Les États-Unis risquent d'entraîner des pénuries de matériel médical et de personnel hospitalier essentiels des deux côtés de la frontière s'ils vont de l'avant avec leur exigence, pour le fabricant 3M, de cesser les exportations de masques N95 au Canada, affirme Justin Trudeau.
Priver le Canada de masques serait une erreur
, a prévenu Justin Trudeau vendredi, au cours de son point de presse quotidien, devant sa résidence officielle à Ottawa.
Le premier ministre a indiqué que son gouvernement « travaillait étroitement » avec l'administration Trump pour qu'elle comprenne que les échanges entre nos deux pays vont dans les deux sens, particulièrement pour le matériel médical essentiel et le personnel médical
.
M. Trudeau a entre autres évoqué « les centaines » d'infirmières ontariennes vivant à Windsor et qui traversent tous les jours le pont Ambassadeur pour aller travailler à Détroit, au Michigan, de l'autre côté de la frontière.
Toujours au cours de son allocution, le premier ministre a repris les déclarations de 3M. L'entreprise a affirmé dans un communiqué publié plus tôt vendredi que la fin des exportations de masques à destination du Canada et de l'Amérique du Sud, où nous sommes un fournisseur essentiel
, aurait d'importantes conséquences humanitaires pour les travailleurs de la santé des pays concernés.
La vice-première ministre Chrystia Freeland, lors du traditionnel point de presse des ministres fédéraux faisant suite à celui de M. Trudeau, a dit s'être entretenue avec l'ambassadrice canadienne aux États-Unis, Kirsten Hillman, à propos de l'intention d'Ottawa de faire fortement pression [sur les États-Unis] sur cette question
.
Nous allons utiliser tous les moyens nécessaires dans ce dossier.
Celle-ci a aussi précisé que la ministre des Services publics et de l'Approvisionnement, Anita Anand, avait directement échangé avec les dirigeants de 3M Canada. Pas question non plus, a indiqué la ministre Freeland, d'adopter des mesures de représailles contre les États-Unis. Du moins, pas pour l'instant.
Il est plutôt question de résoudre cet enjeu de façon positive
, a mentionné Mme Freeland.
De son côté, Doug Ford, le premier ministre de l'Ontario, a mentionné sur Twitter avoir discuté par téléphone avec le représentant américain au commerce, Robert Lighthizer, en fin d'avant-midi, vendredi. La santé et le bien-être de nos travailleurs de première ligne dépendent de ces fournitures médicales essentielles, et maintenant plus que jamais, nos pays doivent travailler de concert pour combattre la COVID-19
, a-t-il écrit.
Le premier ministre québécois, François Legault, a affirmé travailler étroitement avec son homologue ontarien. Le plus rapidement possible, il faut que le Québec et le Canada, entre autres, je pense au Québec et à l’Ontario, il faut qu’on soit autonomes, qu’on soit capables de fabriquer nos masques, nos blouses, nos gants
, a-t-il dit, admettant qu'on se fait prendre un peu de court
.
Évidemment, on aimerait continuer à recevoir les commandes des États-Unis. Mais il faut être réalistes là, on a discuté de ça dans les derniers jours, ça va être une guerre dure. Les pays qui fabriquent des équipements vont vouloir les garder pour leurs citoyens.
On pense qu’on est serrés, mais qu’on est capable de passer au travers avec les commandes qui viennent d’ailleurs qu’aux États-Unis
, a-t-il toutefois assuré.
Risques de rétorsion
Le fabricant 3M soutient que la suspension de l'exportation des masques fabriqués aux États-Unis pousserait d'autres pays à riposter en adoptant des mesures similaires, comme cela est déjà le cas pour certaines nations
.
Si cela se produisait, le nombre de masques qui seraient disponibles aux États-Unis irait en fait en diminuant. C'est là l'opposé de ce que le gouvernement et nous-mêmes souhaitons, au nom du peuple américain.
L'entreprise rappelle par ailleurs qu'elle avait obtenu le feu vert, plus tôt cette semaine, pour faire livrer aux États-Unis 10 millions de masques N95 fabriqués dans ses installations chinoises.
Nous continuerons de maximiser le nombre de masques que nous pouvons produire à l'intention des travailleurs américains de la santé, comme nous l'avons fait tous les jours depuis le début de la crise.
La filiale canadienne de 3M, elle, a brièvement réagi en disant être au fait de la note du président des États-Unis en ce qui concerne le « Defense Production Act ».
Nous continuons de nous préoccuper principalement de la sécurité des travailleurs de la santé et des premiers répondants pendant cette crise, et nous évaluons en ce moment les détails de la note américaine, en plus de viser à répondre à la demande canadienne [pour les masques N95]
, a précisé ladite filiale.
Trump invoque les pouvoirs fédéraux
Dans une note d'information officielle adressée au secrétaire de la Sécurité intérieure et à l'administrateur de la FEMA, l'agence fédérale américaine des situations d'urgence, le président Donald Trump dit invoquer le « Defense Production Act ».
Cette loi, généralement employée en temps de guerre, autorise le secrétaire, via la FEMA, à utiliser toute l'autorité disponible pour acquérir, de la part de toutes les filiales de 3M, le nombre de masques N95 jugé approprié par l'administrateur de l'agence fédérale
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Cela signifie que le gouvernement américain pourrait bel et bien réquisitionner l'ensemble de la production américaine de masques N95 produits par 3M, tel que décrié dans le communiqué de l'entreprise.
Sur son site Internet, cette dernière précise qu'elle ne fabrique pas ce genre de masques dans ses installations canadiennes, mais que la quantité de masques N95 importés au pays a doublé au cours des trois premiers mois de 2020
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À l'échelle mondiale, 3M produit chaque mois environ 100 millions de ces masques N95.
Selon des informations de 3M reprises par le Financial Times, les ventes au Canada et au Mexique représentent 10 % des masques produits aux États-Unis.