Arnaud Montebourg et Fabien Roussel ont été vilipendés par la gauche pour leurs positions détonantes sur l'immigration. L'ex-député PS Jean-Philippe Mallé critique avec sévérité cette gauche qui a mis des œillères sur le sujet.
La gauche a-t-elle un problème avec le sujet de l'immigration ? L'ancien député socialiste Jean-Philippe Mallé évoque pour RT France la question de l'immigration au sein de la gauche. Vice-président d'Oser la France (fondé par le député Les Républicains Julien Aubert), ce gaulliste de gauche dresse un constat sans concession sur son ancien camp politique.
RT France : Les candidats Fabien Roussel et Arnaud Montebourg ont essayé d'aborder le sujet de l'immigration lors de leur campagne respective sans en faire un sujet tabou. En réponse, une grande partie de la gauche les a attaqués, de La France insoumise jusqu'aux socialistes en passant par les écologistes. Que révèle selon vous cette levée de boucliers ?
Jean-Philippe Mallé (J-P. M.) : Cela révèle le fait que la gauche est dans une forme de déni de la réalité nationale. Je l’ai vécu au sein du Parti socialiste. Au sein de La France insoumise et des écologistes c’est au fond la même chose. Majoritairement à gauche, il y a une défiance vis-à-vis de la nation.
Historiquement, la gauche a pourtant porté – depuis la Révolution française en particulier – l’idée de nation comme construction politique, vue comme un idéal universaliste. Elle a désormais abandonné le triptyque Nation-Etat-République, source d’émancipation, au profit d’autres choses, d’autres objectifs.
RT France : Quels sont pour vous ces objectifs ?
J-P. M. : Il suffit de lire la note désormais très connue de Terra Nova [un think tank influent proche du Parti socialiste], qui en 2011 a marqué un tournant. La gauche était alors dominée par le Parti socialiste. Terra nova a fait le constat que les classes populaires et les classes moyennes inférieures ne votaient plus pour la gauche. Pour Terra Nova, elle devait donc se lancer dans d’autres combats, basés sur des revendications minoritaires par segment. C’est le marketing appliqué à la politique. Et c’est donc tout ce que vous savez : le combat pour les minorités et orientations sexuelles, les immigrés, les communautarismes…
Le communautarisme devient sa clientèle électorale
Lorsqu’Arnaud Montebourg a fait cette proposition de bloquer les transferts de fonds privés [pour les pays étrangers non coopératifs] ou lorsque d’autres politiques font des propositions comme la suppression du droit du sol... il ne s’agit pas d’interdire totalement l’immigration ou d'aller vers une immigration zéro. Il s'agit de réguler l’immigration. Sauf que lorsqu’on aborde ces questions, la gauche pousse des cris d’orfraie, parce que le communautarisme devient sa clientèle électorale.
RT France : Vous sentez-vous très éloigné de cette gauche, vous, ancien élu socialiste ?
J-P. M. : La gauche d'aujourd'hui, ce sont les idiots utiles de la globalisation. Même si elle a toujours eu une dimension d'émancipation individuelle, elle avait, dans l'histoire, d'abord une ambition collective à travers la nation ou la lutte des classes. Désormais c’est l’individualisme XXL, avec les revendications des droits de l’individu, de la communauté, de la minorité. C’est tout ce qu’on appelle la gauche woke.
La gauche d'aujourd'hui, ce sont les idiots utiles de la globalisation
Cela n’est que le revers de la médaille de la globalisation. On peut l'illustrer avec Assa Traoré et ses chaussures Louboutin. Le marché mondialisé ne veut pas de frontières et de cultures nationales.
J’ai plus de respect pour les anciens militants communistes ouvriers des années 80 qui avaient bien compris qu’une immigration non régulée, cela pouvait peser sur le coût du travail en France. Et c’était très clairement dit.
