Dans mon article précédent (La Révolution tranquille s’est interrompue le 5 novembre 1981), j’ai passé en revue les événements qui ont ponctué le déclin de l’effervescence populaire caractérisée par la Révolution tranquille qui a porté au pouvoir un premier gouvernement souverainiste en 1976, le Parti québécois (PQ) de René Lévesque. Pour en arriver, après l’échec du référendum de 1980 et ses conséquences – particulièrement l’imposition de la Loi constitutionnelle de 1982 et sa charte des droits et libertés de la personne, à la nécessité d’une stratégie pour faire accroître l’appui à l’indépendance qui ne soit pas strictement dépendante des aléas de la conjoncture politique ou des erreurs tactiques de nos ennemis fédéralistes.
Aussi, pour y arriver, je vais employer une analogie dont je peux expliquer les principes pour montrer que les lois régissant ce genre de phénomène physique pourraient, intuitivement du moins, s’appliquer à la mécanique du processus d’accession du Québec à son indépendance politique. Cette analogie est bien représentative de l’état d’esprit que nous, les indépendantistes québécois, devons adopter face à l’État suzerain qu’est le Canada : un canon antichar!
Aussi, dans cette analogie, le rôle de chaque composante du canon et de sa cartouche est le suivant :
• Le canon : Il peut être assimilé au parti indépendantiste qui vient de recevoir du peuple québécois le mandat de réaliser l’indépendance ;
• La cartouche : Elle représente le peuple québécois ;
• Le projectile : C’est le mandat sollicité et obtenu de la population québécoise ;
• Le pénétrateur : C’est la stratégie employée pour réaliser ce mandat ;
• La poudre propulsive : Les électeurs québécois ;
• La douille : Les forces de l’ordre de l’État québécois ;
• L’étoupille : Les membres et l’organisation du parti indépendantiste ;
• L’amorce : Le chef du parti indépendantiste ;
• Le servant (tireur) : La conjoncture politique du moment.
Vous aurez sans doute compris que la cible à atteindre (char ennemi) est l’ennemi de l’indépendance du Québec :
• Le char ennemi : Il représente l’administration fédérale ;
• La tourelle du char : Il s’agit du gouvernement canadien (Ottawa).
J’ai trouvé que cette analogie un peu extrême représente bien le climat politique Canada-Québec : lorsque les indépendantistes sont au pouvoir, Ottawa se tient prêt à intervenir pour nous contrôler ; lorsque ce sont les fédéralistes qui sont à Québec, il n’y a pas de canon, la cartouche reste dans le magasin et le fédéral n’a donc pas à chercher à nous faire peur.
Selon cette analogie, les quatre principaux acteurs de la mise en marche de l’indépendance (la mise knock-out du char ennemi) sont les électeurs québécois (la charge de poudre), le chef du parti indépendantiste au pouvoir (l’amorce), la clarté du mandat (le projectile plus ou moins perforant) et, bien sûr, la conjoncture politique (le tireur). En absence de l’un ou de l’autre de ces acteurs l’indépendance ne pourra pas se réaliser, du moins, pas selon notre volonté.
Évidemment, les éléments secondaires ont également un impact important sur la réussite du projet. Sans membre et sans structure électorale, le chef serait incapable à lui seul de mobiliser les électeurs (allumer la charge de poudre). Les membres, par leur plus grande proximité des électeurs, relaient plus efficacement le message du chef et ont une plus grande influence sur les électeurs. Enfin, le parti (par ses statuts, son programme, son expérience et sa crédibilité) doit clairement être perçu par le peuple comme décidé et capable de le conduire à l’indépendance comme les caractéristiques du canon (ses parois, ses rayures, sa longueur, sa stabilité au tir) doivent être conçues pour détruire le char ennemi d’un seul coup.
Maintenant que nous connaissons les principes de fonctionnement, voyons comment cette analogie peut expliquer nos deux échecs passés:
Référendum du 20 mai 1980 (gouvernement péquiste majoritaire (71 sièges sur 125, 41,37% du vote) depuis le 15 novembre 1976)
Explication physique : Le projectile est tombé trop court. D’une part, la conception du projectile (pénétrateur trop large) rendait inefficace la possibilité de perforer le blindage du char canadien. De l’autre, la force initiale de poussée du projectile a été perdue à la fois par le délai d’ignition de l’amorce que par les fuites de pression dues à la mauvaise obturation de l’âme du tube par le projectile. Par rapport à la conception initiale du projectile, l’épaisseur du blindage à perforer était plus grande que prévu.
