La guerre de mots est bien enclenchée entre Québec et Ottawa, et ce, avant même que le programme d’infrastructures au coeur de leur dispute ne soit lancé. Mais Justin Trudeau estime que les reproches de Philippe Couillard ne sont pas justifiés. Car si Québec déplore qu’Ottawa ne se soit pas engagé, noir sur blanc, à financer ses projets prioritaires, le premier ministre canadien leur rétorque que ce n’est pas de son ressort. Et que le gouvernement québécois aurait été le premier à dénoncer qu’il agisse autrement.
L’Assemblée nationale a adopté à la quasi-unanimité, jeudi, une motion exprimant « sa très grande déception » face au peu de place accordé au Québec dans le budget fédéral déposé la veille à Ottawa. Le gouvernement de Philippe Couillard est notamment déçu de ne pas y avoir vu de « message clair sur la répartition de ces sommes [en infrastructures], la part du Québec, et surtout sur l’appui de trois grands projets », a déploré le président du Conseil du trésor, Pierre Moreau. La motion péquiste — appuyée par tous les députés à l’exception des deux solidaires, qui se sont abstenus — citait notamment les projets de réseau électrique métropolitain (REM), le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal et le service rapide par bus à Québec (SRB).
« Au contraire, l’argent est là pour investir dans les projets de transport collectif », a répliqué le premier ministre Trudeau, de passage à Toronto. « Mais si j’avais dit exactement comment ça va se faire, ils auraient dit : “Oh mon Dieu, non, non, non, ce n’est pas à vous de décider ça. C’est à nous de le faire !” Alors, je comprends le jeu qui se joue. Mais nous, on est très, très fiers d’être là pour investir comme partenaire dans les grands projets qui sont prioritaires pour le Québec », a-t-il insisté, arguant qu’il a lui-même parlé de ces trois projets « plusieurs fois ».
Photo: Clément Allard La Presse canadienne
Justin Trudeau a réagi aux propos de son vis-à-vis québécois Philippe Couillard (notre photo), qui disait sa déception devant le silence d’Ottawa sur les projets du Québec en matière de transport en commun.
Trop tôt pour soumissionner
Les budgets fédéraux ne confirment jamais le financement de projets précis, mais dévoilent plutôt des investissements généraux en infrastructures ou d’autres domaines. En outre, dans ce cas-ci, le programme à même lequel les projets seraient financés commence à peine. Québec n’a donc pas encore pu soumettre ses demandes, explique-t-on en coulisses, en notant que c’est tout à fait normal. « Ottawa est en attente. C’est illusoire de penser qu’on va annoncer du financement pour le projet le plus important des dernières décennies sans avoir les documents », a-t-on indiqué dans les coulisses fédérales, au sujet du prolongement de la ligne bleue du métro montréalais.
Les projets prioritaires de Québec s’inscriraient dans la deuxième phase du programme d’infrastructures, qui prendra son envol plus tard cette année afin de financer de nouvelles infrastructures. Le budget de l’an dernier prévoyait un premier versement de 1,7 milliard en 2017-2018 et la mise à jour économique de l’automne est venue ajouter 300 millions, pour un total d’environ 2 milliards cette année.
Couillard s’impatiente
Le premier ministre québécois ne s’offusque pas de l’absence de montant prévu précisément pour ces trois projets. Mais sa « grande déception » vient du fait que les libéraux fédéraux se soient abstenus de promettre l’appui financier du gouvernement fédéral. « Ce que je veux entendre, c’est le principe du soutien des trois projets », a argué Philippe Couillard.
La réplique de M. Trudeau à ses critiques de la veille n’a visiblement pas dissipé ses craintes, bien au contraire. « Ce que j’ai un peu entendu ce matin — peut-être que j’ai mal compris —, c’est : “Les trois projets sont bien, mais il faut que le Québec en choisisse un.” Non, non, non. On veut les trois projets », a déclaré le premier ministre québécois.
Ottawa suggère au contraire, en coulisses, qu’en faisant financer le REM par la future Banque de l’infrastructure, cela dégagerait le reste des fonds du fédéral pour d’autres projets québécois. Le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão, compte fournir un « cadre financier très, très explicite pour le REM », dans son budget mardi prochain, comprenant un « montant de nature générale, mais [qui] donne un ordre de grandeur » de la participation financière attendue du fédéral. Car « les échéanciers approchent », notait M. Couillard.
Les représentants fédéraux étaient étonnés des sorties du gouvernement Couillard. En voyant les demandes budgétaires de Québec, qui réclamait des sous pour ses trois projets d’infrastructures en début de semaine, Ottawa aurait appelé pour les avertir de ne pas s’inquiéter du fait qu’il n’y aurait pas de projets précis énumérés dans le budget fédéral.
Philippe Couillard semble cependant déterminé à mener sa bataille. « L’histoire n’est pas terminée », a-t-il averti en invitant les élus québécois à Ottawa à faire écho aux « priorités du Québec » dans leur caucus.
Le chef péquiste, Jean-François Lisée, estime de son côté que le budget témoigne de « l’injustice systémique fédérale envers le Québec ».
« Les projets ne sont pas nommés spécifiquement dans le budget, a consenti la ministre du Développement international, Marie-Claude Bibeau, à Ottawa. C’est normal. Ils ne sont pas nommés pour les autres provinces non plus. »
Déficit et autres critiques
Aux Communes, les néodémocrates ont critiqué le peu d’investissements dans la lutte contre les changements climatiques et le retrait du crédit d’impôt pour les usagers du transport en commun. « Ce crédit était complexe, il n’y avait pas énormément de gens qui en profitaient », a fait valoir M. Trudeau en ajoutant que l’argent serait « mieux dépensé » en investissant pour construire de nouvelles infrastructures de transports en commun.
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