Ivan Blot : « L’État doit se recentrer sur ce qui est son essence même : la fonction militaire »

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Un point de vue très éclairant

Ivan Blot, haut fonctionnaire, auteur et homme politique, grand promoteur de la démocratie directe, a répondu aux questions du Bréviaire des patriotes.



La Russie parviendra-t-elle selon vous à remettre en cause la vision unipolaire du monde selon les États-Unis par l’union qu’elle tente de dessiner entre pays émergents ? À votre avis, quelle est son regard sur l’UE et la France actuelle ?


Dans mon livre « l’Europe colonisée » (Apopsix, 2014), je cite De Gaulle qui dans ses mémoires d’espoirs, écrit : « si les Occidentaux de l’ancien monde demeurent subordonnés au nouveau monde, jamais l’Europe ne sera européenne et jamais non plus elle ne pourra rassembler ses deux moitiés ».


La Russie conteste, comme De Gaulle, la prétention de l’Amérique à se considérer comme au-dessus du droit international. A la session fin octobre à Sotchi du club international de Valdai, dont je suis membre, le président Poutine a demandé à ce que tout le monde respecte l’ordre international et ne prenne pas d’initiative guerrière en dehors du cadre de l’ONU. Mais il a aussi précisé que pour lui, la Russie fait partie de l’Europe et partage sa civilisation. Si elle coopère avec d’autres continents et notamment l’Asie, qui l’intéresse pour des raisons géographiques évidentes, elle ne veut aucunement renoncer à sa vocation européenne.


J’ai récemment discuté avec Philippe de Villiers qui doit créer deux parcs du type du « Puy du Fou » en Russie, l’un près de Moscou et l’autre en Crimée. Villiers a rencontré longuement Poutine. Il m’a dit que celui-ci était bien sûr tout d’abord le président de la Russie mais qu’il avait le sentiment que Poutine se voyait aussi en gardien de la Chrétienté, en gardien des valeurs traditionnelles de la civilisation européenne.


Lors d’une rencontre avec François Hollande à Paris, peu après l’élection de ce dernier comme président de la République, un journaliste avait demandé au président russe s’ils avaient discuté du bouclier antimissile que les Etats-Unis voulaient implanter en Europe de l’Est. Poutine a répondu : un tel dialogue n’est pas possible car la France a renoncé à son indépendance militaire. Elle est membre de l’OTAN, une organisation dominée par les Etats-Unis. Lorsqu’il s’agit de débat sur des questions de haute stratégie militaire, la Russie n’a qu’un seul interlocuteur possible, les Etats-Unis : la Russie et les Etats-Unis sont des pays indépendants militairement, ce qui n’est pas le cas de la France.


La Russie regrette cette situation de l’Europe colonisée, tant par le haut (les Etats-Unis) que par le bas (l’immigration non qualifiée du tiers-monde). Il a dit un jour que la France risquait d’être colonisée par ses propres colonies.


On voit bien que les sanctions économiques antirusses adoptées avec le prétexte ukrainien, conduisent sans doute la Russie à passer des accords commerciaux considérables avec la Chine et avec l’Inde. N’oublions pas que ces trois pays fort différents ont un grand point commun : le patriotisme est une valeur essentielle qui anime leur politique, bien plus que les abstractions droit de l’hommistes de l’Occident. Sur les droits de l’homme, Poutine admet leur valeur mais constate qu’ils servent de prétexte à détruire les anciennes traditions nationales et religieuses.