Traduction politique : L’objectif et le mandat du référendum de 1980 condamnaient d’avance la cause du Camp du OUI. L’importance accordée à l’association économique avec le Canada donnait une "poignée" au Camp du NON pour refuser de collaborer, en plus de favoriser sa campagne de peur basée sur l’incertitude économique au lendemain d’un OUI. Une grande partie de l’effervescence populaire qui a porté le Parti québécois au pouvoir s’est émoussée avec le temps et les réalisations (provinciales) de ce premier gouvernement souverainiste. De plus, la présence de Trudeau à la place de Clark comme interlocuteur du fédéralisme a rendu plus difficile l’atteinte d’une majorité absolue en faveur du OUI.
Référendum du 30 octobre 1995 (gouvernement péquiste majoritaire (77 sièges sur 125, 44,75% du vote) depuis le 12 septembre 1994)
Explication physique : Le projectile (allégé pour accroître sa vitesse à la bouche, au détriment de sa capacité de pénétration) a endommagé la tourelle du char canadien, mais celui-ci a pu résister et riposter rapidement. L’ignition a été assez rapide, mais la poudre s’est allumée moins rapidement. Cependant, la longueur du canon a permis de récupérer la presque totalité de la pression développée avant que le projectile ne sorte de la bouche. L’inspection de la chambre de combustion après le tir a révélé que la poudre était anormalement humide et que des espions ennemis avaient tronçonné le tube du canon peu avant sa mise en batterie.
Traduction politique : La question référendaire, au départ claire et compromettante, a été rendue plus rassembleuse – mais plus ambiguë – en vue de maximiser les appuis au OUI. Le référendum s’est tenu assez rapidement en comparaison du premier (1980), mais le délai a été suffisant pour permettre à Ottawa de faire naturaliser un nombre anormalement élevé d’immigrants en relâchant les procédures de Citoyenneté et Immigration Canada, en plus de mettre à contribution les entreprises amies du Parti libéral du Canada (PLC) et du Québec (PLQ) pour financer un rassemblement monstre à trois jours du vote fatidique. Malgré la nomination de Lucien Bouchard comme négociateur, puis président du Mouvement pour le OUI, les organisateurs péquistes et bloquistes ont manqué de temps pour contrer cette manœuvre de désespoir du Camp du NON. Ces abus de pouvoir et ce mépris des lois québécoises dénoncés avec force par Jacques Parizeau seront confirmés quelques années plus tard par les révélations de la Commission Gomery et sur Option Canada.
Qu’en est-il aujourd’hui?
Le mouvement indépendantiste vit malheureusement, depuis la démission de Jacques Parizeau, une crise de leadership sans précédent (amorce). Le militantisme (étoupille) s’est considérablement essoufflé chez les indépendantistes, déçus de la tournure des événements et du virage vers la droite (conservatisme et rectitude politique) du ʺnavire-amiralʺ péquiste. La lassitude, le fatalisme, la résignation, l’indifférence et le cynisme ont tour à tour gagné les électeurs (poudre à canon), entraînant l’installation d’un climat de morosité extrême et de désengagement politique. La riposte d’Ottawa (matraquage publicitaire pro-canadien, instrumentalisation des milieux d’affaires et financiers au financement occulte des partis fédéralistes, abus des recours à la charte des droits et libertés pour stigmatiser la différence québécoise et la défense du français, abus du principe du multiculturalisme pour légitimer le refus des allophones à s’intégrer à la société civile québécoise, etc.) a à la fois clairement fait perdre l’initiative au mouvement indépendantiste, brisé les repères identitaires des Québécois et intériorisé leur sentiment d’impuissance collective. Suite à la mise au rancart de toute velléité indépendantiste et nationaliste, le Parti québécois a cessé d’être perçu comme une menace par Ottawa au point que plus aucun parti fédéraliste sur la scène fédérale ne sent le besoin de tenir compte des intérêts spécifiques du Québec pour prendre le pouvoir. Tant que le peuple québécois croit à son existence et en la légitimité de s’administrer par lui-même et pour lui-même, il conserve un potentiel d’autodétermination (cartouche). Mais il ne perçoit plus la possibilité à court terme de devenir souverain (absence de canon et de tireur), le PQ se résignant à jouer les règles du jeu imposé par la Constitution de 1982 comme s’il l’avait signée. Il y a toutefois urgence d’agir rapidement et vigoureusement, car la démographie et le multiculturalisme jouent contre les Québécois et nous risquons de dépasser (si ce n’est déjà fait) un point de non-retour. En effet, les cartouches ne sont pas stables indéfiniment : l’humidité et la décomposition de la poudre (dénitrification) et la corrosion de la douille et du projectile avec le temps, les éléments et les fluctuations de température finissant par en diminuer les propriétés balistiques.
Que faire?
