Nathalie Normandeau avait construit tout autour d’elle un « mur » étanche la protégeant de toute influence des firmes de génie-conseil. Mais peut-être que son chef de cabinet Bruno Lortie n’a pas, lui, fait preuve d’autant de prudence, a avancé l’ex-vice-première ministre du Québec mercredi devant la commission Charbonneau.
Attendu depuis des mois, le témoignage de l’ancien bras droit de Jean Charest n’aura finalement duré que quelques heures. Quelques heures pendant lesquelles Nathalie Normandeau a affirmé à maintes reprises que malgré l’apparente proximité entre son bureau et les firmes de génie-conseil québécoises, jamais elle n’a cédé aux pressions de celles-ci dans divers dossiers d’infrastructures municipales.
Elle n’était pas « naïve au point de croire que certaines personnes présentes » à ses soirées de financements « ne pensaient pas peut-être obtenir des choses en retour » de leur générosité. « Mais ces gens-là se sont trompés parce qu’il n’y a jamais eu de retour d’ascenseur », a assuré Mme Normandeau, dont le cabinet a été visé ces derniers mois par une enquête de l’Unité permanente anticorruption.
Calme, posée, visiblement bien préparée, l’ex-ministre s’est dite « profondément révoltée, horripilée » que des firmes de génie aient pu « magouiller » afin d’obtenir des contrats gouvernementaux. Celle qui fut ministre des Affaires municipales et des Régions de 2005 à 2009 avant de passer au ministère des Ressources naturelles jure qu’elle n’a pas fait partie de ces stratagèmes. « Si ça s’est fait, ça s’est fait à l’insu du ministère et de la ministre que j’étais. On appelle ça de la magouille et ça doit être condamné », a lancé Mme Normandeau, saluant l’intervention de l’UPAC et lui enjoignant de poursuivre son travail.
Une proximité insoupçonnée
Sa confiance envers son chef de cabinet Benoit Lortie, qui l’a épaulée pendant pas moins de huit ans, était inébranlable… jusqu’à ce que celui-ci vienne témoigner devant la Commission d’enquête sur l’industrie de la construction (CEIC), ces derniers jours.
Pendant huit ans, elle a eu une « relation de confiance totale » avec M. Lortie, nommé à ce poste à la recommandation du bureau du premier ministre. Sauf qu’aujourd’hui, un doute s’est installé dans son esprit, à la suite des révélations faites à son égard par la commission Charbonneau. « J’écoute les travaux de la Commission et j’apprends des choses. J’ai un doute. […] Il a peut-être trahi ma confiance », a soutenu Mme Normandeau.
« J’ai peut-être été trahie. »
Elle ignorait à quel point M. Lortie était proche de Marc-Yvan Côté, vice-président de la firme de génie Roche. Elle ne savait pas non plus que son chef de cabinet avait rencontré des ingénieurs dans ses bureaux, et que M. Lortie accordait une attention particulière aux dossiers défendus par M. Côté, qu’il considérait comme son grand frère.
Pouvoir discrétionnaire
La veille, l’ex-chef de cabinet avait tenté de justifier l’usage par Mme Normandeau de son pouvoir discrétionnaire afin d’accroître, contre l’avis des fonctionnaires du ministère, la valeur de subventions accordées à des municipalités dans des projets d’infrastructures liées à l’eau.
Des 50 dossiers de subventions majorées de 2002 à 2012, 32 l’ont été à la demande de Mme Normandeau. Du lot, 15 ont bénéficié à Roche, et 10 à BPR. Il n’y a là rien d’inhabituel, a maintenu Mme Normandeau, en dépit des tentatives de la procureure Sonia LeBel de lui faire admettre le contraire.
Le pouvoir discrétionnaire des ministres est là pour être utilisé et pour servir de contrepoids à celui des fonctionnaires. C’est précisément ce que Nathalie Normandeau a fait, sans jamais en abuser, a-t-elle plaidé devant la commission, y allant d’un plaidoyer en faveur de cette prérogative ministérielle.
Mme Normandeau a expliqué être « parfois arrivée à la conclusion que le taux [de subvention] recommandé par les fonctionnaires du ministère des Affaires municipales et des Régions n’était pas suffisant ». Des maires de municipalités lui demandaient de rehausser le montant des subventions, car sans cela, la réalisation des projets d’infrastructure aurait été compromise.
Nathalie Normandeau, élue à la mairie de Maria en Gaspésie à l’âge de 27 ans avant de devenir une figure montante du Parti libéral du Québec, comprenait bien cette réalité.
« Comme ministre, ce que je voyais, ce n’était pas les conduites d’eau. C’était la possibilité pour les citoyens d’améliorer leur qualité de vie […] C’était de redonner de l’espoir à des communautés qui en avaient perdu », a-t-elle affirmé, reprochant aux fonctionnaires de ne pas avoir suffisamment tenu compte de la précarité économique des petites municipalités et de la capacité de payer des citoyens dans l’évaluation des taux de subvention.
Elle a toutefois insisté sur le fait qu’elle n’avait jamais fait pression sur les fonctionnaires pour qu’ils donnent le feu vert à des changements exigés par son bureau.
« Je n’appelle pas ça mettre de la pression, j’appelle ça faire mon travail de ministre. Je voulais que les dossiers avancent », a-t-elle dit.
La commission Charbonneau poursuivra ses travaux jeudi, mais n’a pas divulgué l’identité des prochains témoins appelés à comparaître. Elle pourrait poursuivre ses audiences jusqu’à la semaine prochaine, avant de les interrompre pour l’été. À la reprise des travaux à l’automne, la CEIC aura terminé de faire comparaître des intervenants.
COMMISSION CHARBONNEAU
«J’ai peut-être été trahie»
Nathalie Normandeau dit n’avoir jamais cédé aux pressions des firmes de génie et blâme son chef de cabinet
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