Le Québec connaît actuellement des inondations historiques. La fonte des neiges a fait déborder des cours d'eau, forçant plus d'un millier de citoyens à évacuer leur domicile. Certains organismes estiment que le changement climatique est à l'origine du problème. Pour le météorologue Gilles Brien, ce constat est alarmiste et exagéré. Entrevue.
De nombreux Québécois garderont un souvenir amer du printemps 2019. Dans les derniers jours, des quartiers de plusieurs villes du Québec ont été inondés et 1.500 personnes ont été évacuées. Les dégâts matériels se chiffrent déjà à des dizaines de millions de dollars canadiens.
Le Premier ministre québécois, François Legault, s'est rendu sur le terrain à plusieurs reprises, de même que son homologue canadien, Justin Trudeau. À l'approche de la campagne électorale fédérale, Trudeau a voulu se montrer solidaire des sinistrés, une opération de communication qui lui a cependant attiré des critiques. La vidéo d'un homme en colère, apostrophant Trudeau, est devenue virale sur les réseaux sociaux. On peut voir le bénévole demander au Premier ministre de «se rendre utile».
Justin Trudeau donne un coup de main aux sinistrés https://t.co/fpY1gubhN8 pic.twitter.com/Mqy2xhn0Qd
— La Presse (@LP_LaPresse) April 27, 2019
Loin de ces querelles politiciennes, devant l'ampleur des inondations, des personnalités et des organismes écologistes ont rapidement pointé l'influence des changements climatiques. C'est notamment le cas du leader du mouvement du Pacte pour la transition, Dominic Champagne.
«Montréal est en état d'urgence, le Premier ministre [Trudeau, ndlr], les deux pieds dans l'eau, dit qu'il va falloir se rendre à l'évidence: nous sommes en crise climatique, d'urgence climatique. Il faut être solidaire de ceux qui vivent aujourd'hui les impacts cruels, brutaux, du climat, mais il faut se mettre aussi en mode prévention», a déclaré M. Champagne lors d'une manifestation à Montréal le 27 avril dernier.
Les inondations surviennent dans un contexte où le mouvement écologiste est en plein essor au Québec. Elles surviennent aussi quelques mois après l'élection de la Coalition Avenir Québec (CAQ), un parti dont le programme environnemental est très critiqué. Répondant récemment à Sputnik, la Vice-Première ministre du Québec, Geneviève Guilbault, avait pourtant assuré que son gouvernement prenait cet enjeu au sérieux.
#Inondation | Patrouilles non conventionnelles des policiers de la @sureteduquebec dans la zone inondée de Ste-Marte sur le Lac. Pour prévenir le pillage et s’assurer qu’il ne reste personne dans les maisons mobiles. pic.twitter.com/AkxeDUyGuM
— Denis Therriault (@DenisTherriault) April 29, 2019
«Le Premier ministre l'a dit dans son discours inaugural: nous ferons partie de la solution pour lutter contre les changements climatiques. Nous avons inclus des sommes record en environnement dans notre tout nouveau budget. […]
Oui, nous sommes très préoccupés par l'environnement et cette nouvelle mesure […] reflète en tous points cette conscientisation que nous avons face aux changements climatiques, tout en étant parfaitement lucides quant aux retombées de ce phénomène en matière d'inondations récurrentes», avait répondu le 24 avril dernier à Sputnik la Vice-Première ministre et ministre de la Sécurité publique du Québec.
Le météorologue Gilles Brien se montre plus prudent que les écologistes dans son analyse des causes des inondations. M. Brien est l'auteur d'un livre sur les changements climatiques et intervient régulièrement sur la chaîne de télévision québécoise TVA ainsi qu'au Journal de Montréal. Il estime que les écologistes tirent des conclusions hâtives des récents événements.
«Il y a une dérive dans le discours sur le changement climatique depuis quelques années. Dans le discours des mouvements écologistes, mais aussi des politiciens, qui l'ont récupéré. Il y a comme une urgence dans l'air qui fait que l'on doit tout mobiliser dans un seul but direct, immédiat. […] Je me méfie naturellement de ça. Je ne suis pas le seul. Le réchauffement climatique a le dos très large et depuis quelques années, ça s'accélère, l'alarmisme est dans l'air», a souligné M. Brien dans un entretien avec Sputnik.
Gilles Brien ne nie pas l'importance du réchauffement climatique, mais rappelle que le Québec connaît des inondations majeures depuis le tout début de la colonie (1608). Il serait donc normal que des inondations touchent des régions québécoises au printemps.
«Les inondations, c'est tout à fait naturel, dans un territoire [le Québec, ndlr] qui est trois fois grand comme la France. Il y a entre 4.000 et 5.000 rivières et cours d'eau au Québec. Depuis le temps de la Nouvelle-France, nous sommes habitués à voir ces cours d'eau geler et dégeler au printemps. À Montréal, la croix même du mont Royal a été installée parce qu'il y a eu des inondations dans la colonie. Maisonneuve [l'un des fondateurs de Montréal, ndlr] avait promis à Dieu qu'il allait planter une croix si les eaux se retiraient», a détaillé M. Brien.
Le météorologue estime également que certains écologistes «essaient de trouver des coupables» qui n'existent pas toujours. Il déplore l'utilisation de la peur par une frange du mouvement, mais comprend qu'elle puisse être une stratégie de communication efficace.
«La peur est un grand moteur de motivation et le changement climatique est utilisé comme un drapeau pour n'importe quel phénomène. C'est normal de faire ça, car la population n'écoute pas. Les scientifiques le disent. Le président du GIEC [Hoesung Lee, du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, ndlr] a déjà dit que les gens n'écoutaient pas lorsqu'aucune catastrophe n'était annoncée», a aussi souligné M. Brien.
Malgré tout, le météorologue pense que des mesures plus sévères doivent être adoptées pour lutter contre les changements climatiques. Alors qu'il existe «des preuves du réchauffement climatique», les politiciens canadiens ne prendraient pas la mesure des enjeux, à commencer par Justin Trudeau, qui entretiendrait son image écologiste sans passer à l'action pour l'environnement.
«Nous avons des politiciens en place qui ont un double discours. On le voit avec Trudeau. Il s'est fait élire avec un programme environnemental et est ensuite allé acheter un pipeline [l'oléoduc Trans Mountain en Colombie-Britannique, ndlr]. Les sables bitumineux du Canada, c'est probablement 60% des gaz à effet de serre libérés au Canada. Le Canada a signé l'Accord de Paris, mais il ne pourra pas le respecter. […] Le Canada va se retirer de l'Accord de Paris comme il s'est déjà retiré de l'Accord de Kyoto […] Justin Trudeau a révélé qu'il n'avait aucune valeur écologique, c'est un écran de fumée», s'est désolé Gilles Brien.