Il faut premièrement que les indépendantistes réalisent que faire du Québec un pays est une tâche et un devoir de tous les instants qui ne saurait s’accommoder d’efforts secondaires dans le cadre de la stricte gouverne provinciale. Chaque jour qui passe dans un Québec province ne fait que nous affaiblir collectivement, plus qu’hier et moins que demain. Le parti politique qui entend réaliser l’indépendance doit en faire non seulement le cœur de son programme politique, mais également faire comprendre à ses membres et aux électeurs que toute initiative dans le cadre fédéral actuel est inutile et contre-productif. Le pays du Québec ne sera jamais légal ni réalisable dans le carcan juridique actuel. Aucun changement significatif dans le sens des intérêts de la nation québécoise n’est possible sans rompre avec le régime constitutionnel qu’Ottawa et les provinces du ROC nous ont imposé.
Seuls les pays ont droit au chapitre du point de vue international. Le Canada, en tant que pays, peut faire entendre son point de vue et exercer son influence partout dans le monde, comme un char de combat peut se déplacer et se positionner de manière à tirer avantage de ses caractéristiques techniques (force de frappe, vitesse, protection). En tant que province, nous sommes privés ou très limités en influence et en visibilité. Nous sommes plus proches du canon antichar que du char de combat classique!
Deuxièmement, faire l’indépendance saura difficilement satisfaire tout le monde. Ou bien nous ferons un Québec inclusif qui ne se distinguera que très peu du Canada actuel ou bien nous ferons un Québec à notre image, fier de son héritage français et catholique qui saura se respecter et se faire respecter. À l’instar du projectile obtus et léger qui aura plus de chances de toucher la cible, un Québec multiculturel ou complaisant vis-à-vis du bilinguisme institutionnel recueillera plus vite et peut-être davantage d’appuis, mais sa pérennité comme entité distincte du Canada risque d’être compromise. Un Québec français fidèle à ses traditions et rigoureux dans l’accueil et l’intégration de ses immigrants sera plus long et exigera une discipline, un courage et une cohérence que seul un peuple qui se reconnaît dans ses valeurs pourra faire preuve pour y arriver. Ce sera plus long et forcera les indépendantistes à améliorer leur argumentaire et en faire la pédagogie, mais nous recommencerons à progresser car nous aurons laissé derrière nous l’attentisme et l'angélisme.
Et le jour où nous emploierons du tungstène, du molybdène, de l’uranium appauvri ou tout autre métal lourd et dur (les fameux ʺgestes de ruptureʺ) comme pénétrateur dans notre projectile (programme et mandat électoral), que nous chercherons à formuler une poudre à canon appropriée (refus du pouvoir provincial, mise en opposition systématique et objective des avantages procurés par l’indépendance par rapport aux ʺsolutionsʺ offertes par le fédéralisme actuel), que nous trouverons ou développerons une amorce (un chef qui saura faire adopter les ʺgestes de ruptureʺ et le principe de l’élection décisionnelle décisive en lieu et place du référendum pour les poser) et que nous saurons placer et maintenir un servant de canon disponible en quasi-permanence (en élisant un Bloc québécois dédié à la facilitation de la transition de province à pays et engagé dans des manœuvres de déstabilisation du fédéral, par exemple), du moins lorsque le canon reviendra et demeurera sur le champ de bataille (lorsqu’un parti résolument indépendantiste sera en bonne position pour prendre le pouvoir et y rester de manière solide), le char unifolié risque d’éclater en morceaux comme un Sherman ou un T-34 frappé à mort par le 88mm de notre Tiger québécois!
Si nous nous y mettons tous ensemble et accordons nos flûtes au lieu de faire passivement le jeu des politiciens professionnels qui font passer leurs privilèges de parlementaires avant le bien commun du peuple qu’ils prétendent servir, comme l’écrivait Gaston Miron, ʺÇa ne pourra pas toujours ne pas arriverʺ!
En guise de conclusion
En fait, le Québec a eu deux excellentes occasions de réunir toutes les conditions optimales pour ʺdétruire le char unifoliéʺ :
Au lendemain de la ʺNuit des longs couteauxʺ (plus précisément lors du Congrès national des 4-6 décembre 1981). Après l’affront de novembre 1981, Jacques Parizeau et les purs et durs (l’amorce et l’étoupille) étaient en excellente position pour forcer René Lévesque à retirer l’offre obligatoire d’association avec le Canada et de faire passer le principe de l’élection référendaire (le pénétrateur) dans le programme du PQ, sinon démissionner. Le PLQ, trahi par Pierre-Elliott Trudeau et toujours sous le faible leadership de Claude Ryan, aurait été très inconfortable à défendre l’option fédéraliste (minimisation de l’inhibition de la poudre) et beaucoup de fédéralistes déçus auraient pu faire défection au parti. La colère de la population face à ce coup de force du Canada anglais aurait facilement pu être canalisée en appuis au Parti québécois pendant une campagne électorale rapide (poudre chauffée à bloc!). Ne s’étant pas encore discrédité dans quelque mesure d’austérité susceptible de lui aliéner l’opinion publique (tireur présent et motivé), les militants galvanisés n’auraient eu aucune peine à convaincre les plus hésitants à accorder au PQ un mandat fort de rompre avec le Canada (projectile AP/FSDS-T!).
