[->4137] Ils ne connaissent pas Saku Koivu. Ne regardent pas Tout le monde en parle. N'ont jamais écouté Céline Dion ou Star Académie. Anachroniques et hermétiques, ils vivent à Montréal dans un monde parallèle, créé selon les préceptes de la Torah. Combien de temps résisteront-ils au monde qui les entoure? Telle est la question...
Qui sont les Juifs hassidiques? Difficile à dire. Même si on les remarque de loin sur le trottoir, avec leurs chapeaux noirs, leurs boudins et leur trâlées d'enfants, on ne connaît ni leur langue (le yiddish) ni leur culture religieuse, ni leur façon de vivre au quotidien. Leur univers est opaque, intriguant, inaccessible.
Pas facile d'y pénétrer. «Le meilleure chose à faire, c'est de ne pas vous occuper de nous», lance carrément Yakov, un hassidim tenant boutique dans le quartier Outremont, qui refuse d'être identifié sous son vrai nom.
Bref, la loi du silence règne quand vient le temps de causer juifs orthodoxes. Et pas seulement dans la communauté. Plusieurs Québécois interrogés, qui ont côtoyé de près ou de loin les Hassidim, dans de bons ou de moins bons contextes, ont soit refusé d'être cités, soit refusé d'être nommés. Comme si l'on s'interdisait, par peur ou par pudeur, de dévoiler ce que l'on sait.
Il est vrai que la tension est parfois palpable entre nos deux communautés, particulièrement dans le quartier Outremont, où résident la majorité des quelque 12 000 hassidim montréalais.
Les controverses autour du YMCA et des écoles juives illégales ont accentué un malaise qui dure depuis longtemps. Des pétitions ont été signées pour s'opposer aux pratiques ou à l'achat de maisons de ces voisins «excentriques». D'un côté comme de l'autre, il y a eu des menaces, des ripostes, des représailles. Et surtout, beaucoup d'incompréhensions.
Incompréhensions qui devront bien un jour être résolues puisque les Hassidim sont là pour rester, Avec un taux de natalité supérieur à 6%, les juifs ultra orthodoxes vivent dans un perpétuel baby boom. On prévoit qu'en 2030, ils seront près de 40 000 dans la grande région de Montréal. Soit trois fois plus nombreux qu'aujourd'hui.
Les retombée de Lekhaim!
Cela dit, le voile semble vouloir se lever ¬ un peu - sur cette fascinante communauté secrète. En 2006, loin des débats sur l'accommodement raisonnable, un chanteur et deux écrivaines ont révélé un autre visage de la culture hassidique : celui du plaisir et de l'intimité.
Avec Youth, un improbable album de «reggae cachère», le new-yorkais Matisyahu est devenu la première vedette hassidique «crossover» de l'Histoire - preuve qu'on peut être à la fois ultra orthodoxe et fan de Bob Marley. Son succès (auprès des non Juifs, notamment) a été tel, que la compagnie Epic vient de lancer un nouvel album du chanteur (No Place to Be) à peine six mois après Youth.
En librairie, la Québécoise Myriam Beaudouin a lancé le roman Hadassa, témoignage priviilégié - quoique romancé - sur son expérience de prof de français dans une école pour jeunes filles juives.
Avec Lekhaim! enfin, Malka Zipora raconte ¬- de l'intérieur cette fois - la vie d'une mère de famille hassidique d'Outremont et de ses 12 enfants. D'abord publiées en yiddish dans un journal juif aux États-Unis, puis traduites en français aux Éditions du Passage, ces chroniques du quotidien ont connu un impressionnant succès en librairie (près de 5000 ventes) confirmant l'insatiable curiosité des Québécois pour cette communauté inaccessible.
Selon Julia Duchastel, directrice des éditions du Passage, aucun doute : Lekhaïm! a fait le pont entre deux cultures.
«Depuis que le livre est sorti, on a beaucoup d'échos de rapprochements dans les quartiers, entre notre communauté et la leur. Et on n'a jamais reçu autant de courrier des lecteurs, toutes sortes de gens, hommes ou femmes, qui voulaient en savoir plus. Plus sur la vie avec le mari, avec les enfants ou même leur vie sexuelle. Oui, ça a définitivement ouvert le dialogue.»
Cultiver le secret
Mais il en faudra plus pour entretenir le contact. Même si on a l'impression de les connaître un peu mieux, les Juifs hassidiques demeurent farouchement fermés à notre univers.
