Français : des renforts pour l’imprudence

Mais quelqu’un pourrait-il nous dire à partir de quel seuil il faudrait s’inquiéter ? Lorsqu’il n’y aura que 45 % de francophones dans l’île ? 40 % ? 33 % ?

Le français à Montréal

Comme vous, j’ai entendu et lu ce printemps la réaction de nos meilleurs analystes à des chiffres que personne ne conteste. Depuis 2006, les habitants de l’île de Montréal qui parlaient français avec leur mère lorsqu’ils étaient petits — langue maternelle — ne sont plus majoritaires. D’ici 10 ou 15 ans, ceux qui parleront français à la maison — langue d’usage — ne seront plus majoritaires.
Inquiétant ? Mais non, répond-on avec l’air affligé de ceux qui doivent patiemment démontrer des évidences. Puisqu’on a voulu recevoir plus d’immigrants des quatre coins « linguistiques » de la planète, nous dit-on, ils sont venus ; donc, il y a au total moins de francophones. Oui, oui, on a compris. Mais quelqu’un pourrait-il nous dire à partir de quel seuil il faudrait s’inquiéter ? Lorsqu’il n’y aura que 45 % de francophones dans l’île ? 40 % ? 33 % ?
Jean Chrétien expliquait un jour que le fait français se portait bien au Canada anglais, car s’il était vrai que les francophones étaient en voie d’assimilation, le nombre d’anglophones parlant le français comme langue seconde, lui, augmentait. On a bien ri. C’est pourtant la salade qu’on tente de nous vendre : les néo-Québécois de langues d’usage diverses parlent le français comme langue seconde, alors tout va bien.
Laissez-moi vous dévoiler un secret : 40 % des Sherbrookois savent parler l’anglais. Cela n’a aucune incidence sur les anglophones locaux, qui s’assimilent au français plus rapidement que les Acadiens ne s’anglicisent. Simple : la langue seconde n’a aucune force d’attraction. Dans la forêt linguistique, la langue seconde, ce sont les feuilles. Or, 93 % des Sherbrookois parlent français à la maison. L’usage, ce sont les racines. Voilà ce qui tient une langue debout.
À Montréal, le niveau de connaissance du français des anglos et des allophones augmente, c’est sûr. De plus, les enfants d’immigrants vont à l’école française. Le tour est joué ? Voire ! Jack Jedwab a calculé l’influence du lieu de résidence des immigrants hispanophones (pas chinois, hispanos !). Sa conclusion : « Plus de 9 Hispaniques sur 10 ayant cessé de parler espagnol à la maison dans la ville [anglophone] de Kirkland sont passés à l’anglais, alors qu’à Montréal-Nord [plus francophone] la grande majorité passaient au français. »
La tendance est lourde. La minorisation des francophones à Montréal est liée à notre taux de natalité plus faible que chez les allophones, à notre taux de mortalité plus élevé, à l’arrivée constante d’immigrants dont près de la moitié n’ont aucune connaissance du français et à la propension des francophones de l’île à déménager en banlieue.
Ce déclin a des conséquences politiques. Une revue des sondages révèle que lorsque 80 % des francophones sont favorables à une mesure (la prédominance du français dans l’affichage, par exemple), les allophones y sont moitié moins favorables. Chez les anglos, il faut diviser par quatre, six ou huit, selon les questions. Au total, à 40 % de francophones, il n’y aurait plus dans l’île de majorité favorable à plusieurs des acquis de la loi 101. On obtient donc des renforts pour l’imprudence.
Que faire ? Cesser la politique de l’autruche. Affirmer que le maintien dans l’île d’une majorité de personnes (de toutes origines) dont la langue d’usage est le français constitue un objectif national légitime. Favoriser massivement, au point d’entrée, les immigrants qui ont le français comme langue d’usage. Agir aussi sur nous. L’exode des francophones vers les banlieues est heureusement en baisse depuis 15 ans. Retenons les familles qui, à la naissance du premier ou du second enfant, regardent vers la couronne. Faisons en sorte que, pour elles, les droits de mutation immobilière soient remboursés en crédit d’impôts municipaux pendant les trois années suivantes — seulement dans l’île. Un effort supplémentaire doit être fait pour rendre l’île plus attrayante pour les familles, grâce à un fonds d’investissement global sur plusieurs années. Ces mesures seraient appliquées à tous les nouveaux parents de l’île, bien sûr. Mais l’effet bénéfique se ferait sentir surtout sur les francophones.
De même, la mesure la plus structurante, et qui aurait des répercussions économiques, écologiques, énergétiques et linguistiques positives, serait de pratiquer la vérité des prix en matière d’étalement urbain. Que l’acheteur du dernier bungalow au bout du dernier lotissement paie désormais le coût réel du branchement électrique et de l’accès au réseau de distribution d’eau, du transport scolaire et tutti quanti. Sa facture va exploser et rendre l’île (ainsi que toutes les villes-centres) nettement plus attrayante.
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par Jean-François Lisée
publié dans L'actualité du 15 mai 2008

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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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