Idéalement, tous les gouvernements du monde voudraient des immigrants « rentables » pour leur économie. C’est cru, mais c’est ainsi : les politiques d’immigration ne sont pas d’abord conçues pour être charitables.
Certes, les gouvernements acceptent des réfugiés, ce qu’ils doivent continuer à faire pour des considérations humanitaires. Mais pour être admis comme « immigrant économique », les demandeurs doivent combler un besoin, être utiles.
Comment juger de la « rentabilité » ? Pas simple. Mais ultimement, les immigrés devraient pouvoir, après quelques années, avoir une paye suffisamment importante pour que leurs impôts et taxes paient les services sociaux utilisés par leur famille (santé, éducation, garderie, etc.).
Cette « rentabilité » est d’autant plus importante si le pays d’accueil a des services sociaux gratuits ou presque gratuits, ce qui est le cas du Québec. Si la paye des immigrants n’est pas suffisante, ce sont les autres citoyens qui devront payer, au bout du compte, et au-delà d’un certain niveau, le fardeau peut devenir insupportable pour les finances publiques à long terme.
Pourquoi ce long préambule ? Parce que Statistique Canada a publié le printemps dernier une flopée de nouvelles données sur les revenus qu’empochent les immigrés après quelques années, ce qui nous permet de réfléchir sur leur contribution (1).
J’ai analysé les données sur les revenus de travail les plus récentes disponibles (2017) des immigrés qui ont été admis en 2007, soit 10 ans plus tôt. Mon analyse porte sur les revenus des demandeurs principaux à l’immigration (ce qui exclut leur conjoint ou enfants, bien moins payés) (2).
Parler français, un atout
Premier constat : au Québec, les immigrants qui parlent seulement le français gagnent maintenant davantage que ceux qui n’ont que l’anglais comme langue courante.
En 2017, les premiers avaient un revenu d’emploi médian de 45 700 $ contre 38 700 $ pour les seconds, soit un écart appréciable de 18 %.
Il est encore préférable, financièrement, de parler les deux langues officielles du Canada (49 900 $ de revenus), et peu payant de ne parler aucune des deux langues (29 400 $), mais quoi qu’il en soit, l’avantage du français sur l’anglais est intéressant.
Les étudiants
Autre constat : les immigrés étudiants ont un revenu d’emploi bien supérieur aux autres. Ainsi, les immigrés qui sont entrés au pays en 2007 avec un permis d’études gagnaient 55 200 $ en 2017 contre 47 700 $ pour ceux qui avaient plutôt un permis de travail. Je parle toujours des demandeurs principaux, et non des personnes à charge.
Cet écart pourrait s’expliquer par le fait que le marché du travail attribue une valeur supérieure aux immigrés qui ont des diplômes locaux. La donnée est éloquente dans le contexte où le gouvernement du Québec offre une procédure accélérée d’immigration aux étudiants (malgré la récente réforme du Programme de l’expérience québécoise ou PEQ).
Les immigrés qui avaient les deux permis (études et travail) sont les plus choyés (63 600 $).
La France et la Chine aux antipodes
Par ailleurs, il ressort de l’analyse que les immigrés venant de Chine gagnent très peu, même 10 ans après leur arrivée, selon les données fiscales de Statistique Canada.
Au Québec, les demandeurs principaux provenant de la Chine ne touchaient que 35 200 $ de revenu d’emploi en 2017, soit beaucoup moins que la moyenne des immigrés (47 900 $). Ou encore bien moins que l’ensemble des travailleurs québécois de 25-54 ans (41 950 $). Est-ce en raison d’une moins bonne maîtrise du français ?
Le cas des immigrés venant des Philippines est vraiment particulier. Quelque 95 % des demandeurs principaux de ce groupe étaient des femmes, comparativement à 40 % pour les autres souches d’immigration. Et leur revenu médian de 2017 était très faible (26 800 $), soit tout juste supérieur au salaire minimum.
