Guy Spitaels, mort lundi passé, est non pas le seul homme politique d'envergure a avoir occupé le poste de Président wallon, mais le seul à l'avoir voulu délibérément, tout en donnant à cette fonction la priorité.
Le Québec en tête
En janvier 1992, Guy Spitaels, à 59 ans, en a marre de présider le PS, ne peut ni ne veut espérer un poste dans le gouvernement fédéral qu'il aurait pu contribuer à former (au tout premier rang comme président du parti wallon et francophone le plus important et qui ne sera installé que le 7 mars 1992). Il semble qu'il pourrait briguer un poste de commissaire européen, mais seulement à la mi-1994. Comme président de parti - ainsi que je l'explique depuis quelques mois - il désigne les ministres socialistes du gouvernement wallon avec le président du PSC Gérard Deprez. Il s'auto-désigne Président. Stupeur. A l'époque, diriger le Gouvernement wallon (qui s'appelle encore «exécutif»), c'est subalterne. Vers la fin de sa carrière il avait certes osé, pour la Wallonie, quelques coups. Mais l'homme est d'une telle envergure que l'attention des médias pour la Wallonie et ses institutions se renforce. Malgré les noms dérisoires que la Constitution belge leur donne, avec un mépris qui selon le Professeur Klinkenberg, est calculé. Il y est suivi par ses meilleurs conseillers, visite le monde pour y faire connaître la Wallonie, s'identifie à son destin.
Plus fort, en contraste absolu avec l'invraisemblable timidité des dirigeants wallons actuels timorés (et désignés par d'autres), il met en avant les compétences internationales de la Wallonie, le fait par exemple qu'il peut présider le Conseil des ministres européens. Comme tout militant wallon, il a le « Québec en tête». En janvier 1993, il demande à François Mitterrand que la France entretienne avec la Wallonie les mêmes relations privilégiées qu'avec le Québec (l'obtient-il? Il m'avait dit que oui 11 ans plus tard mais de toute façon Sarkozy a lâché le Québec et on attend toujours ce que va faire Hollande). Depuis, les pouvoirs de la Wallonie ont beau avoir autant vaut dire doublé, malgré de bons présidents wallons jusqu'à Rudy Demotte (non compris), il n'y a plus le même souffle. Sauf avec Robert Collignon (1994-1999), qui avait toujours sur son bureau un drapeau du Québec lui aussi, les Présidents wallons sont des hommes désignés par des présidents de partis dont la priorité n'est pas la Wallonie. Spitaels fut rattrapé par une affaire qui demeure obscure sauf le fait qu'il ne s'y est pas enrichi personnellement. Mais on veut l'oublier et celui qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. Et dans laquelle certains avaient intérêt qu'il y chute (c'est une certitude, ce n'est pas une supposition, même s'il faudrait voir quels intérêts et qui, ce que personne ne sait me dit un ami historien).
Spitaels lui-même, encore durant sa retraite, avoue ne plus croire à la Belgique et, pire encore, lorsqu'il est interrogé à la RTBF en juin 2007 , y sème le trouble en utilisant l'expression «le peuple wallon» (termes qui semblent interdits sur cette chaîne de télé). Alors que le Premier ministre belge actuel, par «impartialité», ne parle jamais de la Wallonie (qui l'a mis là où il est), qu'avec un sourire apitoyé. Même si - ce sont les accords gouvernementaux - l'Etat fédéral ne sera plus, pour les Wallons, et les autres, à cause de ses pertes de pouvoir programmées, le principal pouvoir en Belgique. Mais on fera tout pour plaire à la nostalgie des Wallons en les berçant à tout va de Brabançonnes (hymne national belge impossible à chanter, même en français, et que les sportifs avant les matchs sont invités à chanter dans les deux langues, ce qui complique encore tout), d'exploits sportifs jaunes, noirs et rouges (et dopés s'il y a lieu). En assaisonnant cela de démagogie antiflamande, cette drogue des faibles et des perdants. Un autre homme politique d'envergure, Magnette, a choisi le poste de bourgmestre de Charleroi et de quitter le fédéral s'il est élu dans la plus grande commune wallonne (les élections communales sont en octobre). Les Wallons n'ont pas la chance des habitants de Charleroi. Nous élisons des femmes et des hommes qui peuvent préférer d'autres horizons (belges), au peuple qui les élit. C'est ainsi que meurent les Cités humaines. Certes, Machiavel conseillait au Prince de se méfier de celles qui sont des Républiques...
Les artistes nomment la Wallonie et le Québec
En 1963, à Louvain, j'avais lu la très belle réflexion de Ricoeur intitulée Civilisation universelle et cultures nationales. Ricoeur y disait que les artistes, seuls, sont capables de nous introduire jusqu'aux images profondes qui révèlent «le rêve éveillé d'un groupe historique» et qui, s'ils ne se le proposent pas, nous introduisent au coeur de son «noyau éthico-mythique» (éthico: les valeurs : mythique, le récit qui les incarne). Heureusement, malgré l'abandon très généralisé des politiques, il existe en Wallonie des artistes qui la disent (même peut-être sans se le proposer).
Cela m'a encore frappé avec la sortie de Mobile Home du jeune réalisateur wallon François Pirot qui réussit à 35 ans son premier long métrage, comédie douce amère dont l'actrice principale est l'Ardenne aux vastes forêts bleues, un mobile home (de fait) qui y circule à l'heure bleue tous feux allumés, qui va jusqu'à Liège, la plus grande ville wallonne, sans que l'on sache comment on la reconnaît car c'est bien le pouvoir des artistes selon Ricoeur de nous débarrasser des images convenues qui nous volent l'Être. A chaque fois que sort un film wallon réussi, j'éprouve ce choc de délivrance, car les terres de langue française autres que la France ont été longtemps écrasées par ce qui se disait être la seule culture pour elles, celle de l'Hexagone. C'est ce même choc que j'ai éprouvé il y a plus de trente ans en voyant Le chat dans le sac (1964) de Gilles Groulx que j'ai regardé à nouveau hier avec, dès la première image, une vive émotion.
Le chroniqueur s'excuse
Dans mon article Lynchage de 11 religieuses, j'ai malheureusement manqué cette image d'ignominie d'un journal de Wallonie allant encore plus loin dans le lynchage que ne le pensais et qui m'a fait comprendre la parole d'un ami (que je croyais excessive, n'ayant pas vu la Une ci-dessous), selon laquelle ce journal allait devenir le moniteur de l'extrême droite.
Quand j'étais à Louvain, je me souviens que nous y avions eu l'immense plaisir d'aller écouter l'existentialiste chrétien Gabriel Marcel qui soudainement se lança dans une explication passionnée du fait qu'il avait signé avec Jean-Paul Sartre un manifeste (ce n'est pas celui dit «des 121» qui allait plus loin encore), contre la torture en Algérie, car, disait-il, en substance, il m'était impossible de supporter que la France soit ce pays-là de la barbarie. Dans Le chat dans le sac, le jeune acteur rencontre un journaliste chevronné qui lui rappelle qu'on est «dans une société où il n'y a pas moyen de gagner sa vie en étant soi-même». Cela vaut la peine d'essayer. Il y a des individus qui s'y essayent. Il y a même des peuples qui s'y essayent.
Alors, que le courage d'être s'empare de nous, de Montréal à Québec, de Charleroi à Liège!
Car c'est bien cela qu'exige de nous l'honneur de la race humaine.
Guy Spitaels et François Pirot
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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