Au Canada, un lobby en faveur de l'indépendance du Punjab a fait supprimer la référence à «l'extrémisme sikh» d'un important rapport sur la menace terroriste. Cette action a été très critiquée au Canada et en Inde. Mal vue par le gouvernement indien, l'influence des groupes sikhs affecte les relations entre les deux pays. L'analyse de Sputnik.
Chaque année, le gouvernement canadien rend public un important rapport sur la menace terroriste. En 2018, parmi les menaces identifiées se trouvent les «extrémistes qui préconisent la violence pour établir un État indépendant à l'intérieur de l'Inde». Avant que n'intervienne le groupe «Sikhs for Justice», le gouvernement parlait plutôt «d'extrémisme sikh». Des passages ont été changés, mais le rapport met toujours en garde contre ces mouvements dont la désignation a été euphémisée:
«Certaines personnes au Canada continuent de préconiser la violence pour établir un État indépendant à l'intérieur de l'Inde. […] Même si les attentats commis de par le monde à l'appui de ce mouvement sont en déclin, l'appui aux idéologies extrémistes de tels groupes est encore présent. Par exemple au Canada, deux organisations, Babbar Khalsa International et l'International Sikh Youth Federation, ont été désignées comme étant associées au terrorisme», peut-on lire dans le rapport public de 2018 sur la menace terroriste pour le Canada.
Le groupe «Sikhs for Justice» a demandé au ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, de faire faire supprimer toute référence à la religion sikhe. Une demande à laquelle il répondu positivement.
«À l'avenir, le gouvernement du Canada est déterminé à adopter une approche exempte de préjugés en ce qui concerne la terminologie utilisée pour décrire toute menace inspirée par une idéologie ou des groupes», est-il écrit dans la mise à jour publiée sur le site Internet du Gouvernement canadien.
Les porte-parole de «Sikhs for Justice» ont affirmé que le gouvernement discriminait les citoyens sikhs en identifiant le terrorisme sikh comme une menace à la sécurité. Pour faire valoir ce point de vue, le groupe a aussi fait pression sur les députés libéraux du Premier ministre Trudeau.
Trudeau sous pression sikhe
Cette intervention a ravivé le débat sur l'influence de cette communauté au Canada. Surtout que quelques heures après la modification du rapport, Justin Trudeau prononçait un discours dans un temple sikh de Vancouver, en Colombie-Britannique. Le Premier ministre canadien a vanté l'importance de la communauté sikhe et souligné qu'elle renforçait le Canada avec ses «valeurs d'égalité et de justice sociale».
En Inde, le ministre en chef du Pundjab, cet État à majorité sikhe, a critiqué la décision du ministre Goodale de supprimer la référence à l'extrémisme sikh. Selon Amarinder Singh, Trudeau «joue avec le feu avec cette décision mal avisée». Comme plusieurs éditorialistes canadiens, le ministre en chef du Punjab estime qu'il s'agit d'une décision purement électoraliste. Précisons qu'un demi-million de Canadiens, concentrés à Toronto et Vancouver, se réclament de la religion sikhe.
«C'est évident que Trudeau a voulu se protéger en vue des élections à venir au Canada, cédant à la pression dans son pays. Lors de ce processus, il a de manière flagrante ignoré les impacts négatifs que cela pourrait avoir sur l'Inde et sur la stabilité géopolitique», a déclaré Amarinder Singh au Times of India.
Il faut bien comprendre que plusieurs groupes sikhs militent toujours en faveur de l'indépendance du Punjab, au pays de Gandhi comme au pays de l'érable. C'est notamment le cas du groupe «Sikhs for Justice», à l'origine des pressions sur le gouvernement fédéral. Les autorités indiennes refusent une seconde partition du pays, après la sécession du Pakistan en 1947.
Au Canada, plusieurs personnalités sont connues pour appuyer la cause punjabie, ce qui semble de plus en plus déplaire au gouvernement indien. Le chef du Nouveau Parti démocratique du Canada (NPD), Jagmeet Singh, a déjà lui-même milité en faveur de cette cause. Ces dernières années, M. Singh a plusieurs fois été forcé de nier tout lien avec les mouvements terroristes sikhs, mais il n'a d'ailleurs toujours pas l'autorisation de séjourner en Inde. En juin 2015, le Globe and Mail révélait qu'il avait participé en Californie à un événement destiné à promouvoir l'indépendance du Punjab. Le parti qu'il dirige, le NPD, forme la deuxième opposition officielle à Ottawa.
La question punjabie au cœur du litige
Ce n'est pas la première fois qu'un enjeu lié au Punjab affecte les relations entre le Canada et l'Inde. Le gouvernement indien ne semble pas apprécier la présence de quatre ministres sikhs au sein du gouvernement Trudeau. Durant son séjour en Inde de 2018, l'entourage de Justin Trudeau avait aussi invité un extrémiste sikh à participer à un événement à la résidence du Haut-Commissariat du Canada. L'invitation a été annulée à la dernière minute, mais l'individu, Jaspal Atwal, a réussi à se faire photographier avec la femme du Premier ministre à une autre soirée.
Dans les deux pays du Commonwealth, cette bourde a été considérée comme un grave incident diplomatique. Jaspal Atwal a été reconnu coupable de tentative de meurtre sur l'ancien ministre indien Malkiat Singh Sidhu, à Vancouver en 1986. Il a aussi été accusé (sans être condamné) d'avoir planifié l'attaque de 1985 contre Ujjal Dosanjh, un partisan de l'unité indienne, qui est devenu ultérieurement Premier ministre de Colombie-Britannique.
Rappelons que l'explosion d'un Boeing d'Air India en partance de Montréal, en 1985, demeure l'attentat terroriste le plus meurtrier de l'histoire canadienne. 329 personnes ont été tuées, parmi lesquelles 268 Canadiens.