L’Occident américanisé n’a aucune légitimité pour se considérer comme une Cour suprême mondiale qui jugerait comment les autres peuples doivent penser et se comporter. Cette façon de voir, qui fut celle du colonialisme autrefois, est d’ailleurs dépassée. Le monde est devenu multipolaire et cela va s’accélérant. Regardez les pays qui ont le PNB le plus important du monde : l’Europe occidentale perd pieds et la Chine rattrape les Etats-Unis. En 2013, d’après le Fonds monétaire international (FMI), les Etats-Unis ont produit 16 768 milliards de dollars et la Chine 16 149 milliards. Ce qui est aussi nouveau est la troisième place de l’Inde avec 6 776 devant le Japon qui est quatrième ( 4 667 milliards). En position cinq arrive l’Allemagne, premier pays d’Europe occidentale avec 3 512 et la Russie est sixième avec 3 491 milliards de dollars. Soit dit en passant, ce très bon score russe est incompatible avec les discours superficiels selon lesquels la Russie ne vendrait et ne produirait que des matières premières. Seule la Russie produit les fusées Soyouz, seules capables d’emmener des hommes dans la station spatiale orbitale et elle exporte des centrales nucléaires notamment en Inde.


La France n’a fait que reculer ces dernières années et est désormais 8ème derrière le Brésil qui vient de la doubler, et suivie de près par l’Indonésie et le Royaume Uni.


La Chine, l’Inde et la Russie totalisent 25 500 milliards de PNB contre 16 700 pour les USA. Cela fait peur aux Américains qui craignent la concurrence d’une puissante Eurasie et cela montre aussi le ridicule de Washington qui menace « d’isoler la Russie » : il suffit de voir une carte pour comprendre que c’est impossible !


La Russie a toujours et veut toujours faire une grande Europe d’échanges libres du Portugal à Vladivostok mais, puisque l’Union européenne, sur l’ordre des USA refuse de dialoguer vraiment avec elle, elle met en place en attendant une Union eurasiatique avec la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Arménie. Elle aurait bien voulu inclure l’Ukraine mais le coup d’Etat de Kiev a retardé la réalisation de cet espoir. Quoi qu’il en soit, la Russie ne veut aucunement rompre les ponts avec l’Europe. Je constate d’ailleurs qu’elle a de puissants alliés sur ce terrain avec les milieux économiques des pays européens qui s’inquiètent de la stagnation et du chômage.


Même avec les Etats-Unis, la Russie les considère comme un allié contre le terrorisme islamique et non comme un ennemi. L’agressivité du gouvernement américain est unilatérale. Elle est inspirée par la vieille géo stratégie de Zbigniew Brzezinsky qui commence à dater. Dans son livre, « le grand échiquier », il disait que les USA ne peuvent pas tolérer une puissance concurrente en Eurasie et qu’il fallait pour cela détacher l’Ukraine de la Russie puis découper la Russie en plusieurs Etats. C’est difficile d’être plus agressif que cet ancien conseiller du président Carter, resté officieusement conseiller à la Maison Blanche. Une bonne moitié du peuple américain en a assez des aventures internationales et il se peut qu’un jour les Américains reviennent à de meilleurs sentiments, mais ils ne comprennent que les rapports de force.


Les récents contrats entre l’Inde et la Russie, la Chine et la Russie, qui portent sur du pétrole, le gaz ou des centrales nucléaires, peuvent les faire évoluer.


Que penser de l’UE et de la France ? Ces pays sont colonisés. Economiquement, ils dépendent du dollar pour le commerce international ; Politiquement et militairement ils sont satellisés à la commission de Bruxelles d’une part, à l’OTAN d’autre part. Culturellement, ils sont influencés par l’Amérique qui impose ses programmes et ses médias. Seul De Gaulle a voulu vraiment sortir de cette situation mais c’était alors difficile en raison de la menace soviétique. Aujourd’hui, la nouvelle Russie pourrait s’allier à l’Europe de l’ouest mais celle-ci reste au niveau de ses élites, trop dépendante des Etats-Unis.



Certains disent que le modèle de démocratie directe à la Suisse serait impossible ou dangereux s’il était appliqué à la France. Que leur répondez-vous ?


