En une semaine et une seule, des politiciens européens, des économistes européens et nord-américains ainsi que des commentateurs des deux côtés de l'Atlantique ont levé un tabou. Aussi pesant qu'inquiétant. Lequel? Dans la foulée de la crise grecque et de son extension, l'Europe tout entière doit choisir entre le fédéralisme ou la faillite. Rien de moins.Peu de temps avant qu'il ne quitte l'Élysée, Jacques Chirac avait confié que l'une de ses principales inquiétudes avait trait à la nouvelle génération des dirigeants européens. Aucun d'entre eux n'ayant connu la Seconde Guerre mondiale, souligna-t-il, il fallait s'attendre à ce que la fibre européenne s'effrite quelque peu. À ce que le rêve d'une Europe unie politiquement et parlant d'une seule voix se transforme en une fiction. À suivre la valse-hésitation des chefs d'État en général et d'Angela Merkel en particulier, sur fond de crise grecque, il semble bien que l'ex-président a été prescient. Car il est vrai que jamais, depuis la création du Marché commun dans les années 50, l'Europe n'aura été gouvernée par des hommes et des femmes aussi peu enthousiastes à son égard.
Attardons-nous maintenant aux scènes du dernier acte. Le dimanche 19 juin, les ministres des Finances des pays partageant la monnaie commune se réunissent en urgence, pour la énième fois, à Bruxelles. Après huit heures de discussions, ils annoncent qu'aucun accord n'a été trouvé. La crise est si réelle et profonde que certains économistes évoquent l'implosion de l'euro, et que font ces chers ministres des Finances? Ils se crêpent le chignon parce que les intérêts particuliers, nationaux, ont pris l'ascendant sur l'intérêt général, sur l'Europe.
Rien ne symbolise mieux la polarisation qui existe actuellement au sein de l'Eurogroupe que les échanges acides entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Un jour, le second convainc la première que l'implication du secteur privé dans le sauvetage de la Grèce doit être «volontaire et informelle.» Le lendemain, la chancelière allemande change d'idée. Elle revient à son obsession qui est d'obliger les banques, les compagnies d'assurances et les fonds de pension à donner du grain à moudre parce qu'un autre sondage confirme que désormais plus de 60 % des Allemands sont contre toute aide financière à Athènes.
Entre les atermoiements des uns et les dissensions des autres, les marchés ont paniqué. À la cacophonie des uns, ils ont réagi en retirant des masses de capitaux parce qu'ils sont convaincus que la Grèce n'échappera pas à une restructuration de la dette conséquente au fait que, celle-ci atteignant 160 % du PIB, le pays ne pourra pas observer tous ses engagements financiers. Quoi d'autre? Si la Grèce est dans l'obligation de restructurer sa dette, alors l'Irlande et le Portugal n'y échapperont pas avant que l'Espagne et l'Italie soient à leur tour la cible d'assauts répétés. Bref, sur les places boursières du Vieux Continent, on parie davantage sur l'effet domino et la fin de l'euro que sur son contraire.
Cette crise a ceci de pathétique et de rageant qu'elle aurait pu être réglée il y a plus d'un an maintenant. Si Merkel, encore elle, avait eu le souci de l'unité européenne, si elle n'avait pas multiplié les embûches, si elle avait accepté de prêter à la Grèce au cours du premier trimestre 2010, celle-ci ne serait pas dans le pétrin que l'on sait. En agissant comme elle l'a fait, la chancelière a favorisé les attaques en série contre Athènes de la part des marchés, comme elle a encouragé une ribambelle de décotes de la part de Moody's et consorts qui font qu'aujourd'hui l'intérêt imposé à la mère de la démocratie est passablement plus élevé que ce qu'il était il y a une quinzaine de mois.
Pour éviter la faillite, l'Europe n'a pas d'autre solution que d'opter pour plus de fédéralisme en matière économique. Concrètement, cela signifie permettre à la Banque centrale européenne l'émission d'obligations, la création d'un ministère des Finances chargé de surveiller les budgets nationaux afin d'éviter les dérives et enfin imposer l'harmonisation fiscale. C'est dans l'intérêt de l'Europe et de Berlin au premier chef. Car si la Grèce et d'autres passent à la trappe, l'Allemagne écopera également. Et davantage que ses voisins.
Crise de l'euro
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