C’était une mort annoncée. Depuis quelques années, on ne l’entendait plus, lui, le commandant en chef, qu’on surnommait «el caballo» (le cheval) en raison de son physique imposant, «le monstre sacré de la politique internationale», selon l’expression du journaliste Ignacio Ramonet, le chef victorieux de la première révolution socialiste menée dans les narines mêmes des États-Unis, dans cette île considérée comme son arrière-cour par Monroe, Roosevelt et à peu près tous les présidents américains qui suivirent.
On n’est guère habitué, ici ou ailleurs, à voir des dirigeants politiques d’une telle stature, pouvant manipuler le verbe et l’épée aussi habilement. On n’est pas habitué à voir des damnés de la terre se moquer de la première puissance militaire et économique du monde. Et vaincre. Vaincre également les quelque six cents tentatives d’assassinats contre sa personne. On est davantage habitués à côtoyer des dirigeants veules et corrompus. La loyauté, la constance, la fidélité à des idéaux nobles ont quelque chose d’aveuglant. On parle de «régime», un terme on ne peut plus péjoratif, et d’horreur, en reprenant en chœur ce que racontent ceux qui ont préféré se réfugier à Miami en refusant de participer aux efforts d’un peuple pour sa liberté.
Fidel était un grand orateur, comme il ne s’en fait plus. C’était aussi une immense intelligence. Il pouvait parler de longues heures devant des milliers de personnes attentives, à qui il expliquait comment l’Afrique et l’Amérique latine ont des liens historiques, comment la pauvreté et la dépossession ont leur source dans un système économique qui méprise les plus élémentaires droits de la personne, le droit à la santé, à l’éducation, à la nourriture. C’était une véritable encyclopédie.
Éducation
Quelque temps après notre arrivée à Cuba, j’ai commencé à travailler comme traducteur à l’hebdomadaire Granma, qui était un résumé des principales nouvelles parues pendant la semaine. Lorsqu’arrivait la tâche de traduire les discours-fleuve de Fidel Castro, nous devions nous mettre à deux ou trois pour pouvoir le faire dans les meilleurs délais. De ses discours, j’ai retenu plusieurs enseignements, mais deux m’interpellent toujours. Fidel disait souvent: «Il faut vaincre le sous-développement économique. Mais il y a une tâche tout aussi importante qui découle de la première: le sous-développement culturel qu’il faut absolument éradiquer. Comment? Par l’éducation.» D’ailleurs, la première tâche de la Révolution à ses débuts fut de lancer à travers le pays une campagne massive d’alphabétisation.
Le second enseignement de Fidel, c’est cette phrase qu’il répétait comme un leitmotiv: «Hay que respetar la idiosincrasia de los pueblos.» En 1972, ce mot, «idiosyncrasie», n’existait pas dans mon vocabulaire et j’ai dû ouvrir mon dictionnaire pour savoir ce qu’il signifiait: les us et coutumes. Cela donne: il faut respecter l’idiosyncrasie des peuples. Pourquoi? Parce que les Américains ne se souciaient guère des us et coutumes des populations des pays qu’ils envahissaient.
Difficile d’imaginer ce que serait le monde sans la Révolution cubaine. Une chose est certaine: l’Amérique latine serait toujours l’arrière-cour des États-Unis. Et l’apartheid sévirait sans doute toujours en Afrique du Sud.
Fidel est mort. Mais comme disait l’écrivain argentin Rodolfo Walsh, «le vrai cimetière, c’est la mémoire». Fidel vivra toujours dans la mémoire des déshérités et des combattants pour la justice.
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