2010 a été marquée par un débat d’une rare intensité sur le gaz de schiste. L’industrie gazière s’est installée dans les campagnes, parfois sans même aviser les autorités locales, et encore moins les citoyens qui, dès lors qu’ils ont eu vent de ce qui se préparait chez eux, se sont mobilisés pour tenter de tempérer les ardeurs des compagnies. Ils ont réclamé un moratoire sur l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste, le gouvernement Charest a plutôt dépêché chez eux des commissaires du BAPE. Le débat est loin d’être terminé, mais aujourd’hui, un porte-parole de l’industrie avoue du bout des lèvres que la stratégie de communication a été déficiente. Mais il n’est pas question d’accepter un moratoire pour autant.
Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
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Alexandre Shields - Avec les demandes répétées d'enquête sur l'industrie de la construction, ce fut sans contredit le débat le plus chaud de l'année 2010 au Québec. Doit-on exploiter le gaz de schiste qui se trouve dans le sous-sol de la province? Et si oui, comment devrait-on le faire? Le Devoir s'est entretenu avec un représentant de l'Association pétrolière et gazière du Québec afin de faire le bilan de la dernière année et de voir de ce qui se prépare pour les années à venir.
Le porte-parole du lobby québécois des énergies fossiles admet d'entrée de jeu que l'industrie a commis une erreur fondamentale: elle a laissé croire un peu trop rapidement que tout était en place pour se lancer dans l'exploitation commerciale du gaz emprisonné dans le shale de l'Utica. Il resterait en fait au moins trois ans de travaux avant de préciser le potentiel de la ressource. Mais pour le reste, Stéphane Gosselin répète que l'imposition d'un moratoire serait «catastrophique» et dit souhaiter que le tant attendu rapport du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) permette de relancer le débat «sur des bases plus solides».
«C'est une sorte de mea culpa, laisse tomber le représentant de l'Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ). On en est peut-être trop venus à la conclusion que tout était en place pour l'exploitation au Québec. Il aurait fallu répéter qu'on en est à l'exploration et à déterminer si ce serait rentable. On en a au moins jusqu'en 2014. Et je pense que ça a teinté le débat.»
En fait, M. Gosselin juge que les entreprises qui ont mis la main sur les permis d'exploration au fil des dernières années ont peut-être pêché par excès de confiance. Cela aurait eu pour effet de braquer la population, qui s'estimait placée devant le fait accompli. Il faut dire que «les acteurs de cette industrie sont habitués de convaincre les investisseurs», ce qui a influé sur la teneur de leur discours.
En entrevue au Devoir à la fin mai 2010, André Caillé s'était d'ailleurs montré très enthousiaste dans sa présentation d'une industrie alors largement méconnue. «La quantité de gaz est énorme», affirmait-il sans hésiter, tout en prédisant une conversion massive au gaz «Québécois». Il assurait du même coup que «d'ici cinq ans, on devrait atteindre une certaine maturité, avec la création de 2500 emplois et des investissements de l'ordre de un à deux milliards de dollars».
À ce moment, il n'était pas question de prouver, petit à petit, le potentiel du sous-sol de la province. «Le potentiel de gaz de schiste de la province était déjà connu depuis des années, mais les techniques d'extraction datent d'environ une dizaine d'années», soutenait plutôt l'ancien p.-d.g. d'Hydro-Québec, en s'exprimant au nom de l'APGQ.
Depuis ce temps, le discours a bien changé, surtout au fur et à mesure que la controverse au sujet de cette industrie grandissait. Plusieurs médias ont fait état de cas où les entreprises n'avaient même pas pris la peine de prévenir les municipalités, ou encore les citoyens, que des travaux allaient se dérouler sur leur territoire. Des cas d'infractions environnementales ont été dévoilés du côté de puits forés aux États-Unis, notamment. On a aussi appris que les permis d'exploration avaient été offerts à bas prix au Québec, et ce, sur de vastes territoires habités. Qui plus est, aucune réglementation propre au gaz de schiste n'est actuellement en vigueur au Québec et aucune étude d'impact n'a été réalisée jusqu'à présent. Enfin, les promesses d'emplois pour la province et de revenus pour l'État se sont passablement dégonflées au fil des mois.
Résultat: un récent sondage exclusif au Devoir démontrait qu'à peine 20 % de la population est favorable à l'exploitation des gaz de schiste, alors que 74 % réclame un moratoire immédiat. Bref, pour le moment, les propos se voulant rassurants du gouvernement Charest et de l'industrie ne passent tout simplement pas.
