les inégalités. Elle dispose aujourd’hui d’une dotation de 43,5 milliards de dollars. Devenue dans plus de 100 pays « un acteur essentiel du développement international » en matière de santé, d’éducation et d’agriculture, elle finance des centaines d’universités, d’organisations internationales, d’ONG et d’organes de presse.


Elle donne plus que le Canada, soutient le journaliste Lionel Astruc dans L’art de la fausse générosité, « récit d’investigation » du philanthrocapitalisme. Ce néologisme a été créé quand Gates, réputé pour son avidité, s’est soudainement « engagé à léguer 95 % de sa fortune à de bonnes oeuvres avant sa mort ».


Charité calculatrice


Astruc montre qu’il n’en est rien. En fait, les « dons » de Bill et Melinda Gates à leur Fondation sont investis dans un fonds opaque géré uniquement par le couple et Warren Buffett. Dans ce fonds, « seuls les dividendes sont utilisés afin que le capital soit protégé ». Gates donne donc très peu de sa poche.


Des secteurs aux activités peu éthiques profitent de cette manne financière : armement, énergies fossiles, malbouffe, extraction minière, OGM. Ce faisant, la Fondation alimenterait les fléaux contre lesquels elle prétend lutter.


Avec son lot « d’évitements fiscaux, de conflits d’intérêts, de pratiques illicites, […] et d’emprises sur des enjeux vitaux », la Fondation servirait d’abord les multinationales. Gates n’y voit ni malice ni duperie, car il croit en un système économique où ces dernières dominent.


Choix idéologique


Astruc est catégorique : Bill Gates privilégie les solutions technologiques pour mettre un terme à la pauvreté. En choisissant par exemple de soutenir le développement des OGM, sa Fondation constitue « un véritable cheval de Troie » pour Monsanto en Afrique.


La Fondation agit aussi comme ambassadeur de Microsoft en sol africain, ce qui permet à l’entreprise d’y connaître une lucrative croissance.


En matière de santé, l’auteur remarque que « la Fondation […] favorise certains programmes […], certaines zones (plus riches), certaines maladies […], suscitant l’inquiétude d’ONG et de scientifiques réduits au silence par leur dépendance étroite aux fonds distribués par la Fondation ».


Celle-ci illustre les mécanismes peu reluisants du charity business. Cette pseudo-générosité en expansion cherche à imposer ses solutions et consolide un système qui porte au sommet les ultrariches, comme les Gates.


L’enquête documentée de Lionel Astruc ne met pas en cause la sincérité du couple milliardaire. Celui-ci soutient également des organisations luttant pour le contrôle des armes à feu et des ONG proposant des services d’avortement légal. Certes utiles, ces initiatives ne sont pourtant que « l’arbre qui cache la forêt ».



L’art de la fausse générosité. La Fondation Bill et Melinda Gates


★★★

Lionel Astruc, postface de Vandana Shiva, Actes Sud, Arles, 2019, 123 pages





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