C’est comme si l’on disait que l’économie de marché serait impossible en France. La démocratie directe en politique est analogue à ce qu’est l’économie de marché. On fait confiance à l’expérience des personnes qui sont sur le terrain plutôt qu’aux bureaucraties. En fait, on vit en oligarchie et non en démocratie, comme je l’ai expliqué dans mon livre « l’oligarchie au pouvoir » (Economica, 2011). Les députés de la majorité sont aux ordres du gouvernement et les décisions de ce dernier sont préparées dans les ministères par les hauts fonctionnaires qui sont les vrais gouvernants de fait. Ils gouvernent avec les dirigeants des médias et des syndicats. Tout cela est oligarchique et non démocratique.


Seule la démocratie directe, les référendums d’initiative populaire, permettent au peuple de s’exprimer vraiment sur les lois. Le système n’existe pas qu’en Suisse, pays où c’est un vrai succès. Le système existe aussi en Italie depuis 1964 où un référendum initié par une pétition de 500 000 signatures peut annuler une loi votée par le parlement. C’est cela qui a fait échouer la loi Berlusconi qui mettait le premier ministre au-dessus de toute les lois en lui accordant l’impunité totale.


Le système existe aussi en Allemagne au niveau des communes et des Länder. Il existe aussi dans 25 des 50 états fédérés américains, surtout sur la côte ouest. C’est pour cela que les impôts sont 30% plus bas sur la côte ouest américaine que sur la côte est : résultat, le taux de croissance de l’économie est plus fort à l’ouest dans les Etats de Washington ou de Californie.


Plusieurs ex pays de l’est autorisent les référendums d’initiative populaire, ainsi que l’Uruguay en Amérique latine. Je ne vois pas pourquoi ce qui réussit dans tous ces pays (voir mon livre : la démocratie directe ; économica, 2012) échouerait en France alors que le régime actuel ne fonctionne pas. C’est le régime actuel qui est dangereux !



Quelle vision de l’Etat avez-vous ? Celle d’un Etat obèse et omnipotent comme le pointent les libéraux ? Ou celle d’un Etat timoré et amaigri face au marché et à l’UE comme le pointent d’autres ?


Aujourd’hui, la réflexion en termes de philosophie politique est indigente. Il faut relire les travaux de l’académicien Georges Dumézil sur les trois fonctions sociales. Il existe trois fonctions sociales hiérarchisées dans toutes les anciennes sociétés européennes : la fonction de souveraineté, la fonction guerrière et la troisième fonction vouée à la production et la reproduction. L’Etat est lié aux deux premières fonctions qui aujourd’hui sont marginalisées. Or, c’est grave pour la moralité, c’est-à-dire le vivre ensemble de toute la société. Les fonctions de souveraineté et guerrières correspondaient à la noblesse et au clergé autrefois, c’est-à-dire à des corps voués au service d’autrui. Dans un monde dominé par la troisième fonction, à dominante économique, l’égoïsme n’est plus compensé par rien.


Le philosophe existentiel Heidegger appelle une telle société le « Gestell », un système d’arraisonnement utilitaire où l’homme devient un rouage de la machinerie techno-économique. L’homme n’est plus considéré que comme matière première et c’est une affreuse régression que le système tente de masquer avec sa rhétorique des droits de l’homme. Le patriarche Cyrille Premier de toutes les Russies dans son remarquable ouvrage, trop peu lu, « l’Evangile et a liberté : les valeurs de la tradition dans la société laïque » (éditions du Cerf), montre qu’en Occident, on parle sans arrêt des droits de l’homme mais on piétine la dignité humaine, et on oublie les devoirs de l’homme qui définissent sa noblesse. Un homme capable de sacrifier sa vie pour sa patrie, c’est-à-dire sa mère, a une valeur morale nécessairement supérieure à celui qui n’en est pas capable.


