J'ai rencontré Jean Johnny Gravel pour la première fois en même temps que les autres musiciens composant alors le groupe Offenbach Pop Opéra, fraîchement renommé ainsi depuis quelques mois au moment de cette rencontre. Michel Willie Lamothe, Denis Le Vieux Boulet, Gérald Gerry Boulet et Jean Johnny Gravel, composaient alors ce quatuor un temps célèbre sous le nom des Gants Blancs.
C'était au début de mai 1971, je crois, j'arrivais d'Abitibi après avoir terminé le tournage de mon film Bulldozer et le wrap des décors, accessoires et autres babioles cinématographiques nécessaires. Lucien Pop's Lulu Ménard, le régisseur génial que j'avais embauché pour m'assister et m'aider au tournage de ce long métrage, coproduit par Lyse Lafontaine et feu Bernard Lalonde à l'ACPAV, était encore au montage d'un film portant sur le célèbre chanteur country Willie Lamothe. Documentaire qu'il avait réalisé à L'Office national du film et pour lequel il avait rencontré le fils de Willie, Michel Willie Lamothe, bassiste de l'Offenbach Pop Opera dans le but d'intégrer l'Offenbach Pop à la production de Je chante à cheval.
Les gars jouaient à l'Hôtel Saint-Jean de Saint-Jean d'Iberville, non loin de Montréal, sur les bords de la rivière Richelieu. Lucien Ménard avait organisé cette rencontre entre eux et moi sachant que je chercherais bientôt des musiciens pour enregistrer la musique de mon film dont je devais commencer le montage en juin.
Nous étions entrés dans l'hôtel en plein spectacle et ce qui m'avait alors frappé chez ce groupe, c'était la voix magnifique du chanteur, le jeu de guitare original et inspiré du guitariste, le son de basse profondément roots du bassiste et la batterie énergique et précise de Denis Le Vieux Boulet. La prestation du deuxième set étant terminée, nous nous attablâmes avec eux pour les présentations et pour parler de l'avenir du groupe qui, selon les dires de Pop's Lulu, devait se séparer en juin suivant faute de contrats permettant sa survivance plus longtemps.
L'Offenbach Pop Opera ne se sépara point puisque ce soir-là se fit officiellement mon entrée dans le groupe Offenbach et que, dans les jours qui suivirent, nous obtînmes un contrat de trois mois en résidence à l'Hôtel Saint-Placide, de Saint-Placide, appartenant au célèbre parrain Frank Cotroni, grâce à l'intervention personnelle du lutteur Mr Wonder tenant le rôle de Pas d'patte dans mon film.
C'est au cours de ces trois mois que se dessina l'avenir de ce groupe qui allait devenir le plus important band de rock franco de la planète. C'est aussi à ce moment que j'appris à connaître celui que je considérais déjà comme un grand poète, peintre génial de la musique rock et de la musique en général, Jean Johnny Gravel.
Les années passèrent ainsi que les départs et les arrivés de musiciens au sein d'Offenbach. Pour en savoir plus long sur ces changements, avec photos, vidéos et textes, consultez SOS R'N'R chez Facebook, l'ultime référence en ce qui concerne l'historique d'Offenbach, de la fondation en 1970 à la dissolution en 1985.
En 2001 donc, alors que j'avais déjà fondé le groupe Corbach depuis 1991 avec Willie, Wèzo, Donald Hince de Corbeau, et le claviériste Michel Bessette, j'eus le projet de monter un show où nous pourrions exprimer la colère chez le grand Félix Leclerc, sachant que Johnny, sans jamais avoir officiellement quitté Offenbach, avait déjà joué avec un groupe de Québec se nommant Les Patriotes et qu'il y avait travaillé un arrangement magistral de la chanson de Félix intitulée L'alouette en colère. Voici Johnny Gravel, devenu Johnny Bizarre entre temps, et les Patriotes en 1987-88.
Vachement impressionné par la qualité et l'originalité de l'œuvre, qui tout en insufflant un vent de colère dans la chanson de Félix Leclerc demeurait fidèle à son intégrité poétique, je proposai à Johnny de se joindre à nous, Bob Champoux remplaçant Donald Hince à la deuxième guitare, pour interpréter L'alouette en colère en spectacle aux Francofolies de Montréal et au Théâtre Corona pour la captation d'un document de 90 minutes portant sur le show Félix Rock et Colère, parsemé d'interventions de ma part à lire des extraits de ses écritures.
Pour bien se rendre compte de l'importance du travail de création aux arrangements de Jean Johnny Bizarre Gravel, voici la version originale de L'alouette en colère chantée par Félix Leclerc.
Voici maintenant, puisqu'il faut battre le fer quand il est chaud, L'alouette en colère interprétée par Corbach lors du show Félix Rock et Colère le 11 septembre 2001, au moment même où deux avions détournés s'encastraient dans les tours du World Trade Center à New York. Nous venions à peine de jouer les premières notes du spectacle lorsqu'un régisseur est arrivé en trombe sur scène pour annoncer l'incroyable nouvelle. Aussitôt des spectateurs commencèrent à se lever pour quitter la salle en panique.
