Le parlement du Canada uni était incendié le 25 avril 1849 par des orangistes, place d'Youville, dans le Vieux-Montréal. On célèbre en fin de semaine le 150e anniversaire de cet événement inouï qui mena au déménagement de la capitale à Toronto. C'est une édition spéciale de la Gazette qui appela à un rassemblement d'urgence au Champ-de-Mars, avec le slogan: «Au combat, c'est le moment». La foule s'apprêtait à attaquer le parlement, à en défoncer les portes et à y mettre le feu.
Le directeur de la recherche à la Bibliothèque de l'Assemblée nationale, l'historien Gaston Deschênes, a retrouvé un récit extraordinaire de ces événements par l'un des principaux émeutiers, de surcroît capitaine des pompiers.
Alfred Perry a publié au soir de sa vie, près de 40 ans après cette émeute, le récit de l'invasion du parlement, sa bagarre avec le sergent d'armes et un député, le saccage de conduites de gaz, et la mise à feu du parlement. Avec ses amis, il brûla la bibliothèque du Parlement, soit 25 000 livres, les archives du Canada, les documents anciens étant détruits par autodafé.
Ce commerçant avait foncé à la tête des insurgés. Il fit ces révélations étonnantes dans le Montréal Star de février 1887, pour un numéro spécial. Ce texte oublié jusqu'à ce jour rappelle les hauts faits d'armes des torys de Montréal contre le gouvernement de Louis-Hippolyte LaFontaine.
Ceux-ci n'acceptaient pas l'amnistie aux Patriotes, 12 ans après l'insurrection générale, ni la sanction royale à la Loi des indemnités pour les victimes des incendies allumés par la troupe en 1837.
En 1849, l'historien signale qu'il y avait 43 000 habitants à Montréal, dont seulement 19 000 francophones. Le commerçant Perry était le capitaine d'une brigade de pompiers volontaires et il explique que si un pompier était intervenu trop tôt pour éteindre le feu, il aurait été pris à partie.
Le notaire et le bélier
Il raconte qu'avec le notaire John Isaacson, il dirigea l'attaque contre la porte du parlement avec un bélier de 35 pieds. Puis, il fonça avec une hache à l'encontre du sergent d'armes Chisholm et bouscula le député Sandfield Macdonald, qu'il jeta par terre avant de frapper l'horloge de l'Assemblée avec sa hache, atteignant les becs de gaz tout près.
Alfred Perry écrit: «A mon deuxième coup, j'ai frappé le chandelier et des jets de gaz fuirent. Les tubes de gaz étaient de composition fragile. Une fois les brûleurs déplacés, le gaz continua à brûler et le feu se répandit au plafond.»
A côté de lui, un émeutier décrocha le portrait de Papineau et le piétina tandis qu'un Ecossais sauva le portrait de la reine Victoria en le sortant du parlement.
Pierre Turgeon vient de publier un roman, Jour de feu, chez Flammarion, sur ce jour où Montréal perdit le titre de capitale. Pour ce, il a fouillé les journaux d'époque et le journal de lord Elgin, qui, à 15h, avait sanctionné la loi au parlement installé dans le marché Sainte-Anne, un lieu où il n'y a qu'un stationnement aujourd'hui. L'auteur de ce roman historique rappelle qu'Elgin était le gendre de lord Durham. Il avait été choisi pour mettre en vigueur la politique de lord Durham, visant à donner au Canada un gouvernement responsable.
Eric Molson
Pierre Turgeon raconte: «Quand l'Assemblée nationale adopte la Loi des indemnités, Elgin accorde la sanction royale. Ce geste transforme en émeutiers une partie de la population britannique, notamment les grands bourgeois. Vous savez, Eric Molson était au Champ-de-Mars avec 6000 Anglais et Ecossais. Les mémoires d'Elgin sont très explicites, détaillés. Ce livre de 1872 publié à Londres n'a jamais été réédité.»
L'écrivain dit que le gouverneur aurait pu appeler la troupe pour protéger le parlement de Montréal et disperser les émeutiers. De plus, le chef de police avait offert de constituer une police spéciale avec des Canadiens français mais Elgin refusa, ne voulant pas envoyer la police contre des Britanniques.
Il faut dire que les émeutiers incluaient le député George Moffatt et le colonel Gugy. En fait, les torys regroupaient l'establishment. Pierre Turgeon parle de 10 000 soldats dans les casernes tout près, mais la troupe n'intervint pas.«Elgin, sa carrière a commencé à Montréal, il a ensuite eu une carrière fulgurante, politique et militaire, comme vice-roi des Indes. Avec la flotte, il a maté la révolte de l'empereur chinois en faisant brûler le palais d'été à Pékin, un palais meublé d'oeuvres d'art, l'un des grands chefs-d'oeuvre de l'architecture mondiale. Elgin commet l'un des actes les plus iconoclastes de l'histoire. Ça eu l'effet désiré, l'empereur s'est écrasé.»
Comme en Chine
L'écrivain fait ce rapprochement avec ce qui s'était passé à Montréal: «Le même homme est gouverneur et laisse brûler le parlement du Canada uni à Montréal. Le parlement était sur le point de s'installer pour de bon à Montréal, il y avait l'exécutif, la Chambre des députés et la Bibliothèque du Canada, les manuscrits et les documents sans copie. Ce fut une destruction de notre mémoire collective, des journaux, de la correspondance, des récits de voyages du Régime français.»
