En janvier 2001, Bernard Landry avait décrété que Stéphane Dion, alors ministre des Affaires intergouvernementales dans le gouvernement Chrétien, était «le politicien le plus détesté de l'histoire du Québec».
Consulté sur la question par un collègue de The Gazette, les historiens avaient émis des avis partagés sur la question. Certes, le «père de la Loi sur la clarté» était un bon candidat au titre, mais il y en avait bien d'autres.
Ainsi, le professeur Desmond Morton, de l'Université McGill, avait choisi Albert Sévigny, un des rares membres québécois du gouvernement de Robert Borden, qui avait imposé la conscription durant la Première Guerre mondiale.
Il y avait aussi les trois ministres du Québec dans le gouvernement de John. A. MacDonald, quand il avait ordonné la pendaison de Louis Riel: Hector Langevin, Adolphe Caron et Adolphe Chapleau, qui avaient été considérés comme des traîtres.
Quoi qu'il en soit, à la fin des années 1990, M. Dion pouvait certainement être inclus dans le club des plus détestés, même s'il était considéré comme un véritable héros dans les cercles ultra fédéralistes et au Canada anglais. Il fallait voir Lucien Bouchard perdre son calme simplement à entendre son nom.
La réputation de M. Dion a toutefois pris un coup hier. Dans la dernière entrevue qu'il a accordée avant sa mort à mon collègue du Soleil Gilbert Lavoie, l'ancien chef de cabinet de Jean Chrétien, Jean Pelletier, a décidé de réécrire l'histoire. À l'en croire, M. Dion était opposé à l'idée de légiférer sur les règles référendaires.
«Au début, il n'était pas si favorable que ça. En fait, au cabinet, quand la Loi sur la clarté est arrivée, il n'y en avait qu'un [qui était] pour, et c'était Jean Chrétien. Tout le monde était contre ou hésitant, y compris M. Dion [...] À un moment, en toute loyauté, Dion est embarqué dans le dossier et, comme ministre des Affaires intergouvernementales, il est devenu parrain du projet de loi», a-t-il expliqué.
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Autrement dit, il y aurait eu erreur sur la personne. M. Dion ne serait pas le père de la Loi sur la clarté, mais un simple exécutant qui a simplement agi par loyauté envers son maître. Le pauvre homme aura décidément tout perdu. On veut même le déposséder de sa place dans l'histoire. En fidèle serviteur et ami de M. Chrétien, M. Pelletier aura vu jusqu'à la fin à lui assurer le beau rôle, si on peut dire. Le seul authentique vilain, c'était lui.
Il est vrai que M. Dion ne semblait pas convaincu que Lucien Bouchard envisageait réellement la tenue d'un référendum. «M. Bouchard n'est pas M. Parizeau, qui aurait foncé sur un référendum dans l'espoir de le gagner», avait-il déclaré en juin 1996. Il faut reconnaître qu'il avait vu juste.
Pourtant, même avant son entrée en politique, le futur ministre était un adepte de la clarté. En janvier 1995, encore politologue de l'Université de Montréal, il avait créé toute une commotion parmi les délégués au Conseil général du PLQ, auxquels il avait reproché leur propre ambiguïté depuis le rapport Allaire.
«À vous de faire en sorte que l'enjeu de la séparation soit perçu le plus clairement possible par tous les Québécois. Il vous incombe d'expliquer que les termes «souveraineté», «indépendance», «séparation» et «sécession» sont synonymes, de sorte que, le jour du référendum, il n'y ait pas un seul opposant à la séparation qui vote pour la souveraineté.»
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Le plus étonnant dans cette histoire est cependant le rôle que le gouvernement Chrétien aurait voulu faire jouer à Jean Charest. M. Pelletier raconte que M. Dion et lui l'ont rencontré à deux reprises, au printemps et à l'automne 1999, pour le convaincre de parrainer lui-même la Loi sur la clarté.
Cette déconnexion de la réalité politique québécoise est tout simplement renversante. Même si M. Charest avait été mobilisé par le camp du non durant la campagne référendaire, alors qu'il avait brandi son passeport canadien sur toutes les tribunes, comment a-t-on pu penser un seul instant qu'un chef du PLQ, même le plus fédéraliste d'entre tous, pourrait accepter un mandat aussi suicidaire? Là encore, il y avait une sérieuse erreur sur la personne.
En rétrospective, M. Pelletier attribuait le refus du chef libéral au fait qu'il avait déjà commencé à modeler son comportement sur celui de Robert Bourassa. L'idée qu'on puisse avoir une perception différente du fédéralisme à Québec et à Ottawa n'a pas semblé lui traverser l'esprit.
Hier, M. Charest, qui a repris le refrain de la défense des intérêts du Québec, à la veille de la conférence des premiers ministres sur l'économie, n'était pas peu fier de confirmer son désaccord avec la Loi sur la clarté.
D'ailleurs, il ne manque aucune occasion de répéter combien il était une quantité négligeable dans la stratégie du camp fédéraliste à l'époque, y compris durant la campagne référendaire. Remarquez, le jour n'est peut-être pas si lointain où lui aussi aura envie de réécrire l'histoire et de se poser en sauveur de l'unité canadienne.
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mdavid@ledevoir.com
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