Est-il possible que la venue de ces immigrées des Philippines s’explique par les besoins en aides familiales de riches résidants de quartiers cossus, comme Westmount ? Auquel cas on peut s’interroger sur leur contribution économique, puisque le salaire de ces immigrées est loin de couvrir les coûts sociaux (santé, etc.), d’autant qu’elles ont des personnes à charge (2,4 immigrés par demandeur principal).
Ce sont les immigrés de France qui sont les mieux payés parmi les principales souches, et de loin. Dix ans après leur arrivée, le revenu d’emploi médian des immigrés économiques français s’élevait à 59 100 $, soit 23 % de plus que les autres.
Ce salaire élevé est d’autant plus intéressant pour le pays d’accueil que les immigrés économiques français de 2007 avaient peu ou pas de personnes à charge (1,7), en tout cas deux fois moins que ceux des autres souches. Dit autrement, le revenu par personne – et donc les impôts – est plus élevé avec les Français.
Les enfants changent tout
Cela dit, le portrait de la « rentabilité » des immigrés change radicalement si l’on tient compte de leurs enfants. Les enfants d’immigrés arrivés au Canada dans l’enfance sont beaucoup plus nombreux à poursuivre leurs études après le secondaire que les Canadiens de souche.
Et cette persévérance a pour effet de faire croître leurs revenus, à tel point qu’à l’âge de 30 ans, ils dépassent ceux des natifs du Canada au même âge. J’ai fait état de ce constat renversant dans une récente chronique.
J’y expliquais, toutefois, que le Québec était un cas unique au Canada. Ici, les revenus des immigrés arrivés dans l’enfance ne surpassent pas ceux des natifs à l’âge de 30 ans. Cette différence avec le reste du Canada s’explique-t-elle par la provenance très différente des immigrants ? Par la discrimination de la société d’accueil ?
Mardi, je réponds à ces questions. Des surprises en vue.
1. Les données proviennent de la Base de données longitudinales sur l’immigration, qui combine des données fiscales avec celles d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).
2. J’ai utilisé les revenus d’emploi médians, alors que mardi, les données produites par Statistique Canada pour les enfants immigrés devenus adultes utilisent les salaires, traitements et commissions médians. Les deux types de revenus sont semblables.
Les Algériennes d’origine gagnent moins que les autres
Les femmes immigrées, même lorsqu’elles ont été les demanderesses principales à l’immigration, gagnent significativement moins que les hommes immigrés au Québec. Le portrait varie toutefois passablement selon le pays d’origine des immigrés qui s’installent ici.
En moyenne, 10 ans après leur arrivée, les femmes immigrées au Québec touchent 74 % du revenu d’emploi des hommes immigrés, selon les données de Statistique Canada de 2017 (les plus récentes disponibles). Cette proportion est semblable à celle des femmes immigrées de l’Ontario (74,5 %), mais un peu inférieure au rapport des revenus femmes-hommes des natives du Québec (77 %).
Ce sont les femmes immigrées venant de la Roumanie qui touchent les meilleurs salaires par rapport aux hommes de la même origine, soit 94 %, suivi de celles d’Haïti (90 %). À l’autre bout du spectre, les femmes de l’Algérie (67 %), notamment, font proportionnellement moins que les autres.
Et je compare toujours le revenu des seuls demandeurs principaux à l’immigration, et non de leurs personnes à charge (conjoint, enfants, etc.), qui gagnent moins.
Est-il possible que ce salaire moindre des Algériennes s’explique par la discrimination que vivraient au Québec les femmes voilées ?
La réponse n’est pas claire. D’abord, les femmes venant du pays voisin de l’Algérie, le Maroc, où le voile est aussi très présent, gagnaient 77 % du salaire des hommes marocains d’origine, soit un rapport semblable à celui des femmes natives du Québec.
Ensuite, soulignons qu’en Algérie, le revenu national des femmes n’est que de 18 % de celui des hommes. Et par ailleurs, en Algérie, seulement 29 % des femmes ont leur propre compte bancaire – un signe d’indépendance financière –, contre 99 % des Canadiennes.
Précisons que la base de données de Statistique Canada ne nous informe pas sur le type d’emploi occupé, qui pourrait influencer les revenus d’emploi.