«Rythme assez lent»
S'exprimant lui aussi au nom de l'APGQ il y a quelques jours, M. Gosselin est pour sa part beaucoup moins affirmatif que M. Caillé l'était en mai dernier. Certes, il y a bel et bien un «énorme potentiel» et les industriels sont «très confiants», mais les travaux à venir au cours des trois prochaines années se dérouleront selon un «rythme assez lent».
«On poursuit l'exploration et l'acquisition de connaissances, explique-t-il. Il faut trouver la bonne recette pour la fracturation hydraulique, analyser l'information, etc. On ne peut pas forer 10 puits en même temps.» Dans le meilleur des cas, il pourrait donc se forer quatre ou cinq puits au Québec en 2011. «Les gens ne verront rien de bouleversé dans leur campagne, dans leur village ou dans leur ville», selon lui.
Il faudra donc attendre au moins quatre ou cinq ans avant que le secteur ne prenne véritablement son envol, si on en croit l'APGQ. La ministre Nathalie Normandeau avait pourtant promis, à la mi-septembre, que le Québec se convertirait au gaz naturel d'ici dix ans. «Dans notre portefeuille de consommation, on souhaite que le gaz naturel prenne davantage de place que le pétrole», avait-elle lancé. Un objectif difficile à atteindre, d'autant qu'il ne s'appuie sur aucun plan concret.
Non au moratoire
Mais malgré le fait que les travaux risquent d'être très lents au cours des prochaines années, M. Gosselin affirme qu'un moratoire serait «catastrophique» pour cette industrie menée par des joueurs qui gèrent plusieurs projets se chiffrant en dizaines de millions de dollars, et ce, dans différents shales de l'Amérique du Nord et ailleurs dans le monde.
Ce pourrait même être dommageable pour le Québec. «Imposer un moratoire reviendrait à dire qu'on ne veut pas savoir si la ressource existe et si elle est présente en quantité suffisante pour être exploitée de façon économiquement rentable. Ne pas vouloir savoir reviendrait à ne pas vouloir le faire», soutient-il. «Pourquoi mettre un moratoire sur cette étape lente, soit 11 puits en deux ans? On a trois ans de travaux devant nous. Il faut prendre ces trois années pour se donner le cadre réglementaire. On pourra s'inspirer du rapport du BAPE. Si, dans trois ans, toutes les données sont au rendez-vous, qu'on soit en mesure de passer en phase d'exploitation», ajoute Stéphane Gosselin.
Il estime d'ailleurs que le rapport du BAPE, attendu fin février, sera une étape importante. «On espère que ce rapport permettra de jeter des bases d'information neutres et nous permettre de relancer le débat sur des bases plus solides. La connaissance existe, mais quand c'est l'industrie qui la donne, les gens se disent qu'elle doit être teintée d'une partisanerie parce que les gens ont des intérêts économiques», analyse-t-il.
Même chose lorsque les propos se voulant rassurants proviennent du gouvernement Charest, qui a donné l'impression d'agir avec une certaine improvisation dans le dossier, selon plusieurs. M. Gosselin a lui-même été montré du doigt lorsqu'il est passé, à la fin de l'été, du poste de chef de cabinet du ministre du Développement économique à celui de directeur général de l'APGQ. Le vendredi, il oeuvrait au sein du gouvernement et le lundi suivant, il était passé au lobby de l'énergie fossile.
Le principal intéressé ne s'en formalise pas outre mesure et souligne que l'industrie souhaite mener ses activités selon «des règles claires et strictes». Stéphane Gosselin explique d'ailleurs que la principale crainte, au sein des entreprises gazières, est d'investir des sommes importantes tout se conformant à la législation, pour ensuite voir un «mouton noir» de l'industrie venir nuire aux bons citoyens corporatifs.
Heureusement, les investisseurs n'ont pas à redouter que le gouvernement Charest impose un moratoire sur l'exploration, le temps de mettre en place une législation dans le domaine, ce qui devrait se faire au courant de 2011. «S'il y a une inquiétude, ce serait par rapport à un éventuel moratoire, parce que ce serait catastrophique pour eux. Mais ils sont assez rassurés par le message du gouvernement selon lequel on va pouvoir continuer nos activités d'exploration.»
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