Retour sur un exil

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Figé dans le clivage gauche/droite, Lanctôt ne voit pas le caractère révolutionnaire de Trump

Je suis actuellement à La Havane pour un petit tournage réalisé par le service des nouvelles de la télévision publique. Eux, les journalistes, ils y sont déjà pour préparer la visite officielle de Justin Trudeau à Cuba où son père avait ses entrées bien avant d'être premier ministre du Canada. Moi, j'y suis parce qu'on m'a demandé de faire un effort de mémoire pour me rappeler cette période à la fois douleureuse et ennivrante du séjour de notre petit groupe du FLQ dans l'île communiste.
C'est là que j'ai tout appris, c'est à Cuba que j'ai découvert la réalité de l'Amérique latine, c'est à Cuba que j'ai connu la solidarité véritable d'un petit pays sous-développé aux prises avec un blocus économique et commercial sans précédent dans l'histoire de l'humanité, mesures qui peuvent facilement s'apparenter à une tentative de génocide.
Avec la petite équipe de tournage, j'ai revisité certains lieux de mon exil. Bien sûr, il s'est écoulé quarante-six ans entre ces deux moments et ces lieux ont forcément beaucoup changé, comme cet hôtel Nacional, sans doute le plus prestigieux sans être le plus moderne de la capitale havanaise, où nous avons côtoyé plusieurs dizaines de révolutionnaires exilés comme nous, en attente de retouner sur leur terrain de combat.
Nous étions tous très impatients et personne ne se complaisait vraiment dans ce doux cocon où nous vivotions, sans manquer d'aucun bien matériel, dans la capitale de toutes les révolutions latino-américaines, La Havane. Notre manque était plutôt immatériel, il relevait de la condition même de l'exilé.
Lorsque notre fille est née, quelques heures à peine après notre arrivée à Cuba, nous avons décidé de ne pas inscrire sa naissance à l'ambassade canadienne, comme le veut la loi, pour qu'elle soit reconnue citoyenne canadienne. Nous avions un an pour le faire mais nous ne l'avons pas inscrite. Nous nous étions promis qu'elle serait plutôt Québécoise, la première à être née à Cuba, et que son inscription serait faite en temps et lieux à la future ambassade du Québec. À l'époque, nous ne doutions de rien, surtout pas de notre victoire imminente. Malheureusement, notre fille fut longtemps considérée comme apatride et il a fallu, lorsque nous sommes passés en France, l'intervention de l'Office français pour les réfugiés et les apatrides (OFPRA) pour que notre fille Olga puisse avoir une nationalité canadienne et figurer sur un passeport, en attendant (toujours) de bénéficier de la nationalité québécoise.
C'est à cette époque que j'ai découvert les vertus de la patience. Moi qui voulais tout, maintenant, hic et nunc, j'ai appris à attendre pour obtenir ce que je voulais. Remarquez que pour l'indépendance, je commence à m'impatienter. Vais-je bientôt «assister en direct à la mort de ma langue, de mon histoire et de mon identité», comme se le demande également Serge Bouchard dans son merveileux ouvrage Les yeux tristes de mon camion?
Quoi qu'il en soit, j'ai au moins appris, de la bouche même de celui qui était ambassadeur de Cuba à Ottawa, au moment des événements d'Octobre 1970, que le gouvernement canadien n'avait pas défrayé les coûts de notre séjour à Cuba durant les presque quatre annnées où nous y avons vécu dans trois hôtels de la capitale. Les autorités cubaines nous ont accueillis pour des raisons humanitaires, comme elles l'ont faites pour d'autres catégories de réfugiés. Et cela me rassure sur la solidarité qui doit exister normalement entre ceux qui luttent pour la justice.
Avec l'élection de Trump, je me suis réveillé brusquement avec l'impression que la farce n'avait manifestement pas assez duré et que le mauvais rêve se transformait en cauchemar tout ce qu'il y a de plus vrai. La télévision ne pouvait pas mentir: Trump l'avait bel et bien emporté sur la candidate de l'establishment et de Wall Street.
Que va-t-il advenir de Cuba dans ce nouvel environnement de droite extrême? La journaliste de la télé cubaine avait beau faire remarquer que Trump avait dit, au début de sa campagne électorale, que le blocus contre Cuba devait cesser car il nuisait au libre commerce et que le nouveau président est avant tout un homme d'affaires qui aime en brasser des grosses, on sentait une petite pointe d'inquiétude face à un personnage qui dit une chose et son contraire dans la même journée. Fera-t-il table rase rase des mesures favorables à Cuba du président sortant Obama?


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