Islam - Unité dans la diversité

Les chiites sont proportionnellement plus nombreux au Québec qu'à l'échelle mondiale

Religion et démocratie au Québec


Si les musulmans dans leur ensemble partagent en majeure partie les mêmes croyances et pratiques religieuses, l'islam compte néanmoins diverses branches et tendances, que l'on retrouve au Québec, en particulier dans la grande région de Montréal. Tour d'horizon.

Depuis le VIIe siècle, l'islam compte en son sein à la fois des sunnites et des chiites. Une particularité au Québec: la proportion de chiites est plus importante qu'à l'échelle mondiale. Alors que, grosso modo, un musulman sur dix dans le monde est chiite, cette proportion est d'environ un sur quatre au Québec, estime le «religiologue» à l'UQAM Frédéric Castel.
«À Montréal, les musulmans chiites sont un peu plus nombreux que dans les autres régions parce qu'il y a beaucoup de Libanais, d'Irakiens et d'Iraniens, et les chiites sont nombreux dans ces pays», explique le sociologue Ali Daher, directeur général de l'Académie Ibn Sina. Les musulmans québécois installés hors de la grande région de Montréal sont très majoritairement sunnites.
Le recensement de 2001 révélait que plus de 108 600 musulmans vivaient alors au Québec, dont plus de 100 000 dans la région de Montréal, plus de 3000 dans celle de Québec, et plus de 1150 dans celle de Sherbrooke. Selon le Conseil musulman de Montréal, on compte maintenant plus de 150 000 musulmans dans la métropole. Aucune statistique officielle n'existe sur le nombre de sunnites et de chiites, car Statistique Canada ne pose pas cette question.
La distinction entre sunnites et chiites est née «d'une querelle au sein de la communauté musulmane naissante, à savoir qui devait la gouverner», explique Frédéric Castel. Certains, qui ont pris le nom de sunnites, estimaient que le successeur de Mohammed (Mahomet), le calife, devait être choisi par voie de consensus, mentionne-t-il. D'autres, qu'on a appelés chiites, considéraient qu'il devait provenir de la descendance de Mohammed -- la fille du prophète, Fatima, s'est mariée à un cousin de son père, Ali, et ils ont eu des enfants.
Chiites et sunnites : points communs et différences
Les différences de croyances et de pratiques religieuses entre les sunnites et les chiites ne sont pas énormes aujourd'hui. Les chiites ont le même Coran que les sunnites, quoiqu'ils cherchent à en découvrir le sens caché. «La plupart des rituels, je dirais à peu près 80 % d'entre eux, sont communs à la fois aux chiites et aux sunnites», affirme en outre l'imam sunnite et président du Conseil musulman de Montréal, Salam Elmenyawi.
Les chiites et les sunnites ont grosso modo les mêmes obligations fondamentales, soit les prières quotidiennes, l'aumône, le jeûne du ramadan et le pèlerinage à La Mecque, et croient en Allah et en la prophétie de Mohammed. De petites différences existent. Durant le ramadan, les sunnites prennent leur repas du soir, l'«iftar», dès le coucher du soleil, alors que pour les chiites, ce repas doit être pris au début de la nuit, soit une quinzaine de minutes plus tard, explique par exemple Ali Chibli, un chiite bénévole au Centre islamique libanais à Montréal.
Contrairement aux sunnites, les chiites ont une hiérarchie cléricale dont les ayatollahs occupent le sommet. Pour eux, les «imams» -- leurs premiers chefs spirituels, à ne pas confondre avec les imams sunnites, qui président la prière -- sont porteurs de la vérité divine. Pour les sunnites, personne à l'exception du prophète n'est à l'abri de l'erreur, affirme Salam Elmenyawi.
Diversité parmi les chiites
Les chiites se divisent à leur tour en deux branches principales: les duodécimains et les septimains. Les premiers, majoritaires, croient en une lignée de douze imams, ainsi qu'au retour du douzième imam, le Mahdi, à la fin des temps. À Montréal, on trouve notamment des lieux de culte duodécimains libanais, iraniens et irakiens. Cette division par pays d'origine peut s'expliquer notamment par des raisons linguistiques et par le fait que les collectivités n'ont pas toutes le même ayatollah.
Les chiites septimains reconnaissent les six premiers imams communs à tous les chiites, et un septième, qui leur est propre. Ils ont des livres sacrés en plus du Coran. La majorité d'entre eux sont ismaïliens, principalement d'origine indienne ou afghane. Des ismaïliens sont installés non seulement à Montréal, mais aussi ailleurs au Québec, notamment à Sherbrooke. Les alawites viennent pour leur part surtout de Syrie, et les druzes, du Liban. Les alévis sont turcs ou kurdes.
Sunnites
Si les chiites ont tendance à fréquenter une mosquée où se retrouvent des ressortissants de leur pays d'origine, ce n'est généralement pas le cas pour les sunnites. «Les mosquées ne sont pas divisées par pays, mais par secteur [de la ville]. Si je vis à un endroit donné, c'est plus facile pour moi d'aller à telle mosquée. Nous allons tous aux mêmes mosquées et nous faisons les mêmes prières», dit Shaheen Ashraf, sunnite et membre du conseil d'administration du Conseil canadien des femmes musulmanes.
Il arrive aussi que des chiites fréquentent des mosquées sunnites ou vice-versa, ce dont témoignent l'imam sunnite Salam Elmenyawi et le chiite Ali Chibli.
Il existe quatre écoles juridiques sunnites -- les malikites, les chafiites, les hanbalites et les hanafites --, mais l'appartenance à l'une ou l'autre d'entre elles a en général peu d'importance pour les musulmans une fois qu'ils sont installés au Québec, affirme M. Castel.
Le religiologue distingue par ailleurs différentes écoles de pensée. Les traditionalistes sont attachés à la pratique religieuse de leurs origines. Les réformistes cherchent à adapter l'islam au contexte social et à participer activement à la société d'accueil. Le mouvement tabligh, axé sur la piété, vise à ramener à la foi les musulmans en Occident. Les salafistes suivent quant à eux à la lettre les textes sacrés, affirme M. Castel. «J'estime que les groupes réformés sont plus importants à Montréal qu'en Europe de l'Ouest, et que les groupes fondamentalistes sont beaucoup plus faibles qu'en Europe», dit-il.
Soufis et ahmadis
Montréal compte par ailleurs des groupes soufis. Les soufis sont des mystiques, qui peuvent être sunnites ou chiites. «Ce sont des gens qui appartiennent à une confrérie spirituelle dans laquelle ils ont un maître spirituel», explique M. Castel.
Pour les ahmadis, qui ont un lieu de culte dans l'est de Montréal, il y a eu un autre prophète après Mohammed, Mirza Ghulâm Ahmad. «Les ahmadis ne sont pas considérés comme des musulmans par les sunnites et même par les chiites [...]. Eux, ils se considèrent comme des musulmans», dit M. Daher.
Pratique religieuse
Tous groupes confondus, «la pratique religieuse [au sein des collectivités musulmanes] est un peu plus grande à Montréal qu'en France ou ailleurs en Europe, [parce que] l'immigration est plus ancienne en Europe, et qu'il y a plus de gens qui se sont sécularisés», estime Frédéric Castel.
Le religiologue évalue néanmoins à seulement environ 15 % la proportion des musulmans au Québec qui ont une pratique religieuse assidue, en allant par exemple tous les vendredis midi à la mosquée.
Collaboratrice du Devoir


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