75 ANS DE DROIT DE VOTE DES FEMMES

Gagner des acquis

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Se souvenir et aller de l’avant

Dès les débuts du XXe siècle, le droit de vote des femmes allait de soi, et pourtant, au Québec, il faisait tellement peur au clergé et, dans sa foulée, à bien des notables que nous avons été les derniers au Canada à l’adopter. Aujourd’hui, ce droit est acquis. Mais pas celui du pouvoir politique.
Il y a 75 ans, l’adoption du projet de loi accordant enfin le droit de vote aux femmes du Québec — elles qui l’exerçaient déjà au fédéral depuis plus de 20 ans ! — n’a pas été accueillie dans l’enthousiasme généralisé. Le clergé, qui l’avait tant combattu, était outré, bien des maris étaient inquiets que leur propre vote en soit « annulé », plusieurs femmes étaient contre, et l’affaire laissait encore des tas de gens indifférents. Après tout, on était en pleine guerre et les préoccupations quotidiennes étaient d’ordre économique. Alors, l’avancée démocratique, hein…

Ainsi va le progrès social, hier comme aujourd’hui. D’abord revendiqué par une minorité — et jamais au bon moment ! — il avance sous les quolibets, se bute à tous les pouvoirs, oblige inlassablement une poignée de militants à revenir à la charge, et la victoire, obtenue sans tambour ni trompette, n’est jamais finale. Il faut même attendre que bien des années passent pour que l’importance du moment soit enfin reconnue.

Mais, aujourd’hui, il n’y a plus de doute : ce 25 avril 1940 est bel et bien « un événement charnière », pour reprendre l’expression de Marie Lavigne, historienne du mouvement des femmes, qui a également occupé différentes fonctions de direction au sein de l’État québécois, dont à la tête du Conseil du statut de la femme. Charnière, parce qu’il est l’« aboutissement d’un long combat des femmes qui a duré près d’un demi-siècle », alors qu’il fut achevé dès 1922 partout ailleurs au Canada, et parce qu’il marque le début d’une nouvelle lutte, pas terminée, celle de la place des élues, en nombre et en pouvoir.

Il est de bon ton d’applaudir aux progrès, mais regardons la réalité en face : tout cela est bien lent. Rappelons d’abord que les Québécoises avaient déjà eu le droit de vote entre 1791 et 1849, à la même condition que celle qui prévalait pour les hommes : être propriétaire. C’est le grand tabou de l’histoire : les avancées cachent parfois des reculs. Le parcours des femmes est parsemé de ces retours à la case départ, souvent oubliés, et qui doivent nous prémunir contre l’envie de s’asseoir sur ses lauriers.

Par ailleurs, il s’écoulera 21 ans après le retour du droit de vote, en 1940, pour qu’arrive à l’Assemblée nationale une première députée ; 36 ans pour que cinq femmes y siègent en même temps ; 72 ans pour y voir une première ministre.

On a pourtant cru que ça y était quand Jean Charest, une fois premier ministre, a sciemment opté pour un conseil des ministres paritaire, avec des femmes aux postes-clés, puis en 2012 quand le tiers de la députation fut composée de femmes. Mais voilà, aujourd’hui la proportion des députées est redescendue à 26 % et le pouvoir des femmes ministres a diminué, comme l’a souligné cette semaine le Conseil du statut de la femme. Le gouvernement libéral a beau s’en défendre, le premier cercle de Philippe Couillard est composé d’hommes forts. Ce cas n’est pas isolé : le même commentaire s’applique, et depuis ses débuts, au gouvernement conservateur de Stephen Harper à Ottawa…

Il est vrai que, au-delà du dénombrement, l’obtention du droit de vote aura puissamment contribué à faire prendre conscience aux femmes de leur droit à l’espace public. Jumelée à leur participation croissante au marché du travail, cette fenêtre qui s’ouvrait sur la Cité était pour elles une bouffée d’air. « C’était la fin de la soumission ! », s’exclame Jeannine Dumouchel, 93 ans, dans l’un des témoignages recueillis par la Gazette des femmes à l’occasion de cet anniversaire. Enfin, pas totalement. Pendant encore quelques années, les femmes mariées seront inscrites sur les listes électorales sous le nom de leur mari, auquel est jointe l’identification « madame » !

Les « madames » ont fini par exister par elles-mêmes. Pourtant, la condescendance masculine n’est pas complètement disparue dans les cercles de pouvoir, particulièrement en politique (ô qu’on n’a pas aimé que Martine Ouellet le souligne cette semaine !). Le regard jeté sur les Angela Merkel, Hillary Clinton, Pauline Marois de ce monde reste d’ailleurs teinté d’incongruité. S’étonnera-t-on que les femmes ne se bousculent toujours pas pour diriger des partis ou pour fonder le leur ?

Réjouissons-nous : le vote des femmes est un acquis. Mais gardons-nous de croire que leur place, elle, l’est.


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