Et si nos politiciens étaient aussi intègres que nos juges?

Crime organisé et politique - collusion (privatisation de l'État)

Plusieurs Montréalais se réjouissent de l'entrée du juge Gomery en politique municipale, et avec raison. Si l'on peut peut-être lui reprocher certains commentaires durant la Commission d'enquête sur les commandites, personne n'a jamais mis en doute son intégrité ni sa volonté sincère et ferme de faire la lumière complète sur ce scandale. L'idée de voir un juge qui a combattu la corruption s'impliquer dans la politique d'une ville aussi mal en point que Montréal suscite de l'enthousiasme.
Je suis un avocat qui plaide devant les tribunaux depuis maintenant cinq ans et j'ai toujours été impressionné par le travail de nos juges au quotidien. Leur professionnalisme, leur compétence et surtout leur intégrité n'ont jamais fait de doute dans mon esprit, et je crois que ce sentiment est partagé par l'ensemble de la population. Or ce professionnalisme et cette intégrité chez nos juges contrastent grandement avec ce que l'on a vu chez nos politiciens au cours des dernières années: les scandales à répétition et l'omniprésence de conflits d'intérêts à chacun des ordres de gouvernement ont engendré un cynisme et grugé la confiance de la population. Il semble malheureusement que la seule menace de ne pas être réélu si un scandale éclate n'arrête pas certains politiciens d'agir de manière douteuse sur le plan éthique.
Or tant les juges que les politiciens sont susceptibles d'être corrompus, comme en témoignent les systèmes judiciaires de plusieurs pays en voie de développement, où chaque litige commence par une remise de cadeaux au juge qui rendra son verdict en fonction de la grosseur des cadeaux offerts par chaque partie. Le pouvoir politique n'est sûrement pas moins important que le pouvoir judiciaire, alors comment expliquer une telle différence dans la confiance qu'accorde la population à ces deux pouvoirs? N'est-il pas possible de rêver à des politiciens qui soient à la hauteur de nos juges?
Des différences majeures
Il y a plusieurs différences structurelles majeures entre l'encadrement du travail de nos juges et celui de nos politiciens, et bien que la nature de leurs fonctions respectives soit différente, il est intéressant de souligner certaines de ces différences.
Premièrement, tant la Charte canadienne des droits et libertés que la Charte québécoise garantissent un droit à une audition par un juge indépendant et impartial. Ce principe, qui fait partie de la Constitution du Canada, a des conséquences majeures sur l'administration de la justice: non seulement un juge doit être impartial, mais il ne peut même pas y avoir l'apparence d'un conflit d'intérêts, auquel cas le juge doit se récuser.
Le magistrat doit également, par son comportement, chercher à renforcer la confiance du public et ne peut entretenir de relations avec les avocats. Mais surtout, les nombreuses obligations déontologiques du juge sont soumises au contrôle d'un conseil de la magistrature qui possède le pouvoir d'enquêter et même de destituer un juge, en plus du pouvoir de mettre en place des programmes de perfectionnement.
Par opposition, dans le domaine politique, on ne peut que constater l'absence d'un droit pour les citoyens d'être administrés par des politiciens indépendants et surtout l'absence d'un commissaire à l'éthique indépendant détenant le pouvoir d'enquêter et de destituer un politicien. En ce sens, l'adoption du projet de loi sur le Code d'éthique et de déontologie des membres de l'Assemblée nationale est un pas dans la bonne direction, mais il faudra s'assurer d'étendre les mêmes principes et mécanismes de surveillance aux municipalités.
On pourrait par ailleurs imaginer une Constitution du Québec dans laquelle on établirait le principe d'indépendance des politiciens, ce qui placerait ce principe au rang d'un droit fondamental du citoyen et rendrait impossible pour un gouvernement ultérieur de mettre de côté le Code d'éthique et de déontologie.
Mieux rémunérer
Deuxièmement, on ne pourrait imaginer nos tribunaux se financer à même les dons du public lors de cocktails de financement organisés par les juges eux-mêmes. L'idée fait sourire, mais c'est pourtant bel et bien ce que l'on fait dans le domaine politique: les décideurs développent des conflits d'intérêts avant même d'être élus en finançant par eux-mêmes le système politique. On doit se demander si, au lieu de contrôler le financement des partis politiques, on ne devrait pas tout simplement interdire toute contribution aux partis politiques et financer la sphère démocratique par l'entremise d'un organisme public indépendant.
Une troisième différence entre politicien et juge réside dans le fait qu'un député gagne moins de la moitié du salaire d'un juge. Les salaires des juges, qui sont fixés par un organisme indépendant, sont en effet élevés parce qu'on a compris au fil des années qu'à un certain niveau salarial, nos juges seraient très difficiles à «acheter», et c'est précisément le cas. Notre refus d'accorder aux politiciens une telle indépendance financière les rend plus faciles à corrompre, et cette corruption ainsi que les commissions d'enquête qui en résultent nous coûtent ironiquement des millions chaque année.
Une démocratie saine, tout comme une justice saine, a un prix. On entend souvent que, là où il y a du pouvoir, il y a de la corruption. Or l'évolution de l'indépendance et de l'impartialité judiciaire au Québec démontre en fait qu'il est possible de limiter la corruption par certains mécanismes: l'intégrité peut être institutionnalisée et structurée, mais encore faut-il s'en donner la peine et en faire une priorité. Souhaitons que l'implication d'un juge bien au fait de l'évolution de l'indépendance judiciaire puisse aider nos municipalités à cheminer dans cette direction.
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Paul St-Pierre Plamondon, Cofondateur de Génération d'idées et avocat au sein de l'étude Delegatus


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