Félicitations pour un Québec décomplexé

Indépendance - le peuple québécois s'approche toujours davantage du but!



Jérôme, pourfendeur de bébéboumeurs
J’aime beaucoup Jérôme Lussier. Le chroniqueur de l’hebdo Voir est un iconoclaste auto-déclaré, un bousculeur de bébéboumeurs, un partisan de la post-modernité québécoise, un curieux à temps plein. Je l’ai connu et apprécié comme recherchiste chez Christiane Charette.
Son plus récent billet, “Doléances pour un Québec dépassé“, a causé un certain émoi sur les réseaux sociaux.
Certains l’ont applaudi, criant “enfin!”. D”autres l’ont accusé d’être un agent de la GRC!
Personnellement — et je ne puis, comme d’habitude, que parler pour moi — j’ai simplement trouvé le texte incomplet. Il y a des cas où on peut souscrire à un texte incomplet. Cette fois, non. Car ce qui manque est trop signifiant.
Le titre, aussi, est trompeur. Jérôme semble se battre contre un homme de paille, un nationaliste québécois obtus, rétrograde, unilingue. Je suppose que cet homme de paille existe. J’ose croire qu’il ne représente pas grand chose.
Alors j’ai décidé de compléter, avec la permission de Jérôme, son billet de Voir, pour pouvoir le signer, moi l’indépendantiste indépendant, volontariste sur les questions linguistiques et culturelles. Voyons ce que donne cette addition.
Son texte est en italique, le mien en caractères réguliers:
Doléances pour un Québec dépassé
Félicitations pour un Québec décomplexé

4 décembre 2011 23h08 · Jérôme Lussier
6 décembre 2011 23h08 · Jean-François Lisée

Ce n’est pas de l’idéologie de croire que le bilinguisme constitue un avantage et de vouloir en faire bénéficier ses enfants et ses concitoyens.

Et ce n’est pas de l’idéologie de croire que ce bilinguisme, voire trilinguisme, individuel doit être promu, mais que le bilinguisme institutionnel est nuisible à la survie d’une minorité.
Ce n’est pas naître pour un petit pain de rêver que sa fille étudie à Stanford, que son fils travaille à Shanghaï, que son neveu boxe à Las Vegas ou que sa nièce défile à Milan.

Et ce n’est pas être égocentrique d’espérer que, règle générale, après avoir brillé sur toute la planète, nos enfants retrouvent leurs racines pour faire profiter leur nation de leurs formidables talents.
Ce n’est pas une perversion de préférer Bon Iver à Paul Piché, Adele à Céline, les Beastie Boys à Loco Locass, mais d’aimer aussi Jean Leloup, Arcade Fire, Malajube et Beau Dommage.

Et ce n’est pas une petite tristesse de constater que tous ces sons cohabitent sur les ondes des stations de radios francophones, mais pas sur celles de notre minorité anglophone.
Ce n’est pas de la rectitude politique d’affirmer que les questions environnementales, culturelles et économiques de notre époque dépassent le cadre des politiques nationales.

Et ce n’est pas autre chose que de l’ambition que de vouloir parler de sa propre voix dans les forums internationaux où ces choses se décident, quand ceux qui parlent pour nous disent trop souvent le contraire de ce que nous voudrions dire.
Ce n’est pas une religion de constater que Facebook, Twitter et Internet permettent de découvrir et entretenir en temps réel des communautés qui se moquent des frontières.

Et ce n’est banal de savoir qu’à l’aube du numérique, c’est la ténacité des souverainistes au pouvoir à Québec qui a imposé aux Microsoft et autres Sony et Apple d’introduire, non le bilinguisme, mais le multilinguisme dans leurs logiciels, pour permettre à tous de pouvoir s’y épanouir. (Ajout: Bon, j’exagère. Disons qu’ils ont beaucoup insisté.)
Ce n’est pas cynique de rappeler que l’univers ne commence pas à Hull et qu’il ne se termine pas à Gaspé et que les lois et les espoirs du Québec n’ont pas de portée extra-territoriale.

Et ce n’est pas un manque de modestie de rappeler que, quel que soit l’indice utilisé, les Québécois sont davantage branchés sur la diversité mondiale que leurs voisins nord-américains aux plans de l’investissement étranger, du commerce, de la consommation culturelle, de la capacité linguistique, de l’accueil et de la rétention d’étudiants étrangers.
Ce n’est pas une trahison de concéder que le Québec ne représente que 0,1% de l’humanité et que son statut constitutionnel n’y est pour rien.

Et ce n’est pas une chimère de concéder, à l’heure où on réclame davantage de démocratie directe et de pouvoir citoyen, qu’une constitution imposée est un déni permanent de démocratie.
Ce n’est pas naïf de dire que le Québec a autant sinon plus besoin du reste du monde que le reste du monde a besoin du Québec.

Et ce n’est pas inutile d’estimer que, parce qu’il est si ouvert sur le monde, le Québec contribue de manière disproportionnée à la création de la culture contemporaine.
Ce n’est pas de la haine de soi de contempler sans complaisance ce qui pourrait rendre notre langue et notre culture sans attrait pour des immigrants ou des visiteurs.

Et ce n’est pas de l’orgueil de noter que les “Belles soeurs” est l’une des pièces contemporaines les plus traduites et les plus jouées dans le monde.
Ce n’est pas déplacé de suggérer que le copinage, la corruption, les mauvaises écoles et les hôpitaux dysfonctionnels nuisent davantage au Québec que l’université McGill.