Fuyant la Shoah au début des années 1940, les Hassidim n'ont jamais été attirés par le rêve américain. S'ils sont venus en Amérique, c'est d'abord pour vivre et pratiquer leur religion sans être persécutés. Pour survivre, ils ont créé une enclave leur permettant de prendre ce qu'ils aimaient de l'Amérique, tout en rejetant le «méchant».
Les Hassidim ne vont pas à l'université, qu'ils considèrent comme une perte de temps (au détriment des études pieuses) et un haut-lieu de tentation (des gars qui jasent philo avec des filles : attention!). Résultat : on ne trouve ni avocats, ni médecins, ni profs d'université chez les Juifs hassidiques qui doivent se contenter de professions plus modestes.
La plupart d'entre eux n'ont pas la télévision, qu'ils considèrent comme un «poison pour l'esprit». Pour ce qui est de la musique pop païenne, oubliez ça. Vous ne trouverez jamais un disque des Beatles ou de Céline chez les Hassidim, qui n'écoutent que des chanteurs «religieusement corrects».
«Ça commence avec les Beatles et après c'est quoi?», demande Yakov (nom fictif) un Hassid qui tient boutique dans le quartier Outremont. «Quand j'entends Céline Dion à la radio, je la ferme. Tout simplement. Je ne dis pas que c'est péché. Je dis simplement que ce qui est bon pour vous ne l'est pas nécessairement pour nous.»
Plus branchés qu'on le pense
Peut-on vraiment, en 2007, être aussi imperméable au monde qui nous entoure? Contrairement aux Amish, qui ont choisi l'isolement géographique, les Hassidim sont soumis à la pub, aux magazines, aux unes de journaux. Ils voient les minijupes et des hommes qui se promènent main dans la main. Ils sont assiégés par la modernité. Jusqu'à quel point peuvent-ils ignorer notre réalité? Sont-ils aussi fermés qu'on le croit?
Pas certain, répond Pierre Anctil, spécialiste de la question juive à Montréal. Pour cet anthropologue, directeur de l'Institut d'études canadiennes à l'Université d'Ottawa, il est évident que les Hassidim «en savent plus que ce qu'ils laissent transparaître.»
Entre les branches on chuchote d'ailleurs que certaines familles auraient des téléviseurs cachés dans les garde-robes. Un Hassidim nous a même avoué avoir le câble «pour écouter les nouvelles à CNN». Vrai ou faux?
Chose certaine, l'informatique elle, est de plus en plus présente dans l'univers hassidique. Pour des raisons professionnelles, la communauté n'a pas eu le choix d'adopter les nouvelles technologies, même si l'ordinateur leur semble encore plus «poison» que la télévision, pour toutes sortes de raisons que l'on devine, du site porno aux blogues d'Hassidim défroqués.
«Il y a 15 ans, Internet n'existait pas. Aujourd'hui, Internet leur permet un contact avec le monde extérieur», souligne William Shaffir, prof de sociologie à l'université McMaster de Hamilton. M. Shaffir dit avoir été très impressionné par l'attirail technologique aperçu dans les bureaux de la communauté Tash de Boisbriand. «Vous seriez surpris», ajoute-t-il.
Une ouverture indirecte
Prof à l'UQÀM et auteur du livre Les Juifs hassidiques, dans la collection Que sais-je?, Julien Bauer confirme : on assiste actuellement à une " ouverture indirecte " de la communauté.
Mais selon lui, ce sont les femmes, plus scolarisées (dans le sens laïque du terme. Elles finissent généralement leur secondaire V), qui sont en train de faire la différence. " Leur niveau d'éducation grimpe. Elles en savent plus que leurs mères ou leurs grand-mères. Elles ont une vision d'ensemble du monde et de l'Histoire qu'elles peuvent exprimer mieux que leurs maris (qui se limitent à l'étude religieuse) et qu'elles peuvent léguer à leurs enfants. "
Tout le défi, maintenant, sera de préserver les traditions, tout en améliorant les rapports avec le monde extérieur. Pour Pierre Anctil, le mouvement de réconciliation serait amorcé.
" Je ne dis pas que les nouvelles générations seront moins fidèles au style de vie hassidique, mais elles sont conscientes qu'elles devront un jour se préparer à travailler dans notre monde, afin de subvenir aux besoins de leurs familles. L'idée de passer leur vie entière à étudier dans une école religieuse est une option qui semble de moins en moins envisagée.
" Cela dit, on ne se contera pas d'histoires : les Hassidim auront toujours une pièce à part dans la maison. "
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé