Aux États-Unis, lorsqu'une personne se présente à la présidence, on attend d'elle vision et projets ambitieux. Au Canada, un aspirant premier ministre et son parti peuvent se contenter d'un programme populiste aux allures de liste d'épicerie pour espérer obtenir un mandat majoritaire.
Le contraste est intéressant, car un président américain n'a jamais l'assurance de pouvoir mettre son plan en oeuvre puisqu'il ne contrôle pas le Congrès. Au Canada en revanche, le chef d'un parti qui obtient un mandat majoritaire hérite de pouvoirs quasi absolus et il est assuré de pouvoir appliquer son programme.
Cela a ses avantages, comme de permettre à un gouvernement de s'attaquer à des problèmes complexes qui exigent des solutions parfois impopulaires. Le conservateur Brian Mulroney s'est ainsi attaqué au libre-échange et à la réforme fiscale, le libéral Jean Chrétien au déficit.
Il y a des désavantages cependant, dont celui de transformer le premier ministre en quasi-monarque. Et si ce dernier choisit d'exploiter tous ses pouvoirs sans la moindre retenue, on court le risque d'une dérive autoritaire.
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Au Canada, le chef d'État est la reine qui confie ses pouvoirs à son représentant, le gouverneur général. La plupart doivent cependant être exercés par le «gouverneur en conseil», c'est-à-dire sur avis du cabinet. En pratique, cependant, c'est le premier ministre qui détient le gros des pouvoirs en question.
En plus de recommander les candidats au poste de gouverneur général, il choisit les lieutenants-gouverneurs et les membres de l'exécutif (ministres). Il contrôle la composition des deux chambres législatives puisqu'il nomme les sénateurs et décide qui pourra être candidat pour son parti. Il a un ascendant sur le pouvoir judiciaire en comblant les postes vacants à la Cour suprême. Il choisit aussi les ambassadeurs, les dirigeants des sociétés d'État, les hauts gradés de la fonction publique. C'est encore lui qui propose les candidats aux postes d'agents du Parlement. L'opposition est consultée, mais n'a pas de droit de veto. Avec une majorité, le premier ministre peut imposer son choix, comme on l'a vu récemment avec le vérificateur général.
Et s'il détient la majorité des sièges à la Chambre et au Sénat, il peut pratiquement en faire à sa tête. Non seulement parce que certaines règles lui donnent le contrôle de l'ordre du jour, mais parce que trop d'entre elles sont non écrites. Le système parlementaire de type britannique repose sur de nombreuses traditions et conventions et, pour bien fonctionner, dépend de la réserve et du fair-play des différents acteurs.
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Tous les gouvernements majoritaires ont à un moment ou un autre tiré profit de cette faiblesse pour imposer leur rythme, mais aucun ne l'a fait avec autant d'acharnement que le gouvernement Harper. Minoritaire, il a testé les limites d'à peu près toutes les règles pour avoir gain de cause sans avoir à faire de compromis.
Les conservateurs sont allés jusqu'à fournir à leurs députés un guide pour paralyser les comités où l'opposition, alors majoritaire, se préparait à leur donner du fil à retordre. On a alors vu des présidents lever les séances sans avertissement, des réunions être annulées sans explication, des députés conservateurs boycotter les rencontres.
Les conservateurs n'ont pas rangé leur guide le 2 mai dernier. Au contraire, ils s'en servent pour limiter les débats, forcer la tenue d'une partie des travaux à huis clos, couper court à des études et refuser d'entendre le vérificateur général sur des rapports embarrassants, ce qui est pourtant la coutume. Mais voilà, ce n'est qu'une coutume.
Minoritaires, les conservateurs ont plusieurs fois utilisé les projets de loi de mise en oeuvre du budget comme des chevaux de Troie. Profitant du fait que ces projets de loi font l'objet d'un vote de confiance, ils y inséraient d'autres mesures qui n'avaient rien à voir avec le budget pour forcer l'opposition à les adopter.
Sous Stephen Harper, le gouvernement a refusé des documents aux parlementaires et bloqué le témoignage des membres du personnel ministériel. Et depuis qu'il est majoritaire, il limite les débats aux Communes plus souvent que quiconque avant lui.
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Dans un livre sur le gouvernement Chrétien, le journaliste Jeffrey Simpson avait résumé ainsi la situation: «The Friendly Dictatorship», la dictature amicale. Stephen Harper n'a donc rien inventé, mais il a poussé plus loin le contrôle, la centralisation, l'intransigeance, l'intimidation et l'exploitation de chaque faiblesse du système pour imposer sa loi. Bref, il est en train de faire disparaître ce qui pouvait rester d'amical à ce régime.
Voici une anecdote révélatrice. En voyage dans l'Arctique à l'été 2010, M. Harper enfourche un véhicule tout-terrain et part à tombeau ouvert sur la piste de l'aéroport de Tuktoyaktuk. Aux journalistes qui lui demandent s'il a le permis nécessaire, il rétorque: «Je fais les règles» (I make the rules).
Et maintenant qu'il est majoritaire, il persiste à mépriser ouvertement le Parlement, institution démocratique par excellence de notre système, mais se lance dans la glorification de la monarchie, institution fondée sur le pouvoir héréditaire. L'envers de la démocratie, quoi. Mais faut-il s'en étonner de la part de quelqu'un à qui ne manque, du roi, que le nom?
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