L’Etat n’a pas à gérer l’économie car il en est incapable. Par contre l’Etat doit protéger les valeurs qui permettent aux hommes de se transcender et de ne pas être de simples animaux : l’armée et l’église jouent ici un rôle essentiel, comme en Russie. En Occident, les valeurs dominantes sont celles du Gestell : l’égo dans sa vanité remplace Dieu, l’argent remplace l’honneur, les masses sont glorifiées à la place de la personnalité et des grands hommes, la technique est idolâtrée et se substitue aux racines que sont la famille et la patrie. Cela entraine, comme l’a souligné le président Poutine au club de Valdai il y a un an, une incapacité à défendre la vie : la natalité s’effondre, le crime progresse et l’Occident va à sa perte sous le poids d’une immigration de masse qui ne s’intègre pas.


Il n’y a pas de contradiction à demander que les libertés et la propriété soient respectées par l’Etat et à vouloir que l’Etat joue son vrai rôle, son rôle éthique : cela suppose que l’Etat se recentre sur ce qui est son essence même : la fonction militaire. De Gaulle a écrit : «  la colonne vertébrale, c’est l’armée, c’est le pôle principal. S’il cède, les pôles secondaires cèderont aussi : la justice, la police, l’administration ».


Vous voyez qu’on est très au-dessus des débats médiocres sur l’Etat gras ou l’Etat maigre : je ne dis pas qu’il n’y a pas là un sujet mais c’est restreindre le débat au corps de l’Etat et ignorer l’essentiel, à savoir son âme : on fait pareil pour l’homme ; on ignore son âme et l’homme régresse vers la bête. Etonnez- vous qu’après cela, on soit incapable de s’opposer spirituellement à l’Islamisme radical !



Quels sont vos projets à court et moyen terme à travers votre association ?


Je n’ai pas une association mais deux, avec deux sites : l’institut néo socratique (www.insoc.fr ) et l’association « agir pour la démocratie directe » (www.democratiedirecte.fr ).


La première est philosophique et veut contribuer à nous sortir de la décadence du Gestell matérialiste dans la ligne des philosophes existentiels, ligne qui va de Pascal à Nietzsche, Kierkegaard et Heidegger. Il n’y aura pas de renaissance politique sans renouveau philosophique mais la classe politique actuelle est, à part quelques rares exceptions, trop inculte et trop égocentrée, pour comprendre cette vérité et agir en conséquence. Il nous faut comme en Russie, une classe gouvernante issue des milieux vraiment patriotiques, donc l’armée, et non des milieux étroitement carriéristes, ceux de l’administration civile, à part, encore une fois, quelques exceptions.


La deuxième association cherche un recours contre la décadence dans le peuple français lui-même en lui redonnant la possibilité de décider de son destin à travers la démocratie directe. Autrement dit, il nous faut un président qui ait l’esprit militaire, avec le courage qui va avec, et un recours au peuple chaque fois que c’est nécessaire pour contourner les féodalités égoïstes, administratives, médiatiques, syndicales, associatives, qui veulent s’imposer au détriment de l’intérêt général.


Les moyens sont d’influencer une partie, la moins décadente, de la classe dirigeante pour qu’elle donne la parole au peuple : pour cela, il faut réformer l’article 11 de la constitution, pour permettre le référendum d’initiative populaire. Le président Sarkozy en 2008 a fait un premier pas dans ce sens en permettant au référendum déclenché par une pétition populaire d’exister. Mais les conditions mises, qui ont été rédigées par des juristes à courte vue, sont trop restrictives : il faut demander comme en Italie 500 000 signatures pour déclencher un référendum, enlever la nécessité d’avoir des signatures de parlementaires (ce sont des citoyens comme les autres : à bas les privilèges !) et rendre la tenue du référendum automatique plutôt que de donner le choix au président de la république de le faire ou non : contrairement à ce que croient certains, c’est affaiblir le président de lui donner cette compétence, car s’il choisit de refuser de faire un référendum, il aura l’air de quoi ?


Sa légitimité démocratique s’en ressentira, et ce sera mauvais pour l’Etat. Il faut un chef à l’Etat et qui soit soutenu par le peuple parce qu’il fait la politique que le peuple souhaite : en ce sens, pour moi, Poutine est plus démocrate qu’Hollande que 80% des Français rejettent.


Propos recueillis par Guillaume N.



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