Le 20 juin 2006
_ Ha'Aretz (Courrier International, 15 juin 2006)
Le cri de colère d'un journaliste israélien contre le peu de réactions dans le pays après l'attaque de Tsahal qui a entraîné, le 9 juin, la mort d'une famille palestinienne sur une plage de Gaza.
Il nous a été trop facile de passer ce week-end sans voir le sang que nous avions sur les mains. Il est vrai que nous ne regardons pas la chaîne satellitaire arabe Al-Jazira. Pour nous libérer de la tragédie d'une famille éliminée pour avoir pique-niqué sur la plage, nous avons vite fait de trouver des échappatoires : le Mondial, bien sûr, mais aussi nos réflexes.
L'horreur irrépressible d'une jeune fille courant sur la plage de Gaza vers sa famille mise en pièces, cette horreur a été montrée encore et encore sur Al-Jazira. Mais ces images ont à peine effleuré les écrans israéliens. La bonne conscience israélienne a tôt fait de couvrir ces images horribles de cris d'indignation envers la propension du monde à nous juger et à nous condamner.
Nous n'y sommes pour rien, nous voulons nous en persuader, et, si jamais nous y sommes pour quelque chose, c'est que nous sommes dans notre droit. “Je rejette fermement toute tentative de salir la moralité de Tsahal”, a déclaré le Premier ministre Ehoud Olmert. “Tsahal est l'armée la plus morale du monde. Elle n'a jamais mené de politique ciblant les civils.” Et, pour boucler la boucle, le commandant israélien du front de Gaza, Yoav Galant, en chœur avec la radio de l'armée, s'est interrogé sur l'origine du bombardement,“soit un tir d'artillerie israélien, soit un tir de roquettes Qassam”.
Alors, tant que nous y sommes, considérons que le sang sur nos mains n'est pas celui d'Ali Ghaliyah, de sa femme Raïssa et de leurs trois enfants (1 an et demi, 3 ans et 10 ans). Après tout, ne disons-nous pas désormais que nous ne sommes pas tachés du sang de Mohammed Al-Doura, l'enfant de 12 ans tué lors d'un échange de tirs entre Israéliens et Palestiniens au tout début de l'Intifada [2000] ?
Car enfin, pour un Mohammed Al-Doura, ce sont des centaines et des centaines de Palestiniens que Tsahal a tués par erreur, lors d'opérations antiterroristes mettant en jeu une force démesurée et une technologie destinée à minimiser les risques dans les rangs israéliens. Mais, comme les caméras n'étaient pas présentes, personne ne s'en est formalisé. Leur tragédie n'en est pas moins insupportable, certainement pas moins insupportable que le drame vécu par des centaines des nôtres et dont le monde ne se soucie pas davantage.
Mais nous faisons avec. Comme nous acceptons l'idée de tirer des milliers d'obus sur l'un des secteurs les plus densément peuplés de la planète [la bande de Gaza], tout ça pour neutraliser une Jeep transportant trois types tirant des roquettes pas plus grosses qu'un balai. Autant chasser une mouche avec un rouleau compresseur.
Nous faisons avec parce qu'“ein brera” [Nous n'avons pas le choix], comme si la seule alternative était de tirer des milliers d'obus sur des espaces déserts. Nous faisons avec parce que nous ne savons rien faire d'autre et que la seule chose en laquelle nous croyons encore, c'est qu'il ne faut surtout pas négocier.
“Toute cette levée de boucliers est moralement répugnante”, a affirmé le député [du Likoud] Yuval Steinitz à propos d'une minuscule manifestation de gauchistes près du domicile du chef d'état-major, Dan Halutz, manifestation à laquelle participait Dana Olmert, la fille du Premier ministre, et dont les mots d'ordre étaient la condamnation du meurtre de la famille Ghaliyah et la reprise des pourparlers avec un gouvernement [palestinien] à l'égard duquel nous éprouvons la même aversion.
ISRAËL. Ce sang que nous avons sur les mains
Par Bradley Burston
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