Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, la traite des fourrures représentait la principale activité économique de la Nouvelle-France. La traite des fourrures s’appuyait sur le troc. Les Français offraient divers produits européens aux Amérindiens en échange de fourrures et de peaux. Parmi les marchandises prisées par les Amérindiens, on comptait des fruits, de la poudre à fusil, des couvertures, des miroirs, des vêtements, des briquets, des aiguilles à coudre, de l’eau-de-vie, des chaudrons, etc.
Au XXIe siècle, ces vieilles méthodes douteuses sont reprises par les nouveaux colonisateurs pour obtenir le « consentement » à l’exploitation du territoire, et elles visent tous les types de populations. Dans le secteur des hydrocarbures, les entreprises pétrolières et gazières utilisent différentes techniques détournées afin de continuer à s’approprier les ressources naturelles en espérant que les populations ne réagiront pas. On n’a qu’à penser à la société albertaine Questerre, qui s’était attiré des critiques après avoir financé, à raison de 20 000 $, un clocher d’église à Saint-Édouard-de-Lotbinière. En 2011, Talisman Energy, autre compagnie de l’Alberta, était présente au Québec ; mais aussi au Pérou, où elle finançait des écoles, des dispensaires médicaux et autres commodités. Elle distribuait aussi, bien sûr, de l’argent afin de mieux faire passer la pilule. Pour pouvoir forer sur les terres des communautés amérindiennes Achuar (voir l’article du 20 décembre 2011 d’Alexandra Cyr dans Presse-toi à gauche).
En 2012, Pétrolia a repris l’idée des écoles et a contribué financièrement à la restauration d’une cour d’école de Gaspé. Décidées à bien faire passer leur message dans la population de la Gaspésie, Pétrolia et sa partenaire Québénergie ont même financé entièrement une série d’émissions d’« information » portant sur leurs projets pétroliers. Celles-ci ont été diffusées sur les ondes de la télévision communautaire locale, mais aussi sur Internet. Un publireportage, de dire certains citoyens de la région.
Et quand cela ne passe pas, alors tous les moyens sont bons. En 2009, Talisman Energy est même allée jusqu’à amener un groupe armé favorable à l’exploitation au Pérou pour affronter des manifestants qui s’y opposaient. La situation a failli dégénérer en véritable conflit violent. La division est donc une des armes utilisées.
Ici, au Québec, on n’a pas besoin d’appliquer ce genre de tactique frontale ; il suffit d’imiter les Romains et d’offrir du pain et des jeux. C’est ainsi qu’Hydrocarbures Anticosti (le consortium regroupant Pétrolia, Corridor Resources, Maurel Prom et Ressources Québec), par l’entremise de son laquais, Denis Duteau, ancien maire d’Anticosti, a décidé d’organiser un « bin beau pestacle pour remercier » la population d’Anticosti. « Nous avons pensé qu’il serait intéressant de faire une soirée et d’y convier les résidents, les travailleurs saisonniers et les chasseurs présents », de dire Denis Duteau dans un prospectus remis dans les boîtes aux lettres des résidents de la municipalité de Port-Menier. Il ajoute : « Le spectacle sera gratuit et nous aurons comme artistes invités les Frères à Ch’val. » Il laisse son numéro de téléphone et son courriel. Serait-ce dans l’espoir que les citoyens l’appellent pour le remercier à leur tour ?
L’opposition s’organise
Remercier de quoi au juste ? De s’être laissé forer ? D’avoir vu 115 millions de fonds publics dilapidés pour le mirage de la spéculation sur un pétrole hypothétique ? Aller fêter pour se réjouir d’entendre Hydrocarbures Anticosti annoncer dans son prospectus que l’île servira de cobaye pour la fracturation visant le pétrole de schiste en 2016 ?
Quoi qu’il en soit, on ne peut en vouloir aux Frères à Ch’val de vouloir gagner leur vie alors même que le gouvernement bafoue la culture en sabrant 2,5 millions dans le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) le jour même de la fête nationale des Québécois. Après tout, Philippe Couillard poursuit dans la logique néolibérale de Jean Charest, qui a toujours prêché que l’avenir de la culture résidait entre les mains du privé. Hydrocarbures Anticosti prêche par l’exemple et le gouvernement, lui, se charge d’assurer l’avenir du pétrole en pigeant dans les fonds publics. La boucle de la grande dépossession, aux relents de colonialisme à la sauce XXIe siècle, essaye ainsi de se boucler en s’enfonçant dans le puits sans fond de l’exploitation des hydrocarbures.
Heureusement, la résignation ne semble pas être le mot de la fin dans cette éternelle histoire de l’exploitation des peuples. En effet, une manifestation sera organisée le soir dudit « pestacle », le 12 septembre 2015, devant le local des Chevaliers de Colomb à Port-Menier, afin de clamer le refus des citoyens face à la poursuite des travaux d’Hydrocarbures Anticosti. Pour bien des Québécois, la fracturation, c’est « non ». Et ceux d’entre nous qui ne peuvent se rendre sur l’île auront peut-être l’idée d’appeler eux aussi pour remercier Hydrocarbures Anticosti. « Non » à une marée noire dans le Saint-Laurent.
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