D'une voix forte et autoritaire, j'annonçai de mon micro que les policiers venaient d'ordonner à tout le monde, partout à Montréal, de ne pas sortir dans la rue et d'attendre la suite des événements jusqu'à nouvel ordre. IL NE FALLAIT PAS BOUGER. Je donnai le signal aux gars de reprendre la chanson d'ouverture qui était L'hymne au printemps, une douce ballade capable de calmer les frayeurs d'un public composé de membres âgés de l'Association culturelle Félix Leclerc venus en groupe assister au spectacle.
Tous reprirent fébrilement leurs places en écoutant L'hymne au printemps, les yeux rivés au plafond du Corona, magnifique théâtre de style victorien, croyant y voir subitement percer le fuselage d'un avion aux moindres craquements du système de son. Certains spectateurs ayant des cellulaires avaient en effet passé le mot que des rumeurs couraient à l'effet que d'autres avions détournés se dirigeaient vers le Canada, et possiblement vers Montréal, afin d'y semer mort et destruction.
Et le spectacle se poursuivit dans la paranoïa totale jusqu'à ce qu'excédé de cette situation loufoque malgré la gravité des événements l'ayant provoqué, je donnai le signal de jouer L'alouette en colère au volume maximal afin de contrer l'effet paralysant de la peur chez les spectateurs.
Toujours est-il qu'en 2012, Johnny brûlait la chandelle par les deux bouts depuis quelques années et sa santé s'étiolait de voir le superbe groupe qu'il avait fondé en 1970 devenir un petit band de garage. Offenbach s'étant reconstitué et Breen Leboeuf ayant cédé ses parts d'Offenbach inc. à John McGale pour aller retrouver ses vieux copains d'April Wine, ça ne roulait pas si mal. Martin Deschamps était venu remplacer Gerry au vocal et de nouveaux musiciens se succédaient à la batterie et à la basse. À son tour, Martin donna sa démission et quitta le groupe qui dépérissait d'une année à l'autre.
En 2012 donc, Johnny Gravel subit trois AVC de suite qui le laissèrent confus et sans l'usage de son bras et de sa main gauche. Après quelques mois d'hôpital il décida de déménager et alla s'installer avec l'aide de son ex-femme et de sa fille dans un beau logement pour personnes à revenus modestes. Il cessa complètement de boire et de fumer la cigarette et, s'étant fait voler ses deux guitares électriques de collection alors qu'il était hospitalisé, fit le deuil d'être l'un des meilleurs guitaristes du Québec, sinon le meilleur.
Malgré tout, Johnny retrouva peu à peu la mémoire et sa motricité s'améliorant, recommença tant bien que mal à exercer sa main gauche, à retrouver le chemin des notes et des accords sur le manche d'une vieille guitare acoustique retrouvée quelque part. Mais il lui manquait toujours une maudite bonne raison de forcer la note, un événement extraordinaire qui l'obligerait d'affronter ses difficultés neuro-cérébrales.
En mars 2016, alors que SOS R'N'R avait commencé d'organiser un show à l'Impérial Bell de Québec pour venir en aide à la Maison de Job, maison de thérapie pour polytoxicomanes de la région de la Capitale, Johnny, en tant que membre éminent chez SOS, fut convié à participer au spectacle. En trois mois, de début mars à la fin mai, ce musicien-poète courageux s'astreignit à pratiquer, à force de ténacité, à la journée longue, une dizaine de pièces du répertoire d'Offenbach jusqu'à ce que ses doigts répondent à sa volonté et qu'il puisse les interpréter convenablement. Chers amis, voici le résultat de ce combat de Jean Johnny Bizarre Gravel contre l'apitoiement sur soi-même. L'extrait d'un moment inoubliable du Show de Job à l'Impérial-Bell, le 26 mai 2016, par SOS R'N'R.
Encouragé par sa victoire et par l'extraordinaire réception du public à sa prestation du Show de Job, Johnny continua de travailler la guitare de juin à novembre 2016 et poussa son défi personnel d'un cran en apprenant les paroles de chansons qu'il avait choisies dans le but de les interpréter seul, en vrai chansonnier, dans un petit bar de la rue Saint-Denis à Montréal, La Marche à Côté, le 26 novembre. Jamais de toute sa carrière de musicien, Johnny n'avait eu l'occasion de chanter en jouant de la guitare et surtout, d'occuper et de retenir seul sur scène toute l'attention des spectateurs devant lui.
Il avait toujours fait partie de divers groupes depuis les années 60, incluant le dernier, Offenbach. Mais pour cette première fois de nombreux amis et anciens membres d'Offenbach comme Breen Leboeuf, Martin Deschamps, Pierre Lavoie, etc., étaient venus encourager ce premier one man show à vie de notre ami Johnny Gravel interprétant ici ma chanson Câline de Blues. La voici, sans oublier que neuf mois plus tôt Johnny était encore à demi paralysé du bras et de la main gauche. Une magnifique leçon de résilience et de courage.
Bonne semaine.
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