Et ce n’est pas inutile de souligner que l’immense majorité des Québécois enragent contre la corruption et le copinage et souhaitent des écoles meilleures et des hôpitaux plus fonctionnels.
Ce n’est pas fédéraliste d’être exaspéré par ceux qui parlent davantage de la Nuit des longs couteaux que du décrochage, du soin des personnes âgées et du suicide au Québec.

Et ce n’est pas être jongleur que de pouvoir à la fois travailler sur le bien être de la société et savoir que son peuple a subi, depuis 30 ans, une injustice historique parfaitement condamnable.
Ce n’est pas de l’àplatventrisme de refuser d’imposer sa langue à quelqu’un qui la rejette, comme on refuserait de forcer une femme à nous aimer si on échoue à la séduire.

Et ce n’est pas de l’étroitesse d’esprit que de trouver désolant que des gens vivent dans une société en refusant d’en apprendre la langue, un refus parfois militant.
Ce n’est pas être à genoux de respecter la liberté des autres comme on souhaiterait qu’ils respectent la nôtre.

Et ce n’est pas être en orbite que d’estimer normal que ceux qui s’installent chez nous fassent l’effort de respecter leur environnement en comprenant ce qui s’y passe.
Ce n’est pas du nombrilisme de considérer qu’il y a, en matière culturelle, une sphère intime qui échappe autant à la supervision de l’État que la chambre à coucher.

Et c’est n’est pas loin d’être culturellement suicidaire de promouvoir des politiques qui rendent, en quelques décennies, la majorité minoritaire dans sa principale ville.
Ce n’est pas être défaitiste de plaider que, même dans la défense d’une langue et d’une culture, la fin ne justifie pas toujours les moyens.

Et ce n’est pas être excessif que d’estimer que l’évolution d’une situation linguistique nécessite des moyens à la mesure du défi posé.
Ce n’est pas être vendu de douter de l’utilité d’une politique d’hostilité envers les serveuses anglophones comme mode de promotion de la langue officielle.

Et ce n’est pas être mordu que d’estimer que l’employeur d’une serveuse ne parlant pas la langue de la majorité de ses clients est en infraction, doit payer l’amende et corriger la situation, comme s’il avait grillé un feu rouge.
Ce n’est pas être colonisé de parler anglais à l’occasion à Montréal, une ville qui a toujours été bilingue et cosmopolite.

Et ce n’est pas être soumis, lorsqu’on est anglophone, de parler français à Montréal, première ville francophone des Amériques.
Ce n’est pas de la gentillesse excessive de tolérer sans colère la présence de gens dont la langue, les idées et la culture diffèrent des nôtres.

Et ce n’est pas de la rigidité excessive que de vouloir limiter au temple et à la sphère privée le caractère activement misogyne de courants religieux plus visibles qu’auparavant.
Ce n’est pas de l’amnésie de revendiquer pour les Québécois d’aujourd’hui une identité qui n’est plus celle de leurs ancêtres de la Nouvelle France.

Et ce n’est pas de l’humour d’affirmer qu’il faut savoir exactement d’où l’on vient, car en plusieurs cas, on ne veut surtout pas y retourner.
Ce n’est pas une hérésie de supposer qu’une nouvelle génération se reconnaisse davantage dans certaines valeurs universelles que dans un désir d’homogénéité culturelle.

Et ce n’est pas une hérésie, non plus, de supposer qu’une nouvelle génération veuille incarner certaines valeurs universelles et une grande diversité d’expressions culturelles sur un socle national assez solide pour ne pas se dissoudre dans une World Culture commerciale.
Ce n’est pas de la propagande de soutenir que le contrôle politique, culturel et linguistique ne peut plus s’exercer en 2011 comme en 1971.

Et ce n’est pas autre chose que de la lucidité de soutenir que dans un rapport du 1% au 99% sur le continent, la pensée magique n’est jamais une bonne politique pour le 1%.
Ce n’est pas déconnecté de sentir, comme Dany Laferrière, qu’il est urgent de “sortir le Québec du Québec”.

Et ce n’est pas anodin de constater avec joie que Dany Laferrière, réfugié haïtien, est devenu l’un des romanciers québécois les plus aimés par sa nation d’adoption, qui exprime ainsi sa capacité de sortir du Québec.
Ce n’est pas complexé d’être convaincu que le Québec est plus fier quand il affronte la concurrence et triomphe que quand il s’isole et se déclare gagnant.

Et ce n’est pas être omniscient que de constater que, des Oscars aux Césars, aux examens PISA, à Paris et Las Vegas, à la Série C ou aux Olympiques, le Québec affronte la concurrence et triomphe. Mais ça ne semble pas nous valoir un Vérificateur Général bilingue.
Ce n’est pas faible d’imaginer que nous sommes plus forts quand on montre ce qu’on sait faire que quand on interdit aux autres de faire différemment.

Et ce n’est pas être excessifs que de favoriser toutes les différences, en insistant sur une langue commune et un respect strict de l’égalité des sexes.
Ce n’est pas suicidaire de proposer que le Québec a plus à gagner à participer à la mouvance contemporaine qu’à tenter en vain de se protéger du reste du monde.

Et ce n’est pas être obtus que de ne vraiment pas savoir de quel Québec cette dernière affirmation parle, ce Québec sans lequel le Canada serait resté en retrait de l’accord de libre-échange de l’Amérique du Nord, du Traité international sur la diversité culturel, de ce Québec sans lequel le Canada était tenté par une intervention militaire en Irak et de ce Québec qui insiste, sans succès car minoritaire, d’obliger le Canada de se joindre à la mouvance contemporaine contre le réchauffement planétaire.}

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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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