RT France : Oui, Georges Marchais durant sa campagne présidentielle de 1981 notamment…
J-P. M. : Bien sûr. Donc, j’ai plus de respect pour ce Parti communiste que pour la gauche actuelle qui se drape d’humanisme et des droits de l’homme, mais qui fait beaucoup de tort aux classes populaires en France. Car l'immigration pèse sur le coût du travail. Les classes populaires le voient bien. Si le Rassemblement national et Eric Zemmour sont à ce niveau, la gauche en est responsable et coupable. C’est son déni de réalité du fait que, pour elle, il n’y a plus de frontière, plus de nation... il n’y a plus de peuple. Mais les Français, notamment les plus modestes et fragiles, ont bien compris qu’il n’y aura pas de débouché social, hors de la nation.
Si le Rassemblement national et Eric Zemmour sont à ce niveau, la gauche en est responsable et coupable
RT France : Selon vous, les électeurs de gauche ont-ils massivement glissé chez Marine Le Pen et Eric Zemmour ?
J-P. M. : Surtout Marine Le Pen... Et on les comprend. On se retrouve dans cette situation où l'ensemble de la gauche réuni aujourd’hui est à 25%. Et elle ne se remet même pas en question. C’est assez fascinant.
Aussi, quand quelqu’un comme l'écologiste Emmanuelle Cosse – qui a été ministre sous François Hollande – déclare qu’il faut dissoudre l’Etat-nation, c’est totalement irresponsable. Si vous défaites l’architecture «Nation, Etat, République», que reste-t-il ? Il reste des clans, des tribus, des communautés et l’individu. C’est ce que nous a préparé la gauche.
RT France : Pour vous, le tournant idéologique date véritablement et seulement de 2011 avec la note de Terra Nova ?
J-P. M. : Structurellement, on peut remonter aux années 60, particulièrement la date symbolique de 1968, avec la montée du consumérisme, de l’individualisme, avec la remise en cause des grandes structures verticales comme l’Etat mais aussi le Parti communiste, tout comme l’Eglise catholique. Tout cela au profit d’une atomisation de la société. On est passé d’une société holiste à une société individualiste.
Néanmoins, 2011, sur le plan du champ politique de la gauche et du Parti socialiste, c’est une date importante. En effet, avec la note de Terra Nova, désormais, tout cela est écrit, conceptualisé, théorisé, écrit noir sur blanc.
RT France : A vous écouter, la gauche semble avoir arrêté de réfléchir sur l’immigration. Cela a-t-il eu une conséquence sur sa réflexion à propos de la nation ?
J-P. M. : Pour la gauche, l’immigration ne mérite même pas d’être pensée car elle a désormais une haine contre l’idée de nation. Elle ne veut pas voir les conséquences sur les communautarismes, sur le fait qu’on n’arrive pas à assimiler.
Ils ne mesurent pas leurs échecs sur les politiques d’intégration et même d’assimilation. La nation est devenue leur ennemi.
Il y a quelques mois, un homme d'une gauche devenue ultra-minoritaire, Didier Leschi [directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration], a fait une interview retentissante et juste dont le titre était : «Une hospitalité pour tous est une hospitalité pour personne.»
Tous ces gens de gauche devenus majoritaires, si humanistes, si attachés à accueillir tout le monde, ils ne mesurent pas leurs échecs sur les politiques d’intégration et même d’assimilation. La nation est devenue leur ennemi.
En conséquence, la gauche a abandonné l’universalisme républicain. Beaucoup d’intellectuels ont pesé autrefois sur elle comme Jacques Julliard. Il suffit de lire ses éditos d'aujourd'hui. Comme d'autres, cet intellectuel de la CFDT et de la deuxième gauche ne se reconnaît plus dans la gauche d’aujourd’hui. Celle-ci ne parle plus que de races, de communautés.
La situation de la gauche est catastrophique. Mais je constate que la droite Les Républicains a aussi arrêté de réfléchir sur l'immigration et la nation. On peut même remonter au RPR de Jacques Chirac qui a «dégaullisé» ce parti. Un phénomène qui s'est poursuivi sous Nicolas Sarkozy.
Propos recueillis par Bastien Gouly