Étudier en français, un grand défi pour les Inuits du Nunavik

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L'anglicisation des Inuits est une conséquence de notre soumission au Canada

Étudier en français ou en anglais ? Les Inuits du nord du Québec peuvent poursuivre leurs études collégiales dans l’une des deux langues officielles du Canada, un choix qui peut s’avérer déterminant pour leur avenir.



« Ce sont des survivors, la crème de la crème du Nunavik ! » s’exclame avec fierté Marie-Hélène Morin, conseillère pédagogique au Collège Montmorency, en faisant référence à la poignée d’étudiants inuits du cégep. Les étudiants viennent du Nunavik, un territoire pratiquement aussi grand que l’Espagne situé au nord du Québec, où 83 % des élèves décrochent avant d’avoir terminé leur secondaire.



Au Nunavik, la moitié des élèves du primaire et du secondaire étudient en français ; l’autre moitié, en anglais. Mais la proportion des élèves francophones chute au postsecondaire. Au cours des quatre dernières années, la proportion d’Inuits inscrits dans des institutions francophones variait entre 15 et 28 %, selon la Commission scolaire Kativik, qui chapeaute les écoles du Nunavik et encadre les étudiants inuits au cégep et à l’université, « au sud ».



Jusqu’en 2015, la majorité des étudiants inuits du secteur francophone du Nunavik allaient au Cégep Marie-Victorin, dans le nord-est de Montréal. « En vingt-trois ans, il y a eu sept diplômés seulement », indique Mme Morin. Un nombre équivalant au nombre de diplômés de l’année 2015 au Collège John Abbott, à Montréal, où étudient la majorité des collégiens inuits du secteur anglophone.



Depuis deux ans, la majorité des Inuits « francophones » étudient au Collège Montmorency, à Laval.



Une transition brutale



« Les étudiants arrivent au cégep avec un faible niveau de français », observe Sylvain St-Amour, professeur de français au Collège Montmorency, à Laval. Les étudiants ont du mal à tenir une conversation. Ils ont parfois de la difficulté à comprendre les consignes. Mais comment est-ce possible, s’ils étudient en français depuis la 4e année du primaire ?



Le français est la troisième langue au Nunavik, derrière l’inuktitut, la langue maternelle, et l’anglais, la langue courante. « Le français est une langue scolaire, explique Nicolas Bertrand, auteur de L’école à la dérive, un essai sur l’éducation au Nunavik. Même s’ils sont scolarisés en français pendant neuf ans, les élèves n’ont pas l’occasion de parler en français en dehors de l’école. » De fait, pour relever ce défi, ce sont généralement les élèves les plus doués à l’école qui sont encouragés à poursuivre leurs études en français.



Si apprendre une troisième langue constitue déjà un défi en soi, le faire dans le contexte particulier du Nunavik rend la chose encore plus difficile. Absentéisme, charge de travail plus faible et absence de devoirs, manque de ressources, problèmes sociaux, grand roulement du personnel, majoritairement composé de non-Inuits qui en sont généralement à leur première expérience d’enseignement… La liste des facteurs nuisant à l’apprentissage et recensés dans l’essai de M. Bertrand est encore longue.


Photo: Miriane Demers-Lemay Le DevoirDes étudiantes du Nunavik discutent à l’extérieur des résidences du Collège Montmorency.



Au cégep, la barrière de la langue s’ajoute aux nombreux défis associés à la transition brutale entre le nord et le sud. Les étudiants du Nunavik doivent apprendre à fonctionner dans une culture complètement différente, loin de leur famille. Ils doivent gérer leur budget, payer leur cellulaire, prendre l’autobus, planifier leurs repas. Ils doivent aussi apprendre à être ponctuels, à faire leurs devoirs et à supporter une charge de travail beaucoup plus élevée qu’au nord. De fait, le nombre d’étudiants inscrits au Collège John Abbott a fondu de près de moitié entre les sessions d’automne et d’hiver de 2015 et 2016.



Cette année, quatre étudiantes « francophones » du Nunavik ont décidé de poursuivre leurs études collégiales en anglais. C’est le cas de Joanna Cooper, de Kuujjuaq, qui a décidé de faire ses sciences pures au Collège John Abbott. « J’ai moins confiance quand je parle français, témoigne-t-elle. C’était un peu plus difficile au début de la session pour comprendre le vocabulaire en anglais, parce que j’ai toujours étudié en français. Mais je suis plus à l’aise en anglais. »



D’autres sont heureux de poursuivre leur scolarité en français. Le français peut leur donner accès à une plus grande possibilité d’emplois au sud de la province. Parler trois langues peut également constituer un atout au Nunavik, territoire officiellement trilingue. « Nos amis qui étudient en anglais nous disent qu’on est chanceux d’étudier en français », témoignent des étudiantes du Collège Montmorency.



Un changement d’approche



Le Collège Montmorency est un nouvel environnement ayant plus de ressources, se réjouit Mme Morin. Afin de préparer les jeunes aux exigences d’un programme régulier, le cégep a créé un programme « tampon » pour les Inuits du Nunavik.



L’an dernier, les élèves ont eu une session d’études avec des cours de français et de préparation aux études collégiales. En août, la première cohorte a commencé le nouveau programme « Tremplin DEC », d’une durée d’un an. « Ils ont deux cours de 90 heures de français à la première session, puis un cours de 60 heures à la deuxième session », souligne Renaud Bellemare, directeur adjoint au service du développement pédagogique et de la réussite du collège.



Une formation qui suscite diverses réactions chez les étudiants. « Je perds un an, alors que je pourrais déjà étudier dans mon programme », croit Sarah, qui veut devenir policière. Louisa et Akinisie, quant à elles, sont contentes d’améliorer leur français grâce au nouveau programme.



Du pain sur la planche



Qu’est-ce qu’on devrait faire pour améliorer la maîtrise du français dans les écoles ? « On pourrait, si on avait les ressources disponibles, intégrer l’apprentissage de l’inuktitut à l’école le plus longtemps possible, croit M. Bertrand. Il y a des études qui montrent que l’apprentissage de la langue maternelle sur le long terme est un facteur qui aide à apprendre une langue seconde. » C’est d’ailleurs ce vers quoi tend le gouvernement du Nunavut, qui s’est engagé à instaurer l’éducation bilingue de la maternelle à la 12e année à partir de 2019, informe-t-il.



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