Il juge cet acte délibéré et resté impuni: «Lord Durham dit: les Canadiens français sont un peuple sans histoire, et dans ce pays où on commence à assembler notre histoire, son gendre arrive 12 ans plus tard. Il aurait pu empêcher l'incendie en envoyant les régiments stationnés à côté du parlement, il aurait donné l'ordre et la foule se serait dispensée. Il n'y aurait pas eu de combat.»
Après avoir fouillé le sujet pendant deux ans, il dit: «C'est une journée extrêmement importante sur le plan historique. On a pendu les Patriotes qui avaient désobéi à l'autorité royale, et là, on les laisse faire, il n'y a aucune sanction. A la Société historique de Montréal, j'ai découvert une lettre non répertoriée du financier John Dinning à Louis-Hippolyte LaFontaine, le premier ministre. Il le menace en disant: "Vous songez à poursuivre devant les tribunaux les Patriotes qui ont manifesté au parlement. Il est inutile de vous dire que le prêt hypothécaire qui vous a été consenti serait rappelé immédiatement."»
Dans le Haut-Canada, la Loi des indemnités avait été adoptée en 1847, mais les réformistes n'ont pris le pouvoir au Bas-Canada qu'en 1848. Pourtant, les indemnités de 100 000 livres sterling ne s'appliquaient qu'à ceux qui n'avaient pas été condamnés comme Patriotes.
«Il ne s'agissait pas de la famille du docteur Nelson ni de la famille de Chénier. Mais les arguments des orangistes, c'était que la race des Canadiens français est traître, rebelle dans l'âme, insoumise, qui n'accepte pas d'avoir perdu la guerre contre l'Angleterre. Il y a une culpabilité raciale. A Montréal, les orangistes se promènent dans les rues avec des têtes de cochons au bout des bâillonnettes et une mitre d'évêque dessus, en scandant: 'Cochons de catholiques!' Les Canadiens français étaient terrorisés. Des bandes les attaquaient dans les rues. Et il y avait des militaires parmi les manifestants.»
Le péril orangiste
L'historien Gaston Deschênes dit que l'année 1849 était appelée l'année de la Terreur. On parlait du péril orangiste. «Le 15 août, il y a eu la deuxième attaque de la maison de LaFontaine dès qu'on a annoncé des arrestations.» Puis, les torys ont mis le feu à l'hôtel Donegana, à des maisons, à l'hôtel Cyrus et
à l'hôtel Têtu.
Hector Berthelot a raconté cette attaque:
«En arrivant vis-à-vis de la maison de M. LaFontaine, qui est isolée dans un verger, rue de l'Aqueduc, les émeutiers, au nombre d'environ 200, forcèrent la porte d'entrée de la cour qui s'ouvre sur la rue, les plus effrontés entrèrent dans la propriété et commencèrent à lancer des pierres sur la maison. M. LaFontaine n'était pas chez lui ce soir-là, et la garde de la maison avait été confiée à une poignée d'amis déterminés, armés de fusils et de pistolets. La petite garnison était sous le commandement de E.-P Taché.»
Le futur premier ministre Taché menait la résistance. Berthelot ajoute: «Les émeutiers ramenaient avec eux un jeune Mason, atteint au côté d'une blessure mortelle, et six autres grièvement blessés. Mason était le fils d'un forgeron de la rue Craig, près de la rue Saint-Urbain. Il expira le lendemain. Avant de mourir, il avoua que l'intention des émeutiers était d'incendier la maison du premier ministre et de le pendre lui-même à un arbre de son jardin, puis de traîner son cadavre dans les rues.»
Cela fait conclure à cet historien qui codirige les Editions du Septentrion: «C'était un méchant pays de cow-boys, Montréal, à cette époque-là.» Le rédacteur en chef et principal propriétaire de la Gazette, James Moir Ferres, avait été arrêté le 26 avril, au lendemain de la mise à feu du parlement, mais il fut relâché sous la pression de la foule.
Ferres avait écrit un tract incendiaire se concluant en ces termes: «Le bill des pertes de la rébellion. Et la honte éternelle de la Grande-Bretagne. La rébellion est la loi du sol. [...] La fin a commencé. Anglo-Saxons, vous devez vivre pour l'avenir, votre sang et votre race seront désormais votre loi suprême, si vous êtes vrais à vous-mêmes. [...] La foule doit s'assembler sur la place d'Armes, ce soir à huit heures. Au combat, c'est le moment.»
Le Times de Londres allait dénoncer la Gazette. Pourtant, peu d'historiens ont écrit sur cet événement considérable. L'éditeur du Septentrion dit:
«Pourtant, les enquêtes du coroner doivent exister car on a fait des arrestations le 26 avril et de nouvelles arrestations au mois d'août. Les deux fois, ils ont été relâchés. Dans les textes d'historiens, il n'y a pas de citations sur LaFontaine. D'ailleurs, on n'a pas une véritable biographie sur LaFontaine. »
Pourtant, LaFontaine était premier ministre du Canada de 1848 à 1851, au moment où commence la responsabilité ministérielle. L'historien conclut: «Il démissionne en 1851, Morin devient le porte-parole des Canadiens-français. Puis Taché. Ils ont vu la rébellion, ils ont été projetés dans la rébellion, Papineau est allé en France, LaFontaine à Londres, Morin s'est caché, ils ont adopté une attitude réformiste, puis ils ont été cassés.»
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