Et si le système de santé vous appartenait? - Aux grands maux les grands remèdes

Le Dr Yves Lamontagne propose notamment de louer les salles d'opération aux Américains pour sauver le système de santé

2006 textes seuls

L'idéologie, la bureaucratie et le statu quo sont sur le point de tuer le système de santé, dénonce le Dr Yves Lamontagne, dans son nouvel ouvrage, Et si le système de santé vous appartenait? Reconnu pour son franc-parler, le bouillant président du Collège des médecins y va de propositions-choc pour sortir le système de santé de son gouffre financier, notamment d'instaurer un ticket modérateur aux patients et d'ouvrir nos salles d'opération inutilisées aux Américains.


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«Qu'allons-nous laisser en héritage à nos enfants? Dans 20 ans, il n'y aura plus assez de budget que pour la santé et les écoles, et dans 30 ans, il faudra vendre nos écoles pour financer la santé!» - Dr Yves Lamontagne
_ Le Devoir
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Allergique à la rectitude politique et éternel pourfendeur de la frilosité des politiciens et de l'asphyxie budgétaire, le Dr Lamontagne pourchasse, dans le 32e ouvrage de sa carrière, de nouveaux démons, concentrant cette fois son tir sur le rôle qui devrait être accordé au secteur privé dans la santé.
Au moment où s'amorce à Québec une vaste consultation sur le rôle du privé en santé lancée dans la foulée de l'arrêt Chaoulli, le remue-méninges personnel proposé par cet ex-chef syndical qui trône aujourd'hui à la tête du Collège des médecins tombe à point nommé.
Selon le Dr Lamontagne, il est urgent d'injecter de l'argent neuf dans le système. Pourquoi ne pas le faire en instaurant un ticket modérateur pour les visites médicales en clinique, en vendant certains services médicaux aux patients américains ou en faisant payer les frais de buanderie et de repas aux patients hospitalisés ?, a-t-il expliqué en entrevue au Devoir. Des idées auxquelles se sont refusés tous les hommes politiques jusqu'ici, et qui ont de quoi faire dresser les cheveux sur la tête de tout ce qui loge à gauche au Québec !
N'en déplaise aux purs et durs du 100 % public, le Dr Lamontagne estime que le Québec se prive aujourd'hui de deniers importants en dormant sur des ressources sous-exploitées en raison d'une idéologie dépassée. «Des millions de dollars sont investis dans des salles d'opération fermées 18 heures sur 24, faute de ressources pour payer des heures supplémentaires au personnel. Pourquoi ne pas vendre des services au privé en dehors des heures d'ouverture au lieu de laisser dormir ces équipements très coûteux ?», lance ce franc-tireur, qui ne voit rien d'amoral à traiter des patients étrangers le soir ou la nuit, pour générer des profits et traiter plus rapidement les patients québécois.
Rien d'amoral non plus à imposer un ticket modérateur, puisque un pays aussi social-démocrate que la Suède réclame à ses concitoyens 25 $ à chaque visite chez le médecin, et 35 $ à l'urgence.

