MADRID | Le premier ministre socialiste Pedro Sanchez a remporté dimanche les élections législatives sans atteindre la majorité nécessaire pour gouverner seul une Espagne divisée où l’extrême droite se prépare à entrer au Parlement, plus de 40 ans après la fin de la dictature de Francisco Franco.
Le scrutin pourrait déboucher sur une poursuite de l’instabilité qui marque la politique espagnole depuis la fin du bipartisme conservateurs-socialistes en 2015, avec un Parlement fragmenté et des divisions exacerbées par la tentative de sécession de la Catalogne en 2017.
«Le futur a gagné et le passé a perdu», a lancé Pedro Sanchez, chemise blanche et col ouvert, en proclamant sa victoire devant les militants au siège de son parti à Madrid.
Après le dépouillement de 99 % des bulletins de vote, le Parti socialiste a recueilli près de 29 % des voix et 123 députés, nettement plus que les 85 remportés aux législatives de 2016, mais loin de la majorité absolue de 176 sur 350 à la chambre.
Pedro Sanchez, arrivé au pouvoir en juin dernier en renversant le conservateur Mariano Rajoy dans une motion de censure, sera donc obligé de bâtir une coalition difficile pour continuer à gouverner.
En face, les partis de droite seront bien en mal de l’en empêcher, malgré l’irruption du parti d’extrême droite Vox, qui remporte d’un coup 24 députés.
Les conservateurs du Parti populaire (PP) ont en effet perdu la moitié de leurs sièges, et retombent à 66 députés, contre 137 en 2016. Les libéraux de Ciudadanos ont réussi une belle percée, passant de 32 à 57 députés.
Mais même en s’alliant à Vox, le PP et Ciudadanos ne pourraient pas rééditer au niveau national le succès qu’ils ont obtenu en décembre aux élections régionales d’Andalousie, où ils ont chassé les socialistes de leur fief.
«La fête est finie»
Vox, pratiquement inconnu jusqu’à son irruption en Andalousie, a fait ressurgir l’extrême droite dans un pays où elle était insignifiante depuis la mort de Franco en 1975.
«La gauche sait que la fête est finie», a lancé le numéro deux du parti, Javier Ortega Smith. Son chef Santiago Abascal a lui annoncé le début de «la reconquête» de l’Espagne déclarant: «Vox est venu pour rester».
Vox a massivement fait campagne sur les réseaux sociaux comme le président américain Donald Trump ou le brésilien Jair Bolsonaro. Ce parti est soutenu notamment par le Rassemblement national en France et la Ligue au pouvoir en Italie.
Adoptant un virulent discours antiféministe et contre l’immigration, il a prospéré en particulier en prônant la manière forte en Catalogne.
Gonzalo Rodríguez, un étudiant madrilène de 18 ans, a voté pour la première fois, pour Vox, «le seul parti, selon lui, qui défend l’unité de l’Espagne et les valeurs de la famille traditionnelle».
Participation massive
Après une campagne tendue, le taux de participation a été de 75,78 %, neuf points de plus qu’en 2016, selon le ministère de l’Intérieur.
Pedro Sanchez et ses alliés de gauche radicale Podemos avaient battu le rappel des électeurs en mettant en garde contre la montée de l’extrême droite.
Le PP et Vox avaient tenté de mobiliser dans une campagne agressive contre le premier ministre, le qualifiant de «traître» pour être parvenu au pouvoir en partie grâce aux voix des séparatistes catalans et pour avoir ensuite tenté de dialoguer avec eux.
Intenses tractations
La Catalogne, où les séparatistes ont déclenché en 2017 la pire crise politique qu’ait connue l’Espagne en quarante ans, continue à hanter la politique espagnole.
Pedro Sanchez pourra compter sur l’appui de Podemos, qui remporte 42 sièges, contre 67 en 2016, mais devrait avoir besoin de celui de partis régionalistes et donc, a priori, des indépendantistes catalans.
Mais le socialiste préférerait éviter d’avoir de nouveau besoin de ces derniers, qui l’ont contraint à convoquer ces élections anticipées en refusant de voter son budget.
Reste l’hypothèse d’une alliance avec Ciudadanos dont le chef Albert Rivera avait pourtant juré de «chasser Sanchez du pouvoir». Ensemble, le PSOE et Ciudadanos franchissent le seuil magique de la majorité absolue.
