Juge ou législateur?

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« Le laxisme politique mènera-t-il à la dictature des juges, considérant que ceux-ci ne sont pas élus? »


Le juge, François Huot, a rendu sa sentence à l’égard d’Alexandre Bissonnette pour les six meurtres commis à la grande mosquée de Québec, à savoir la prison à vie sans possibilité de liberté conditionnelle avant 40 ans. On peut se réjouir que le juge n‘ait pas succombé aux besoins d’assouvissement de vengeance en imposant 150 ans de prison avant une possibilité de libération. Toutefois, on peut demeurer perplexe sur la sévérité de la peine qu’il a imposée en modifiant, de son propre chef, le code criminel. Le laxisme politique mènera-t-il à la dictature des juges, considérant que ceux-ci ne sont pas élus?


Le juge Huot a fait un travail remarquable afin de statuer sur une sentence qui lui apparaissait appropriée dans une conjoncture sociale plutôt délicate. Les leaders de la communauté musulmane et les proches des victimes appelaient à 150 ans de prison en amplifiant le caractère raciste des meurtres commis par Bissonnette et en évoquant des sévices dont ils seraient régulièrement victimes. Même la peine extrêmement sévère de 40 ans imposée à Bissonnette les décevaient au point d’espérer que la décision du juge soit portée en appel. J’imagine à peine la hargne qu’il aurait suscitée en s’en tenant au minimum de 25 ans pour procéder à une demande de libération conditionnelle!


À un peu près au même moment, le juge John McMahon condamnait le meurtrier en série, Bruce McArthur, à une peine de prison ferme de 25 ans en s’objectant, comme le juge Huot, à des peines à l’américaine de plus de cent ans. McArthur s’est avoué coupable du meurtre de huit homosexuels entre 2010 et 2016. Là aussi, on se retrouve avec une communauté, en l’occurrence LGBT, déçue du peu de sévérité du juge, bien qu’il soit peu probable que le meurtrier puisse recouvrer sa liberté considérant qu’il y aura droit à l’âge de 91 ans.


Ces deux affaires mettent en lumière les excès auxquels peuvent mener le cumul des peines introduit par les conservateurs sous le règne Stephen Harper dans le code criminel. Les juges n’ont pas succombé à la folie populiste des conservateurs, mais le libellé du code les abandonne à leur subjectivité et à l’émission de sentences qui n’apparaissent pas toujours congruentes. Un observateur qui prend acte des deux sentences édictées hier pourraient croire que les meurtres multiples d’homosexuels sont moins graves que ceux de musulmans alors qu’elles reflètent plutôt le laxisme du gouvernement Trudeau à ne pas abroger les modifications attribuables à Stephen Harper.


Il faut d’abord se rappeler que la sentence est la prison à vie et que la libération conditionnelle n’est pas automatique. Notre système tend à privilégier la réhabilitation et les sentences, même avec leur caractère punitif, doivent en tenir compte. 25 ans ferme de prison constituent une peine très sévère et en donner plus ne ramènera pas les victimes à la vie, pas plus qu’elle soulagera la peine des proches. Plutôt que de constituer un poids permanent pour la société, la perspective d’une réinsertion sociale des délinquants réhabilitables dans une durée réaliste parait définitivement plus prometteuse.


Espérons que le gouvernement Trudeau abolira le possible cumul des peines et statuera sur le minimum 25 ans, comme sévérité raisonnable afin d’éviter de transformer le système de justice en instrument de vengeance. L’oubli est impensable, toutefois le pardon doit éventuellement s’imposer.