«Cela ne va pas régler tous nos problèmes, mais, dans certains pays, ça contribue à payer jusqu'à 10 % des dépenses de santé, et les personnes à faibles revenus en sont exemptées», plaide-t-il.
Selon le Dr Lamontagne, l'aversion légendaire de plusieurs milieux, notamment des centrales syndicales, à l'égard d'une participation privée dans la santé est à son avis anachronique et tributaire d'une culture politique propre au Québec. Dans la plupart des pays européens, le secteurs public et privé cohabitent dans la santé, sans même que les syndicats y voient de quoi fouetter un chat.
«Aime-t-on mieux mettre la clé sous la porte ou aller chercher de l'argent ailleurs ? Avons-nous vraiment les moyens d'être plus catholiques que le pape ?», demande le psychiatre, qui juge bien timide la récente ouverture du gouvernement Charest au secteur privé.
«On ne cesse de brandir le spectre mercantile et honteux du privé au Québec, comme si le privé, c'était un gang de bandits. On refuse cela pour des raisons politiques, parce qu'aujourd'hui les élections se gagnent ou se perdent avec la santé. Les politiciens le savent et ne veulent surtout pas brasser la cage», affirme le Dr Lamontagne.
Pourtant, rappelle-t-il, 20 % des centres d'accueil pour personnes âgées sont gérés par le privé depuis 30 ans au Québec, dans l'indifférence générale. Ces centres conventionnés reçoivent un budget du gouvernement pour gérer les services techniques, et un autre, pour gérer les soins aux patients.
Ils se doivent d'appliquer les mêmes conventions collectives, de respecter les mêmes normes de qualité et d'offrir les mêmes services aux patients que les centres publics. La loi ne leur permet de faire des profits que sur la portion des services non cliniques. «Il n'y a jamais eu de scandales à la Saint-Charles-Borromée, de grèves ou de faillites dans ces établissements. Ils donnent des services de qualité, sans que l'État ait à entretenir ou à financer ces immobilisations. C'est un excellent deal», cite-t-il en exemple.
Le Collège des médecins s'est montré favorable à une ouverture plus grande au secteur privé dans la santé. Mais, dans ce plaidoyer personnel, le volubile représentant de la gent médicale pousse la logique encore plus loin. Et si les hôpitaux nous appartenaient ?
L'ex-directeur du Centre de recherche Fernand-Séguin rêve d'un système qui favoriserait la création de consortiums privés, où médecins et employés deviendraient des partenaires du privé, pleinement impliqués dans la gestion de leurs hôpitaux, avec participation aux profits. De quoi fouetter la stimulation et l'émulation, estime-t-il. «Cela créerait non seulement un sentiment d'appartenance, mais un incitatif à la performance. On ne gérera jamais le CHUM ou de gros hôpitaux de cette manière. Mais ce modèle conviendrait tout à fait à des hôpitaux de région qui desservent environ 80 000 habitants», croit-il. C'est notamment le cas à Plattsburgh dans l'État de New York, à 60 minutes de Montréal, où un hôpital communautaire administré de cette façon offre d'excellents services aux patients.
Comme autre solution pour renflouer les coffres de l'État, le Dr Lamontagne estime que les entreprises pharmaceutiques, notamment les fabricants de médicaments génériques qui pullulent au Québec et engrangent d'énormes profits grâce au système de santé, devraient être fortement incités à verser d'imposants dons.
Enfin, il décoche au passage plusieurs flèches aux syndicats qu'il accuse d'être les chantres du statu quo et de la rigidité, en continuant à se battre bec et ongles contre toute participation du privé en santé. «Je condamne l'attitude de braquage continuel des syndicats face à toute nouvelle idée. C'est la tyrannie du statu quo. C'est le refus d'admettre l'existence même d'un problème», déplore Yves Lamontagne qui juge qu'il n'est plus temps de multiplier les palabres, les commissions d'enquête et les consultations publiques. Toutes les solutions doivent être envisagées, fussent-elles imparfaites.
«Qu'allons-nous laisser en héritage à nos enfants ? Dans 20 ans, il n'y aura plus assez de budget que pour la santé et les écoles, et dans 30 ans, il faudra vendre nos écoles pour financer la santé !», fulmine-t-il dans ce livre, qui arrivera en librairie demain.
Le vieux routier du système de santé n'est pas tendre non plus à l'égard de la machine gouvernementale qu'il juge atteinte de «bureaucratite» aiguë. «Au moins deux fois par semaine, je reçois des demandes du ministère de la Santé pour participer à des comités. Ça me prendrait des dizaines d'employés pour répondre à leurs demandes. Il y a sûrement des millions payés pour des personnes qui siègent dans des comités de "taponnage"», affirme le président du Collège, qui soutient que le Québec dépense 77 $ par habitant pour administrer son système de santé, contre 38 $ en Ontario et 49 $ au Canada.
Le franc-parler du Dr Lamontagne n'épargne d'ailleurs pas ses propres collègues médecins, qu'il accuse de se désinvestir de la sphère sociale et des causes philanthropiques, pour devenir des techniciens de la médecine au langage hermétique. «La médecine était un art, et une science. Or, c'est de moins en moins un art. Il n'y a plus de respect pour le patient, plus assez d'importance accordée à la relation patient-médecin», déplore-t-il.
À ce titre, il montre du doigt les universités qui valorisent une formation technique et spécialisée, et s'empressent de sélectionner des premiers de classe, au détriment d'étudiants ayant un meilleur potentiel humain. Seulement 40 % des médecins deviennent aujourd'hui médecin de famille, alors que 60 % des étudiants convergent vers la médecine spécialisée. Ce devrait être le contraire, selon Yves Lamontagne.
Le psychiatre invite d'ailleurs ses collègues à s'impliquer davantage dans les causes sociales et à descendre de leur tour d'ivoire. «Les médecins doivent cesser de penser qu'ils savent tout. Maintenant, les soins de santé sont donnés par une multitude de professionnels et payés par tous. Les soins de santé, ce n'est plus le monopole des médecins, c'est le choix d'une société tout entière», conclut-il.


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