Mais les militants, qui saluaient sa victoire, l’ont mis en garde contre cette tentation en scandant «pas avec Rivera».
Espagne: état des lieux d’un Parlement fragmenté
MADRID | Le socialiste Pedro Sanchez a remporté dimanche les élections législatives en Espagne, mais sans majorité absolue au sein d’un Parlement très fragmenté. État des lieux et scénarios possibles.
Parti socialiste (123 sièges)
Avec 123 sièges contre 85 lors du scrutin de 2016, les socialistes remportent une victoire nette, leur première depuis 2008.
Mais le chef du gouvernement sortant Pedro Sanchez, arrivé au pouvoir à la surprise générale en juin à la faveur d’une motion de censure contre le conservateur Mariano Rajoy, reste loin de la majorité absolue de 176 sièges.
Il va donc devoir se lancer dans d’intenses tractations pour former une majorité. S’il peut d’ores et déjà compter sur la gauche radicale de Podemos, il lui faudra aussi s’assurer de l’appui de plusieurs partis régionalistes dont le PNV (nationalistes basques, 6 sièges).
La grande question porte sur le rôle des indépendantistes catalans qui, comme Podemos et le PNV, l’ont porté au pouvoir en juin en votant la motion de censure contre M. Rajoy. Ils ont gagné du terrain en remportant 22 sièges (15 pour Gauche républicaine de Catalogne (ERC), plus modérée, et 7 pour Ensemble pour la Catalogne de l’ancien président catalan Carles Puigdemont.
Ils sont indispensables à M. Sanchez pour atteindre le seuil de 176 députés, mais le chef du gouvernement pourrait préférer se passer de leur appui. Il pourrait choisir de former un gouvernement minoritaire en se contentant de l’abstention des Catalans.
Ciudadanos (57 sièges)
Le parti libéral et anti-indépendantiste d’Albert Rivera n’a jamais compté autant de députés (32 en 2016) depuis son entrée en force en 2015 qui avait mis fin au bipartisme.
Une majorité entre les socialistes et Ciudadanos est une autre possibilité, mathématique du moins. Les deux partis avaient tenté sans succès d’investir en 2016 Pedro Sanchez.
Mais si le chef du gouvernement a refusé d’écarter clairement cette hypothèse, très mal vue par ses militants, Albert Rivera a lui appelé durant toute la campagne à «chasser» Sanchez du pouvoir pour avoir «pactisé avec les indépendantistes».
Et il n’a pas hésité à s’allier avec le Parti populaire (droite) et l’extrême droite de Vox en Andalousie (sud) pour déloger il y a peu les socialistes de leur fief. Nombre d’observateurs mettent toutefois en avant le côté «girouette» de Ciudadanos quand vient l’heure de nouer des alliances.
Parti populaire (66 sièges)
Dix mois après l’éviction de Mariano Rajoy, coulé par la condamnation du PP dans un mégaprocès pour corruption, le parti conservateur signe l’une de ses pires défaites électorales sous la houlette du jeune Pablo Casado (38 ans) et ne voit pas se concrétiser l’hypothèse d’une majorité PP-Ciudadanos-Vox, donnée probable par les sondages il y a quelques mois.
M. Casado, qui a pris un virage à droite, a vu partir nombre de ses électeurs vers Vox et vers Ciudadanos.
Vox (24 sièges)
Ce parti ultranationaliste fait son entrée au Parlement avec 10,26 % des voix contre 0,2 % lors des élections de 2016, dans un des rares pays européens où l’extrême droite était absente du paysage politique.
Il a prospéré en particulier sur son discours virulent contre les séparatistes catalans, mais n’a pas créé la surprise qu’il aurait souhaitée en se transformant en faiseurs de roi d’un éventuel gouvernement de droite.
Mais dans l’opposition, son numéro deux Javier Ortega Smith a promis à la gauche que «la fête était finie».
Podemos (42 sièges)
Après avoir mis fin au bipartisme en 2015 avec Ciudadanos, ce parti, miné par les divisions internes, a perdu un bon nombre de ses députés (67 en 2016). Mais l’héritier du mouvement des Indignés devrait monnayer son appui à Pedro Sanchez contre une entrée pour la première fois au gouvernement.