L'Allemagne a décidé dimanche de réintroduire des contrôles à ses frontières pour «contenir» l'afflux de réfugiés qu'elle affirme ne plus être en mesure d'accueillir, après leur avoir ouvert grand ses portes.
Cette décision, aussitôt saluée par le premier ministre hongrois et partisan d'une ligne dure face aux migrants Viktor Orban, est intervenue à la veille d'une rencontre à Bruxelles des ministres de l'Intérieur des 28 sur la question hypersensible de la répartition des réfugiés entre pays membres.
Le flux de migrants ne se tarit pas et continue de susciter des drames aux portes de l'Europe: trente-quatre personnes, dont quatre bébés et onze enfants, sont encore mortes noyées dimanche en Méditerranée, dans le naufrage de leur embarcation au large de l'île grecque de Farmakonis, située à 15 km des côtes turques.
«L'Allemagne introduit provisoirement des contrôles à ses frontières, en particulier avec l'Autriche», a déclaré à la presse le ministre allemand de l'Intérieur, Thomas de Maizière à Berlin. Ces deux pays appartiennent à l'espace Schengen qui fonctionne comme un espace unique sans contrôle obligatoire des frontières internes.
L'annonce de Berlin marque un net durcissement de la position allemande, qui avait décidé fin août de faire une entorse aux règles européennes au profit notamment des Syriens fuyant la guerre et qui, entrés illégalement, n'ont plus été renvoyés dans leur pays d'arrivée dans l'UE.
Les demandeurs d'asile doivent comprendre «qu'ils ne peuvent se choisir les États où ils chercheront protection», a encore dit le ministre allemand, alors que son pays attend un record de 800 000 demandeurs d'asile cette année.
«Extrême limite»
Dans la foulée, la compagnie ferroviaire autrichienne ÖBB annonçait une suspension du trafic ferroviaire avec l'Allemagne. Des milliers de migrants rejoignent actuellement ce pays en train en passant par l'Autriche.
La République tchèque a elle aussi annoncé le renforcement des contrôles à sa frontière avec l'Autriche.
La principale porte d'entrée en Allemagne, Munich, arrive à saturation, avec 63 000 arrivées en deux semaines de réfugiés arrivant par les Balkans et l'Europe centrale.
La capitale de la Bavière est à «l'extrême limite» de ses capacités d'accueil, selon les autorités locales: quelque 13 000 nouvelles personnes sont arrivées samedi, soit autant que le record de la semaine précédente pour une seule journée.
Ce week-end, quelques dizaines de demandeurs d'asile ont dû dormir dehors sur des matelas isothermes et avec des couvertures, faute de place dans les centres. Les autorités locales envisageaient de réquisitionner le stade olympique de la métropole, où ont eu lieu les JO d'été de 1972, pour des hébergements.
Réagissant au durcissement de la position de Berlin, la Commission européenne a jugé que cette annonce «soulignait l'urgence» de parvenir à un plan européen de répartition des nouveaux arrivants.
Elle est en effet survenue à la veille d'une réunion extraordinaire des ministres de l'Intérieur de l'UE à Bruxelles, où sera discutée la répartition des réfugiés par quotas, voulue par l'Allemagne et la Commission, qui exhorte les pays européens à se répartir l'accueil de 160 000 réfugiés au total.
«Valeurs de l'UE»
À l'instar de la plupart des pays de l'est de l'Europe, la Slovaquie a réitéré dimanche son opposition à un tel système, assurant qu'elle allait «faire tout (...) pour convaincre l'Europe que les quotas sont un non-sens».
Porte-drapeau de la ligne dure face au flux de migrants, le premier ministre hongrois Viktor Orban a salué comme «nécessaire» la décision de l'Allemagne.
La Hongrie a enregistré samedi un nouveau record d'arrivées, avec 4.330 entrées.
Des milliers de migrants se sont livrés ce week-end à une véritable course contre la montre pour tenter de gagner le pays, avant la fermeture hermétique de sa frontière avec la Serbie prévue grâce à une double ligne de fils de fer barbelés.
Ils rejoignaient la frontière en marchant à pied, côté serbe, le long d'une voie ferrée jonchée de bouteilles d'eau vides, vêtements et couvertures détrempés par les pluies des derniers jours et d'immondices puantes, vraisemblablement abandonnés par ceux qui les ont précédés sur ce même chemin.
Après l'Autriche samedi, la France a fustigé la décision de la Hongrie de fermer sa frontière. «Avec ses barbelés, la Hongrie se met clairement hors des valeurs de l'Union européenne. Les valeurs de l'UE, ce n'est pas de dresser des murs, ce n'est pas d'ériger des barbelés», a lancé le secrétaire d'État français aux Affaires européennes, Harlem Désir.
Plus de 430 000 migrants et réfugiés ont traversé la Méditerranée depuis janvier, et près de 2800 ont péri ou disparu, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). La moitié de ceux qui sont arrivés sont des Syriens fuyant les bombardements du régime et les exactions des jihadistes.
L'espace Schengen, un espace sans frontières... sauf exceptions
L'espace Schengen, l'un des acquis les plus concrets de l'Union européenne, est une zone de libre circulation où les contrôles aux frontières ont été abolis pour les voyageurs, sauf dans des circonstances exceptionnelles.
Il est actuellement composé de 26 pays, dont 22 membres de l'UE (la Bulgarie, la Roumanie, Chypre, la Croatie, l'Irlande et la Grande-Bretagne n'en font pas partie), et quatre non membres (l'Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse).
Ce vaste espace s'est construit très progressivement à partir de 1985, date d'un accord conclu entre quelques gouvernements européens dans la localité luxembourgeoise de Schengen.
Concrètement, à l'intérieur de cette zone, les citoyens de l'UE, comme les ressortissants de pays tiers, peuvent voyager librement sans subir de contrôles aux frontières.
À l'inverse, un vol au sein de l'UE reliant un Etat Schengen à un autre non Schengen est soumis à des contrôles aux frontières.
L'effacement des frontières intérieures a eu pour corollaire un renforcement des frontières extérieures de l'espace Schengen: les États membres se trouvant à ses confins ont ainsi la responsabilité d'organiser des contrôles rigoureux à ces frontières et de délivrer le cas échéant des visas de court séjour aux personnes s'y introduisant.
L'appartenance à Schengen implique aussi une coopération policière entre tous les membres pour lutter contre la criminalité organisée ou le terrorisme, avec notamment un partage de données, comme le système d'information Schengen (SIS).
L'une des illustrations de cette coopération policière est ce qu'on appelle «la poursuite transfrontalière», c'est-à-dire le droit pour la police d'un Etat Schengen de poursuivre des personnes dans un autre, en cas de flagrant délit pour des infractions graves.
Même si les frontières intérieures ne devraient plus exister que sur le papier dans l'espace Schengen, ses membres ont toutefois la possibilité de rétablir des contrôles exceptionnels et temporaires.
Ils doivent être justifiés par une «menace grave pour la sécurité» ou des «défaillances graves aux frontières extérieures, susceptibles de mettre en danger le fonctionnement global de l'espace Schengen», selon un document de la Commission européenne.
La décision de l'Allemagne de réintroduire des contrôles à ses frontières, notamment avec l'Autriche, pour faire face à l'afflux de migrants, semble «de prime abord» correspondre à cette règle, a prudemment réagi dimanche la Commission.
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