Il y a fort à parier, du côté du ʺchar canadienʺ que l’équipage (premiers ministres des provinces du ROC) aurait profité des déboires de Trudeau pour virer sa veste de bord et revenir sur sa décision d’accepter la charte, même à contrecœur. Le rêve du Canada uni, multiculturel et bilingue de Trudeau aurait frappé son ʺStalingradʺ et le Canada n’aurait plus senti le besoin de cacher sa vraie identité. Avec Parizeau aux commandes du Québec face à un nouveau premier ministre authentiquement ʺCanadianʺ, on n’aurait pas niaisé longtemps avec la ʺpuckʺ!
Au soir du référendum du 30 octobre 1995. Le Parti québécois aurait clairement signifié le sentiment d’urgence et une rare cohérence avec son argumentation si tout le cabinet Parizeau avait emboîté le pas au premier ministre ou avait levé un protêt sur le verdict, compte tenu de l’évidence des manœuvres abusives du Camp du NON et de la faible marge de la défaite. Si le premier ministre et son cabinet avaient choisi de démissionner, ils l’auraient fait non pas pour se rétracter ou se dissocier de la fameuse déclaration sur ʺl’argent et des votes ethniquesʺ, mais, au contraire, par solidarité envers lui et pour démontrer l’extrême gravité du verdict et de ses conséquences s’il était avalisé par la population.
Devant un tel cafouillis national, il est à peu près certain que la tête de Jean Chrétien aurait été mise à prix et que le PLC aurait également été désavoué par une bonne partie des électeurs canadiens, particulièrement ceux de l’Ouest et des Maritimes. Pour éviter une chute record de la devise canadienne et une catastrophe économique, les milieux d’affaires et économiques n’auraient eu d’autre choix que de lâcher du lest et de chercher à s’entendre rapidement avec le Québec sur une forme de réciprocité canado-québécoise afin de faire contrepoids au géant américain dans l’entente de libre-échange Canada-États-Unis.
Il ne faut donc pas désespérer mais plutôt se cracher dans les mains et recommencer!
Comment relancer – pour de bon! – l’adhésion à l’indépendance
Faire le pays – par un coup de canon!
Les principes de la physique valent également en politique!
Tribune libre
Luc Bertrand19 articles
Vice-président, programme et affaires politiques
Parti Québécois de L'Assomption
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
2 février 2014Pour faire le pays - par un coup de canon
par le 53
Un sage m'a appris : Tu ne peux gouverner le monde par les actes. tu ne peux le faire qu'avec le Verbe.
Alors je me suis mis à me questionner :
Pourquoi un canadiens français paie de l'impôt, des taxes scolaires, municipales et l'autre n'en paient pas ?
Dieu serait-t-il raciste en réflexion quantique nous apprenons que
la supériorité ou l'infériorité n'existe pas.
Alors pourquoi moi vous payer des impôts et une autre sorte de gens n'en payent pas ?
Je réfléchis à M. Michaud, et j'en reviens toujours à mon équation première Je paie de l'impôt et des taxes et l'autre pas
J'ai comme impression qu'il y a deux système d'impositions un peu comme les comptabilités des grandes compagnies Les comptables ont deux tenues de livres, L'une frauduleuses et caché, et l'autre au grand public.
On peut se demander ou réfléchir pourquoi la Commission Charbonneau n'a pas pointé du doigt les comptables fautifs ... Le droit à l'information n'existe pas au Québec ni au Canada Seul l'Angleterre a soulevé le voile
et a fait mal à ceux qui trichent
J'ai toujours ma question en tête Pourquoi je paie de l'impôt et l'autre pas comme dans Longueuil ... ?
Monsieur Michaud aurait-t*il prêché dans le désert ?
L'église dit prions.
Moi je dis réfléchissons !
Et surtout obligeons les autres à réfléchir.
Archives de Vigile Répondre
1 février 2014Québec vieillissant et démographiquement malthusien.
Ça va prendre plus qu'un cheerleader comme vous pour faire l'indépendance.
La démolition tranquille est en train de tout saccager au Québec. Je vous cite un belle phrase. 'Européen convaincu à ses débuts, il désespère aujourd'hui de voir une Europe vieillissante et démographiquement malthusienne jouer un jour un rôle significatif dans le concert des grandes puissances de demain.'
http://fr.wikipedia.org/wiki/Crash_d%C3%A9mographique