Le commissaire au lobbyisme s’intéresse à une rencontre entre le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon et un ami qui venait de lui rendre service en le délestant d’actions embarrassantes, a appris notre Bureau d’enquête.
Le 13 décembre, M. Fitzgibbon a reçu à son bureau le lobbyiste Luc Laperrière et ses clients de l’entreprise Alter&Go, indique l’agenda public du ministre, publié sur internet.
En novembre, M. Laperrière avait accepté d’acheter à M. Fitzgibbon ses actions d’une entreprise. Il a dû s’en débarrasser en catastrophe pour éviter une situation d’apparence de conflit d’intérêts.
La commissaire à l’éthique Ariane Mignolet enquête déjà sur cette transaction à la suite de révélations de notre Bureau d’enquête, en avril.
Francis Léonard, président-directeur général d’Alter&Go, a affirmé à notre Bureau d’enquête qu’il a reçu récemment du commissaire au lobbyisme une demande pour vérifier si la rencontre du 13 décembre avait fait l’objet d’une déclaration au registre des lobbyistes. « Je vais leur répondre que non », a-t-il dit en entrevue téléphonique.
Le porte-parole du commissaire au lobbyisme, Daniel Labonté, n’a pas voulu indiquer dans le cadre de quelle procédure sa demande a été faite. « Si elle est en lien avec des activités de la direction des vérifications et enquêtes, on ne la commente pas », dit-il.
« Entrées »
Selon M. Léonard, l’objectif de la rencontre était d’obtenir l’appui financier du gouvernement pour un projet numérique confidentiel.
L’homme d’affaires ne connaissait pas M. Laperrière. « [Il] semblait avoir des entrées pour que j’aie un rendez-vous rapidement. »
Selon M. Léonard, « un ancien du Parti libéral » lui a suggéré les services de M. Laperrière.
L’ex-député libéral André Drolet a confirmé à notre Bureau d’enquête qu’il avait fait cette référence. « Je savais que Luc Laperrière était quelqu’un de proche de M. Fitzgibbon. »
Dans une entrevue au Journal, M. Laperrière a confirmé qu’il connaît M. Fitzgibbon « depuis des années ». Le lobbyiste a affirmé qu’il a acheté le bloc d’actions que le ministre détenait dans Move Protéine. « C’était pour rendre service », a-t-il dit.
M. Fitzgibbon a vendu ses actions pour éviter toute apparence de conflit d’intérêts avec le nouveau président-directeur général d’Investissement Québec, Guy LeBlanc, un de ses amis, aussi actionnaire de Move Protéine.
« Des amis de longue date »
Le cabinet du ministre Fitzgibbon nous a confirmé avoir également reçu des questions du commissaire au lobbyisme concernant sa rencontre de décembre avec M. Laperrière et les représentants d’Alter&Go.
Selon le porte-parole Mathieu St-Amand, le ministre et M. Laperrière sont « des amis de longue date ». « M. Laperrière a eu le même accès au ministre que de nombreuses autres parties prenantes », dit l’attaché, qui a confirmé que le cabinet ne donnera « pas de suite au projet Alter&Go ».
LE REGISTRE DES LOBBYISTES EN BREF :
- La Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme les oblige à déclarer leurs activités dans un registre public.
- Les lobbyistes qui offrent leurs conseils à titre de consultants ont 30 jours pour les déclarer, à compter du moment où leurs activités ont commencé.
- Les représentants d’entreprise ou d’organisation qui effectuent eux-mêmes leurs représentations de lobbyisme ont quant à eux 60 jours pour le faire.
- Aucun lobbyiste-conseil ou lobbyiste d’entreprise ne peut exercer ses activités moyennant une rémunération conditionnelle à l’obtention d’un résultat.
— Avec la collaboration de Philippe Langlois et Marie-Christine Trottier
Les contradictions se multiplient dans le dossier Laperrière
Le lobbyiste Luc Laperrière a multiplié les contradictions concernant ses inscriptions au registre des lobbyistes.
Dans une première entrevue avec Le Journal, en avril, le lobbyiste a soutenu s’être « enregistré » au registre des lobbyistes il y a un an en raison de ses liens avec la Coalition avenir Québec.
« J’ai six ou sept personnes de qui je suis très très près, à l’intérieur du parti, et la première chose que j’ai faite, c’est de m’enregistrer comme lobbyiste. »
Après plusieurs recherches, notre Bureau d’enquête n’a cependant trouvé aucune inscription au nom de M. Laperrière. Un premier mandat a été déclaré le 13 mai. Il n’a aucun lien avec le dossier d’Alter&Go.
Bénévole ?
Dans une entrevue avec notre Bureau d’enquête la semaine dernière, M. Laperrière a expliqué qu’il n’avait pas eu à déclarer ses services pour Alter&Go, puisqu’il les a accomplis à titre bénévole. « Je n’avais pas de mandat et je n’étais pas payé pour ça », dit-il.
Son client, Francis Léonard, président-directeur général d’Alter&Go, affirme cependant le contraire. Selon lui, le lobbyiste était lié par « un contrat en bonne et due forme ».
« Il n’y a personne qui travaille pour rien maintenant », a-t-il dit le 14 mai dans une entrevue téléphonique.
L’homme d’affaires n’a pas voulu révéler quelle était la rémunération prévue. « Je vais garder ça confidentiel », a-t-il plaidé.
Autre version
Quelques heures plus tard, après avoir parlé avec M. Laperrière, M. Léonard a changé sa version. « Il n’y a jamais eu de contrat ou d’argent échangé », a-t-il soutenu.
Pourquoi ne pas avoir fourni cette explication lors de la première entrevue ? « Tantôt, je ne savais pas quoi répondre. »
M. Léonard n’a pas exclu que M. Laperrière aurait pu être payé si la réponse du gouvernement avait été favorable aux demandes d’Alter&Go.
« J’imagine qu’à un moment donné, il aurait voulu un contrat. Personne ne fait rien pour rien », a-t-il reconnu.