L'histoire de nos grandes sociétés de génie-conseil était écrite dans le ciel depuis des décennies. Les grands projets québécois ont mis la table il y a très longtemps à une culture du "buffet à volonté", faisant monter en grade dans ces organisations les ingénieurs qui étaient plus habiles dans leurs compétences en affaires que dans leur domaine d'études qui, il faut le souligner, est souvent au niveau de la maîtrise universitaire dans l'une ou l'autre des spécialités du génie.
Le "reality check" n'en a été que plus abrupt. Espérons que la chute de SNC Lavalin, pourtant pas la moindre, mettra fin à cet hécatombe de fin de règne. L'Ordre des ingénieurs commence d'ailleurs à avoir hâte que ça se termine et travaille ardemment à redresser la barre. Ce ne sera pas facile de sortir des ornières laissées par des années de laisser-aller déontologique.
Pour revenir à ce qui était écrit dans le ciel, voyons voir. Churchill Falls, Métro de Montréal, Manicouagan, Expo 67, Baie James, Jeux olympiques, SQAE (programme québécois d'assainissement des eaux), ce sont tous des projets de grande envergure où les sociétés d'ingénierie québécoises ont fait la pluie et le beau temps. En multipliant certes les grandes réalisations, nos sociétés de génie ont pris de très mauvaises habitudes: copinage avec les politiciens, tarification au pourcentage des travaux pour la fameuse "surveillance des chantiers" et finalement associations d'affaires avec de multiples fournisseurs de biens et services du secteur de la construction pour des projets supposément "clés en mains" comme le pont Champlain par exemple. Les fondements de cette noble profession qu'est celle de l'ingénieur ont aujourd'hui cédé la place aux affaires et à la finance, sous l'oeil presque complice de nos gouvernements qui cherchaient de plus en plus à se libérer de leurs propres responsabilités dans la réalisation de grands projets.
Les petits bureaux de génie-conseil québécois, qui comportaient moins d'une cinquantaine d'employés, ont toutes été phagocitées par les gros joueurs, seuls capables de soumissionner sur de plus gros projets selon les exigences des donneurs d'ouvrage. Plusieurs de ces gros joueurs, plus agressifs politiquement, se sont fait prendre par la Commission Charbonneau et ont dû être démantelés ou vendus, leurs noms et leurs réputations étant devenus toxiques: Roche, Tecsult, Dessau pour en nommer quelques-uns.
SNC Lavalin a pour sa part essaimé plus que les autres à l'international ce qui n'a certainement rien fait pour réduire son appétit pour les profits faciles, appris de son passé. Mais où donc était passé le génie-conseil dans tout ça? Une bien petite part dans les activités de cet ingénieur devenu entrepreneur en construction, supposé "fleuron du génie québécois" auquel même notre Caisse de Dépôt a cru bon participer.
Le temps est venu de passer à autre chose, la réputation des Québécois au Canada et peut-être même à l'international est ternie pour un bout de temps. C'est le dommage le plus important qui en résultera, une fois la poussière retombée après le passage historique de ces ingénieurs carriéristes et mégalomanes qui se sont soudainement cru tout permis.
Que nos gouvernements se le disent: en génie comme dans bien d'autres domaines qui relèvent de l'expertise professionnelle, les plus petits joueurs ont moins tendance à ce genre de choses. Ils se concentrent sur leus compétences et leur expertise pointue plutôt que de s'imaginer investisseurs, financiers, promoteurs, vendeurs, entrepreneurs, manufacturiers, lobbyistes ou même politiciens.
Parce qu'en fin de compte, pour moi, une firme de génie-conseil, c'est essentiellement une organisation qui encadre un groupe de professionnels et qui fournit à ses clients des services-conseil en génie. Une entreprise de construction peut fort bien embaucher des ingénieurs mais alors, ce n'est plus du génie-conseil.
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1 commentaire
Éric F. Bouchard Répondre
9 mars 2019Votre juste constat M Verville, nous devrions tous le partager. Et le mal dénoncé est si ancien et si profond qu’il devrait nous permettre de porter plus loin la réflexion. Ce que vous nous dites des ingénieurs, nous pourrions l’appliquer au monde de la santé, de l’éducation, de l’industrie culturelle et multiculturelle, des secteurs publics et parapublics.
Depuis le tournant des années 1970, la poursuite des intérêts corporatifs, communautaristes ou personnels est à la base de notre vie collective, politique ou socioéconomique, et en conséquence, la recherche du bien-commun ne fait plus vraiment de sens au Québec.
Vous nous dites qu’il est temps de passer à autre chose, mais à quoi? Dans un contexte post-national, en cette québécitude où la recherche du bonheur consiste à savoir mieux que les autres s’en mettre plein les poches, seul ou en groupe , qu’est-ce qu’on peut faire?